Tanzanie : Des LGBTI vivent encore dans la clandestinité Par Juniper Muitha est assistante chargée de la recherche, des campagnes et des communications pour l’Afrique de l’Est et la Corne de l’Afrique

Lorsque Halima, une militante, nous a raconté cette histoire, elle vivait dans la clandestinité à l’étranger depuis près de six mois. Halima a fui la Tanzanie en octobre 2018, après que le commissaire régional de Dar es Salaam, Paul Makonda, a annoncé le projet de création d’une équipe spéciale chargée de traquer et d’arrêter les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI). Paul Makonda a même mis à la disposition du public un numéro de téléphone où dénoncer à la police toutes les personnes soupçonnées d’être des LGBTI. Lorsque Halima a vu sa photo sur les réseaux sociaux, elle a compris qu’elle devait partir.

« Personne ne devrait vivre caché et loin des siens », a déclaré Halima (le nom a été changé).

Six mois après que Paul Makonda a fait cette terrible annonce, la vie des LGBTI en Tanzanie demeure un cauchemar.

Khamisi (le nom a également été changé) n’est pas retourné à Zanzibar depuis que ses voisins ont commencé à le menacer, en décembre 2018. Ce militant LGBTI de 28 ans travaille pour une organisation qui dispense des formations sur la prévention du VIH/sida et la lutte contre cette maladie. L’organisation a été accusée de « former à l’homosexualité » et les autorités tanzaniennes ont régulièrement arrêté le personnel et effectué des descentes dans les locaux, où ils ont confisqué des documents.

« J’ai dû déménager parce que mes voisins ont fait pression sur mon propriétaire pour que je parte. Ils lui ont dit que si je restais et qu’il arrivait quelque chose à sa maison il ne devrait pas se plaindre, a expliqué Khamisi.

« Je veux m’installer loin du centre-ville, dans un quartier où les gens ne sont pas proches les uns des autres. Ainsi, je pourrai au moins vivre en paix sans être jugé par mes voisins. »

À l’instar de Halima, Khamisi vit actuellement dans la clandestinité. Il souhaite déménager dans une autre région de Tanzanie où personne ne le connaît, voire dans un autre pays s’il en a la possibilité.

Le gouvernement tanzanien a tenté de se distancier des propos de Paul Makonda, que le ministère des Affaires étrangères a qualifiés d’« opinion personnelle ». Le système juridique tanzanien incrimine les LGBTI et leur inflige de lourdes peines. Le Code pénal dispose que toute personne déclarée coupable de « connaissance charnelle contre nature » peut être condamnée à une peine de réclusion allant de 30 ans jusqu’à la perpétuité.

L’homophobie n’est pas un phénomène nouveau en Tanzanie. En décembre 2017, le président John Magufuli a critiqué les organisations non gouvernementales (ONG) étrangères défendant les droits des LGBTI car il estime qu’elles font « l’apologie de l’homosexualité »

L’homophobie n’est pas un phénomène nouveau en Tanzanie. En décembre 2017, le président John Magufuli a critiqué les organisations non gouvernementales (ONG) étrangères défendant les droits des LGBTI car il estime qu’elles font « l’apologie de l’homosexualité ». Ses propos ont donné le feu vert à d’autres responsables politiques pour tenir des discours incendiaires contre les LGBTI, mettant ainsi gravement en danger la sécurité de ces personnes. De ce fait, les LGBTI de Tanzanie font actuellement l’objet d’un harcèlement et d’une discrimination plus manifestes.

En octobre 2016, une directive du ministère de la Santé a suspendu la prestation de services en lien avec le VIH/sida et ordonné la fermeture de plusieurs centres de santé ayant fourni des services à des LGBTI.

L’organisation de Khamisi a connu le même sort : ses locaux ont été fermés et son personnel a été arrêté. Lorsque la police n’a aucune preuve qu’une organisation défend les droits des LGBTI, elle ordonne au personnel de pointer au poste de police une fois par semaine pendant qu’elle « mène une enquête plus approfondie ».

Comme l’a expliqué Halima : « On nous refuse le droit de recevoir des soins médicaux et d’aller à l’école uniquement en raison de ce que nous sommes. » Les LGBTI peuvent être scolarisés mais, parce qu’ils sont stigmatisés, ils sont violemment persécutés et beaucoup abandonnent l’école.

En décembre 2016, une réunion organisée à Dar es Salaam par Open Society for Eastern Africa à l’intention des organisations fournissant des services de santé à des groupes exposés, comme les LGBTI et les travailleurs et travailleuses du sexe, a été brutalement stoppée. Huit participants ont été arrêtés et détenus dans des postes de police pendant huit heures, avant d’être libérés sans inculpation ni explication.

L’annonce faite par Paul Makonda en octobre dernier a autorisé et encouragé la répression visant les LGBTI. Peu après, 10 hommes soupçonnés d’être gays ont été arrêtés à Zanzibar après que des particuliers ont communiqué des informations à la police. Ils ont été libérés à la suite d’un tollé international.

En Tanzanie, les LGBTI peuvent être arrêtés, inculpés et condamnés sans preuve. Ils sont parfois soumis à des examens médicaux déshumanisants, comme des examens rectaux forcés, dont l’objectif est d’obtenir des « preuves » à charge.

Ce traitement est une atteinte scandaleuse aux droits humains et maintient les LGBTI dans la terreur.

La Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie est l’occasion idéale pour le gouvernement tanzanien de commencer à abroger toutes les lois qui incriminent des personnes simplement à cause de ce qu’elles sont. Personne ne devrait vivre dans la clandestinité et dans la peur mais tant que l’État tanzanien ne protégera pas les droits des LGBTI, par ses paroles et par ses actes, il restera des personnes comme Halima et Khalisi.

Nous devrions nous réjouir de nos différences et non punir des personnes parce qu’elles sont différentes. Comme le dit Halima : « Le gouvernement tanzanien devrait savoir que, avant même d’être des LGBTI, nous sommes des êtres humains. »

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