Comment la Chine peut-elle se prévaloir d’un système judiciaire juste ? Nicholas Bequelin est directeur pour l’Asie de l’Est à Amnesty International.

Nicholas Bequelin affirme que le programme de réformes judiciaires lancé par le président Xi Jinping est sapé par la répression visant les avocats et par les interprétations bureaucratiques des lois relatives à la sécurité nationale.

La Chine a-t-elle besoin d’avocats ? La question ne manque pas de pertinence : depuis juillet 2015, nous avons recensé plus de 240 cas d’avocats, de militants spécialistes du droit et de défenseurs des droits humains placés en détention, questionnés, harcelés ou condamnés, dans le cadre de la plus vaste répression menée par les autorités chinoises depuis des décennies à l’encontre des professions juridiques.

Beaucoup sont soumis à des mois de détention secrète au titre d’une disposition légale qui autorise les policiers à détenir les personnes soupçonnées d’atteinte à la sûreté de l’État dans le lieu de leur choix, en dehors du système officiel de détention. Plusieurs ont été torturés et la plupart se sont vus refuser tout contact avec leurs proches et leurs avocats. Certains ont fait des « aveux » publics qui font froid dans le dos. Quatre ont déjà été déclarés coupables et deux incarcérés. Cinq autres attendent leur procès.

Plusieurs ont été torturés et la plupart se sont vus refuser tout contact avec leurs proches et leurs avocats.

Cela ne cadre guère avec la volonté affichée du président Xi Jinping ( 習近平 ) de développer vigoureusement le système judiciaire, instrument principal permettant au gouvernement et au parti de diriger le pays.

Xi Jinping est entré en fonctions en faisant une promesse audacieuse, à savoir de « mettre en cage le pouvoir », ou de prévenir les abus de pouvoir des autorités, et a poursuivi en accordant à son rival politique déchu Bo Xilai (薄熙來) ce qui s’approche d’un procès transparent au regard des normes chinoises, en abolissant le système tristement célèbre de « rééducation par le travail » et en choisissant « l’état de droit » comme thème du quatrième plénum en 2014.

La Chine a depuis mis en mouvement un plan ambitieux visant à remédier aux lacunes reconnues du système judiciaire : corruption, abus de pouvoir, ingérence politique, erreurs judiciaires, « aveux » forcés et torture.

Toutefois, au moins deux éléments menacent ce plan. En premier lieu, la non-reconnaissance du fait que les droits accordés sur le papier ne sont effectifs que si des recours sont disponibles lorsque ces droits sont niés ou bafoués. Sans recours utiles, les droits sur le papier ne valent rien, et les avocats sont indispensables pour garantir ces recours.

Les avocats ne sont pas toujours des figures très populaires, et la Chine ne fait pas exception à cette règle. Les avocats chinois sont accusés d’être inutiles, d’être une perte d’argent et d’être des agitateurs. Pourtant, le rôle des professions juridiques demeure crucial dans l’administration de la justice, ne serait-ce que parce que les avocats sont les seuls au sein du système judiciaire dont la fonction principale est de défendre le plaignant ou l’accusé. C’est d’autant plus important dans un système qui ne reconnaît pas l’indépendance de la justice : sans avocats, les citoyens ordinaires n’ont quasiment aucun espoir de faire valoir leurs droits face au puissant appareil d’État.

C’est d’autant plus important dans un système qui ne reconnaît pas l’indépendance de la justice

Pour que les réformes judiciaires de Xi Jinping aient une chance d’aboutir, il faudra accorder une liberté beaucoup plus grande aux avocats, à commencer par une liberté des plus fondamentales : celle de constituer leurs propres associations professionnelles indépendantes, au lieu de les maintenir sous la férule du ministère de la Justice. Ils pourront alors avoir assez d’assise pour demander à l’État de respecter ses propres lois.

Le second élément qui menace les ambitions de réforme du président Xi Jinping, il l’a lui-même mis en place : il s’agit de la multiplication des lois relatives à la sécurité nationale, combinée à la protection du pouvoir politique du parti. Si son intention a pu être de prévenir l’émergence de remises en cause politiques, l’importance accordée à ce programme a suscité de fortes motivations au sein de la bureaucratie de la sécurité d’État pour utiliser ces nouveaux pouvoirs – notamment en termes de détention au secret – et faire passer des cas mineurs de conflit social ou de dissidence pour des complots contre la sécurité nationale impliquant des « forces étrangères hostiles ».

C’est exactement ce qu’ils semblent faire avec les avocats et les militants spécialistes du droit pris dans les filets de la répression actuellement menée : la fine fleur de la communauté chinoise de défense des droits humains, des personnes probes et courageuses prenant en main des dossiers sensibles qui les amènent souvent à se confronter à des intérêts puissants, comme la police ou les patrons locaux, sont désormais dépeintes dans le cadre d’une campagne malveillante des médias officiels comme d’infects fanatiques aux visées révolutionnaires, payés par des puissances étrangères pour semer le chaos en Chine. On le comprend aisément, cela dissuade la profession dans son ensemble de prendre en charge des affaires politiquement sensibles.

[d]es personnes probes et courageuses prenant en main des dossiers sensibles (...) sont désormais dépeintes dans le cadre d’une campagne malveillante des médias officiels comme d’infects fanatiques aux visées révolutionnaires

Comme la partie est loin d’être gagnée dans leur pays, les avocats chinois ont besoin de l’aide et de la solidarité internationales. L’initiative lancée par de grandes associations du barreau dans le monde pour célébrer le 24 janvier la « Journée internationale des avocats en danger » répond parfaitement à cette attente.

L’accent étant mis cette année sur la Chine, il est permis d’espérer que cette campagne contribuera à convaincre Xi Jinping qu’il devrait considérer les avocats comme des alliés et non comme des ennemis dans sa politique visant à améliorer le système judiciaire de son pays.

Cet article a été publié dans le South China Morning Post

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