Une « crise » de l’accueil entretenue par les autorités belges par l’équipe du FIL, le magazine d’Amnesty International Belgique francophone

demandeurs d'asile à Bruxelles

Le 20 juin, la Journée mondiale des réfugiés a permis d’attirer l’attention sur la situation de millions d’hommes, de femmes et d’enfants animé·e·s du simple désir de pouvoir mener une vie digne de ce nom loin des conflits ou de la persécution. Une bonne occasion également de se pencher sur la politique d’accueil de ces personnes en Belgique.

En 2015, suite au conflit déclenché en Syrie, de nombreuses personnes en quête de sécurité sont arrivées en Belgique et ont dû faire face aux graves manquements de l’État belge en ce qui concerne ses obligations en matière de respect des droits des migrant·e·s. Heureusement, palliant tant bien que mal ces inacceptables failles, des citoyen·ne·s se sont mobilisé·e·s pour venir en aide à ces hommes, femmes et enfants.

Sept ans plus tard, ce sont des Ukrainien·nes fuyant l’invasion de leur pays par la Russie qui sont venu·es frapper à la porte de la Belgique, avec une réponse citoyenne très forte en leur faveur, encouragée cette fois par les autorités.

Le point commun entre ces deux situations : des problèmes structurels pérennes, des autorités menant une politique de l’autruche et une réponse citoyenne palliant les manquements de l’État.

Des autorités belges démissionnaires sur l’asile

Ce constat d’échec a également été fait par la justice. En effet, au début de cette année, l’État belge, ainsi que l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) ont été condamnés par le tribunal de première instance de Bruxelles pour une mauvaise gestion de l’asile et de l’accueil.

Tous deux étaient la cible de plusieurs organismes : l’Ordre des Barreaux francophones et germanophones, Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde, La Ligue des droits humains et la Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers (CIRÉ), qui leur reprochaient la saturation des réseaux d’accueil ainsi que le refus d’enregistrer la majeure partie des demandes d’asile au Petit-Château (centre d’arrivée pour les demandeur·euses de protection internationale en Belgique) pendant plusieurs semaines.

La justice les a ainsi contraints à verser 5 000 euros par jour où « au moins une personne souhaitant présenter une demande de protection internationale […] se sera vu refuser le bénéfice de ce droit ». Cette condamnation est intervenue par ailleurs quelque temps après plusieurs piquets de grève menés par le personnel de Fedasil fin 2021 pour dénoncer leurs mauvaises conditions de travail.

Ces exemples récents sont très évocateurs et témoignent d’une véritable crise au sein des institutions d’accueil des demandeur·euse·s d’asile. Crise engendrée par l’inaction du gouvernement à beaucoup de niveaux et qui est pointée du doigt par de nombreux acteurs du secteur, dont Amnesty International depuis de nombreuses années.

Même si la Belgique ne figure pas parmi les plus « mauvais élèves » en matière de politique migratoire en Europe, il n’est pas exagéré de qualifier de mauvaise la gestion des flux de migrant·e·s et d’indigne l’accueil qui leur est réservé. Pour rappel, cet hiver encore, des demandeur·euse·s d’asile, autant des hommes que des femmes et des enfants, ont passé des nuits dehors, car le nombre de demandes d’asile excédait les capacités d’accueil. Une situation qui a rendu encore plus vulnérables des personnes qui l’étaient déjà extrêmement à bien des égards.

Pourtant, l’État est en théorie tenu d’anticiper ces flux migratoires en analysant les situations géopolitiques dans le monde. En pratique, la gestion fédérale ne montre presque aucune anticipation et ne travaille qu’en réaction, avec pour résultat une saturation du réseau d’accueil depuis au minimum quinze ou vingt ans. Au lieu de créer un système structuré, c’est l’urgence constante qui est de mise.

Ces dernières années, cette urgence a régulièrement été pointée du doigt comme une « crise des réfugié·e·s » alors qu’il s’agit en réalité d’une crise de la gestion de l’accueil des réfugié·e·s. En 2015, lorsque la vague de migrant·e·s syrien·ne·s est arrivée en Belgique, on dénombrait 40 000 demandes d’asile sur notre sol. À titre de comparaison, au début des années 2000, il y en avait 42 000, originaires notamment du Kosovo, de Tchétchénie, de la République démocratique du Congo et du Rwanda. Preuve que le nombre de migrant·e·s ne grossit pas forcément et que le problème se situe dans la non-évolution de la politique migratoire belge.

Crise de l’accueil : les citoyens à la rescousse

S’il manque à ses obligations, le gouvernement peut néanmoins remercier les initiatives citoyennes qui le délestent d’une charge d’accueil conséquente, ce que l’on a encore pu constater récemment avec l’arrivée de nombreux·euses Ukrainien·ne·s.

Depuis le 10 mars, plus de 45 000 attestations de protection temporaire (protection d’un an, renouvelable, délivrée par l’État lors d’un afflux massif lié à une guerre) ont été délivrées. Parmi tou·te·s ces déplacé·e·s, 25 % ont demandé à être pris·e·s en charge par Fedasil ; les 75 % restant·e·s ont été accueilli·e·s dans la famille, chez des ami·e·s ou chez des citoyen·ne·s volontaires.

Daria Tepliakova est ainsi arrivée d’Ukraine en mars avec sa fille et une amie. Sa recherche d’un logement temporaire n’a pas été trop compliquée : « nous avons choisi la Belgique, car mon amie a une connaissance qui pouvait nous héberger. Nous avons voyagé toutes les deux, car mon mari est resté combattre en Ukraine et j’avais peur d’arriver seule avec ma fille », explique-t-elle. Pour les Ukrainien·ne·s arrivant en Belgique, la procédure s’est déroulée rapidement. Pas de passage par le Petit-Château, mais au Palais 8 du Heysel. Daria raconte y avoir patienté toute la journée, dès cinq heures du matin, dans de longues files pour obtenir l’attestation qui lui a permis de bénéficier de la « carte A », synonyme de protection temporaire. Seules trois semaines de patience ont été nécessaires.

La situation contraste beaucoup avec ce qu’ont vécu les migrant·e·s lors de l’épisode du parc Maximilien en 2015, où un camp de fortune a été créé sous l’impulsion de plateformes citoyennes, afin d’éviter que des milliers de personnes ne soient laissés à la rue, arrêtées ou expulsées. On peut presque y voir une politique du « deux poids, deux mesures », là où la proximité géographique ne peut en aucun cas justifier un traitement différent. Philippe Hensmans, directeur de la section belge francophone d’Amnesty International, le rappelait dernièrement : « la solidarité témoignée à l’égard des réfugié·es ukrainien·ne·s ne doit pas nous faire oublier les graves problèmes structurels relatifs aux capacités d’accueil de la Belgique. Il est grand temps que nos autorités prennent ce problème à bras le corps pour éviter que des personnes déjà en situation de grande vulnérabilité ne doivent en plus être exposées à l’absence de logement convenable et d’accès à leur droit de demander l’asile ».

« la solidarité témoignée à l’égard des réfugié·es ukrainien·ne·s ne doit pas nous faire oublier les graves problèmes structurels relatifs aux capacités d’accueil de la Belgique. Il est grand temps que nos autorités prennent ce problème à bras le corps pour éviter que des personnes déjà en situation de grande vulnérabilité ne doivent en plus être exposées à l’absence de logement convenable et d’accès à leur droit de demander l’asile » Philippe Hensmans, directeur général d’Amnesty International Belgique francophone

Aujourd’hui, en Belgique, entre 30 et 200 personnes sont laissées en rue chaque jour. Des rapporteurs spéciaux des Nations unies sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté et sur les droits de l’homme des migrants ont ainsi alerté les autorités quant au au fait que 150 000 migrant·e·s en situation irrégulière dans notre pays sont exposé·e·s à de mauvais traitements, à de la discrimination dans leur emploi, au sein de l’économie informelle, ainsi qu’à l’accès au logement, à la santé, à l’éducation ou à la justice.

L’expulsion plutôt que de réelles solutions

Lorsque l’État détermine que la situation d’un pays qui présentait des risques sérieux pour certain·e·s de ses ressortissant·e·s s’est améliorée, il peut décider de renvoyer ces personnes chez elles. C’est une solution chérie par les autorités, lesquelles focalisent leur attention sur les chiffres des retours plutôt que sur la recherche de solutions durables et profitables pour les personnes migrantes, les pays et sociétés d’accueil, de transit et d’origine. Et même sur les retours, la Belgique est capable d’erreurs, comme en 2017, lorsqu’elle a renvoyé des Soudanais sans déterminer les risques que ces personnes pouvaient courir à leur arrivée. Selon divers témoignages, ils auraient ainsi été victimes de mauvais traitements et l’État belge a été reconnu coupable de violation du droit international. En ce qui concerne les Ukrainien·ne·s arrivé·e·s en Belgique, légitimement la question se pose quant à la cessation éventuelle de la protection dont il·elle·s disposent et du retour dans leur pays une fois que le conflit sera terminé…

Malgré tout, pour certain·e·s réfugiés, l’accueil se fait sans encombre. C’est le cas de Daria, comme nous l’avons vu plus haut, mais aussi de Didar Al Aaraj, arrivée de Syrie il y a cinq ans grâce à son mari qui l’a précédée et qui a entrepris le voyage de manière irrégulière : « mon mari est parti en Turquie, puis a traversé la Méditerranée dans une embarcation. La première fois, il s’est fait prendre par la police turque, mais, la seconde, il a réussi à aller jusqu’en Grèce. Il a pris des bus et des trains jusqu’en Allemagne, puis est arrivé en Belgique. Huit mois après son départ, mon mari a eu son titre de séjour et a fait en sorte que je puisse prendre l’avion avec mes enfants pour le rejoindre. »

Heureusement, de telles situations ne sont pas uniques, mais elles ne doivent pas faire oublier les nombreux efforts que la Belgique doit réaliser pour parvenir à anticiper les flux migratoires et être en mesure de répondre aux demandes d’accueil. Sans oublier, en aval, la politique d’intégration, où beaucoup de travail est nécessaire. La balle est dans le camp du secrétaire d’État à l’asile et à la migration et du gouvernement…

Portraits de réfugié·es

« J’avais peur d’arriver seule sans mon mari »

Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, Daria Tepliakova a fui le pays avec sa fille. Son mari a été contraint de rester sur place en raison de la mobilisation générale annoncée par le président.

Elle s’est d’abord rendue en Roumanie, où elle a pris un avion avec pour destination la Belgique. Là, la connaissance d’une amie a pu héberger Daria et sa fille le temps qu’elles introduisent leurs demandes de protection temporaire, avant d’être dirigées vers Bertrix, où elles vivent désormais.

Par chance, leur parcours n’a pas été semé de trop d’embûches entre l’Ukraine et la Belgique. Mais commence maintenant une période compliquée de recherche d’un logement pour Daria et sa fille, qui essuient les refus de propriétaires convaincu·e·s qu’elles ne resteront pas longtemps en Belgique. Parallèlement, Daria apprend le français pour, qui sait, peut-être trouver un travail.

« J’adore la Belgique et le peuple belge »

Didar al Aaraj est arrivée en Belgique il y a environ cinq ans avec ses deux enfants. Elle est originaire de Lattaquié, la ville de Bachar el Assad. Elle raconte que la cité a été épargnée par les bombardements par rapport à d’autres, mais que, en revanche, elle a régulièrement vu des hommes se faire enlever pour être emprisonnés ou torturés.

Didar a d’abord fui en Arabie saoudite, puis en Turquie. Son mari est parti en premier vers l’Europe, traversant la mer Méditerranée sur un bateau de fortune afin de rejoindre la Grèce ; deux tentatives ont été nécessaires, mais il est tout de même parvenu à finalement atteindre les côtes européennes. Ce fut ensuite le voyage jusqu’en Belgique, où sa femme a pu le rejoindre en avion.

Deux mois ont été nécessaires à Didar pour obtenir une « carte A » (son mari a dû patienter le double du temps). Dans son pays, elle étudiait la chimie, mais, ne maîtrisant pas le français, Didar ne peut poursuivre ses études en Belgique. Elle s’est donc mise à étudier la langue de Voltaire et suit parallèlement une formation de coiffure avant de, peut-être, poursuivre ses études initiales. Selon ses propres mots, elle adore la Belgique et le peuple belge.

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