Renvoi au Soudan : Amnesty avait prévenu la Belgique par Julie Adyns, chargée politique pour Amnesty International Belgique néerlandophone

Retour sur le travail mené par Amnesty dans le cadre de la politique de retour en Belgique. Avant tout, précisons que le Soudan est un régime dictatorial où les services de renseignement pratiquent la torture et les mauvais traitements en toute impunité. Le président, Omar al-Bashir, est recherché par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. En 2016, les chercheurs d’Amnesty eux-mêmes ont recueilli des témoignages de Soudanais qui ont déclaré avoir été arrêtés et maltraités immédiatement à leur retour au Soudan. Par conséquent, en ce qui concerne les retours au Soudan, une extrême prudence doit être exercée.

Les mises en garde d’Amnesty

Lorsque nous avons appris que le gouvernement belge recevrait des représentants soudanais pour identifier les migrants et éventuellement les renvoyer au Soudan, nous avons exhorté le gouvernement à ne renvoyer personne qui encourt un risque réel de torture ou de mauvais traitements. En effet, ceci est strictement interdit par le droit international ( principe dit de non-refoulement). Nous avons insisté sur le fait que le risque de torture ou de maltraitance en cas de retour devrait être examiné soigneusement et au préalable, et ce pour chaque cas individuel. Nous avons également souligné qu’une mission d’identification pouvait elle-même comporter des risques.

Malgré cela, après avoir mené nos propres recherches, publiées en janvier, nous avons constaté que la Belgique avait reçu la mission d’identification soudanaise sans avoir fait preuve de prudence. Confronter simplement les migrants aux représentants du régime qu’ils fuient peut-être, est potentiellement très dangereux pour eux-mêmes et pour leurs familles. Au cours de ces entretiens avec les représentants soudanais, ils peuvent également être menacés ou intimidés.

« En ne respectant aucune des recommandations d’Amnesty, le gouvernement belge a sérieusement échoué en ce qui concerne les retours forcés de Soudanais (même s’il a déclaré adapter maintenant sa politique) : le risque de torture et de mauvais traitements en cas de retours forcés des migrants doit faire l’objet d’une enquête préalable approfondie, même pour les personnes qui ne demandent pas l’asile. Les missions d’identification devraient être mieux encadrées. Ces recommandations antérieures d’Amnesty ont été confirmées vendredi 9 février par le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA). Julie Adyns, chargée politique pour Amnesty International Belgique néerlandophone

Malgré cela encore, des personnes ont été renvoyées au Soudan sans enquête suffisante pour évaluer le risque auquel elles seraient confrontées en cas de retour. Le gouvernement belge a agi de manière particulièrement imprudente et a violé ses obligations auxquelles il est tenu en vertu du droit international.

Un rapport important confirme les recommandations d’Amnesty

L’enquête du CGRA, demandée par le gouvernement, n’est intervenue que lorsque l’institut Tahrir a publié en décembre des témoignages sur les mauvais traitements infligés aux Soudanais renvoyés par la Belgique dans le cadre de la mission d’identification. Entre-temps, le gouvernement a arrêté tous les vols de retour vers le Soudan.

Le 9 février, le CGRA a publié son rapport tant attendu. Le Commissariat Général n’a pas pu déterminer avec certitude si les témoignages sur la maltraitance étaient avérés - c’est un exercice particulièrement difficile. La question de savoir si la Belgique avait pris suffisamment de précautions pour éviter que les migrants soudanais ne subissent des risques en cas de retour était au moins aussi importante. À cet égard, des recommandations ont été faites, reprenant les conclusions d’Amnesty :

  • Les Soudanais, qui pourraient chercher à fuir leur régime, ne devraient simplement pas être confrontés à des représentants de ce régime. Avant qu’il y ait une confrontation avec la mission d’identification, il faut examiner pour chaque personne s’il y a un risque.
  • Par ailleurs, pour éviter que des personnes ne soient menacées ou intimidées par les membres de la mission d’identification, un certain nombre de mesures de précaution doivent être prises lors de l’identification, telles que la présence d’un interprète et d’un représentant du gouvernement belge.
  • Pour chaque personne renvoyée, le risque de torture ou d’autres mauvais traitements doit faire l’objet d’une enquête préalable approfondie. Pour les personnes qui ne demandent pas l’asile, cette recherche doit également être suffisamment approfondie. C’est certainement le cas lorsque quelqu’un est renvoyé dans un pays où la situation des droits humains est particulièrement problématique, comme c’est le cas au Soudan.

Résultat : la politique de retour est ajustée

Entre-temps, le gouvernement a déclaré qu’il donnerait suite aux recommandations du CGRA. Cela signifie qu’à l’avenir, dans chaque cas particulier, il sera procédé à une enquête approfondie pour savoir s’il existe un risque réel de torture ou d’autres mauvais traitements, y compris pour les personnes qui ne demandent pas l’asile. Les missions d’identification restent possibles, mais seront mieux encadrées pour que les personnes ne soient pas mises en danger par une confrontation avec le régime qu’elles cherchaient peut-être justement à fuir.

Amnesty International demande que les retours soient suspendus jusqu’à ce que la politique de retour soit conforme à ces recommandations et au droit international.

P.S : merci à Frédéric Moreau De Bellaing pour le visuel illustrant cet article. En voir plus : www.bellaing.be

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