Victime d’une erreur judiciaire après avoir fait une fausse couche Par Fernanda Doz Costa, chercheuse sur les Amériques à Amnesty International

Fernanda Doz Costa, chercheuse sur les Amériques à Amnesty International, raconte une manifestation à laquelle elle a participé devant un tribunal argentin où « Belén » comparaissait à nouveau après avoir été condamnée à huit ans de prison à la suite d’une fausse couche.

Il faisait gris et froid le matin où je suis arrivée devant le tribunal de Tucumán, une ville du nord-ouest de l’Argentine. À l’intérieur, un juge exposait les raisons pour lesquelles une femme surnommée « Belén » (il s’agit d’un pseudonyme) avait été emprisonnée après avoir fait une fausse couche.

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Peu à peu, le trottoir a commencé à se remplir de couleurs. Nous étions là pour protester contre la condamnation de Belén. Autour de moi, on brandissait des bannières condamnant la discrimination liée au genre.

« Cette justice est moyenâgeuse », indiquaient des panneaux au milieu des foulards verts des personnes militant pour la dépénalisation de l’avortement. Il y avait même une grille surmontée de l’inscription « prison pour femmes ».

Lorsque le trottoir a été plein, les manifestants demandant la libération de Belén ont bloqué la rue. Pendant ce temps, une fanfare aidait à transformer les sentiments de colère et d’impuissance qui nous avaient poussés à rejoindre cette manifestation en une atmosphère d’énergie et d’unité.

De la force face à la souffrance

J’ai toujours pensé que le rythme et les couleurs incroyables de nos manifestations en Amérique latine contribuaient à maintenir l’espoir pour les personnes qui subissent des injustices comme Belén. Et pour celles parmi nous qui se sentent visées par ces injustices.

Les chants et slogans, le grand nombre de personnes ressentant un besoin viscéral de dire haut et fort qu’elles ne restent pas indifférentes (même si les détenteurs du pouvoir le sont), qu’elles sont scandalisées qu’une femme soit emprisonnée parce qu’elle est une femme et qu’elle est pauvre – tout cela donne aux victimes et à leurs proches de la force face à une telle souffrance inutile.

Belén est arrivée à une autre entrée du tribunal pour écouter le jugement rendu à son encontre. Elle nous a entendus et a pris des photos de la manifestation. Elle a dit à son avocate qu’elle était vraiment émue de voir que tant de personnes soient venues pour montrer leur soutien, que tant de personnes comprennent l’injustice qu’elle avait subie.

« Je n’arrive pas à y croire  », a-t-elle déclaré. Et pourquoi le devrait-elle ? Dans cette région du monde, il existe des centaines de cas similaires au sien. Les femmes vivant dans la pauvreté qui se rendent dans des hôpitaux publics pour recevoir des soins de santé reproductive sont considérées comme suspectes dès qu’elles en franchissent le seuil. Elles sont maltraitées par les professionnels de santé. Et en général, personne n’y prête attention.

Le cas de Belén est important

Cependant, le cas de Belén est important pour nous tous. Il a été cité dans des centaines d’articles dans les médias nationaux et internationaux, et largement relayé sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, la nouvelle avocate de Belén a déposé un recours pour obtenir sa libération. Elle a joint à sa demande une trentaine de pages recensant les personnes et organisations qui soutiennent Belén.

Nous nous soucions d’elle car nous la connaissons. Nous ne restons pas indifférents car, comme le groupe des « 17 » au Salvador, Belén incarne la violence avec laquelle le patriarcat est imposé par nos États, au point d’envoyer des femmes en prison car, pensent-ils, elles n’ont pas rempli les obligations attendues d’une « femme convenable ».

Nous ne restons pas indifférents car nous savons que Belén n’a pas bénéficié d’une défense adéquate et que, dès qu’elle est entrée à l’hôpital, elle a été condamnée de fait par son propre médecin, qui a manqué à son devoir de respecter le secret médical en la dénonçant.

Nous ne restons pas indifférents car cet exemple presque absurde montre bien que le droit pénal est appliqué sélectivement, en emprisonnant les personnes pauvres qui sont jugées coupables alors même qu’il n’y a aucune preuve. Et s’il s’agit de femmes, c’est encore pire.

Aucune preuve

Soledad Deza, avocate actuelle de Belén, est une féministe qui a repris l’affaire en mains lorsqu’elle a appris que, malgré l’absence de preuve, Belén avait été déclarée coupable d’homicide avec circonstances aggravantes pour le meurtre prémédité d’un parent proche. Elle a été condamnée parce qu’un fœtus a été retrouvé à l’hôpital et que le personnel a affirmé qu’il s’agissait du sien.

«  Ma cliente a toujours été liée dans l’esprit des gens au “fœtus trouvé”, nous a expliqué Soledad Deza devant le tribunal. Bien que, d’après les éléments connus, le fœtus ait été retrouvé avant qu’elle n’arrive à l’hôpital et malgré une énorme confusion dans les dossiers quant au fait qu’il y avait un ou plusieurs fœtus, qu’il s’agissait d’une fille ou d’un garçon, que c’était le fœtus d’une femme de 35 ans [Belén avait 25 ans lorsqu’elle est allée à l’hôpital] ou qu’il appartenait à quelqu’un d’autre.

« Ce lien présumé, d’abord transformé en soupçon par le personnel médical, puis en accusation par la police, puis en preuve médicolégale supposée après les faits, est ensuite devenu un fait avéré et enfin une affaire judiciaire, tout cela sans la moindre preuve. »

Ses propos ont été accueillis par des applaudissements nourris. On sentait son indignation. Et nous qui étions dans la manifestation la ressentions également, en attendant d’écouter les « motivations » du juge pour la condamnation de Belén. Finalement, à la demande de Belén, le jugement a été lu en privé à elle-même et son avocate. Il n’a pas été lu publiquement comme prévu. C’est parce qu’elle souhaitait conserver l’anonymat.

Belén reste condamnée à huit ans de prison. Son avocate a annoncé qu’elle ferait appel. Belén n’aurait jamais dû être déclarée coupable. Elle veut que justice soit rendue. Nous le voulons tous.

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