Le masque utilisé pour combattre la pandémie de COVID-19 est-il vraiment si différent du niqab ?

Coronavirus_masques et niqab

Par Marco Perolini, chercheur sur l’Europe à Amnesty International

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, l’Organisation mondiale de la santé conseille aux gens qui toussent ou éternuent de porter un masque. En conséquence, dans de nombreux pays, les autorités demandent à la population de porter un masque dans les lieux publics. En France par exemple, le port du masque est obligatoire dans les transports publics.

Les recommandations actuelles sur le port du masque mettent en évidence l’absurdité des arguments que certains gouvernements européens ont utilisé pour interdire le port de tenues dissimulant le visage dans les lieux publics

Les États ont l’obligation de protéger les travailleurs et travailleuses essentiels qui risquent de contracter ce virus sur leur lieu de travail, notamment en leur procurant des masques et d’autres équipements de protection individuelle. Cependant, les recommandations actuelles sur le port du masque mettent en évidence l’absurdité des arguments que certains gouvernements européens ont utilisé pour interdire le port de tenues dissimulant le visage dans les lieux publics.

Depuis 2011, les législateurs ont adopté des lois qui interdisent de dissimuler le visage dans de nombreux pays européens [1], notamment en Belgique, en Bulgarie [2], au Danemark, en France et aux Pays-Bas. Ces lois visent les femmes musulmanes qui portent le niqab (voile dissimulant totalement le visage), souvent appelé à tort burqa.

Lors des débats qui ont précédé l’adoption de ces lois, le port du niqab a été jugé problématique. Ce « débat », souvent politiquement très chargé, a donné lieu à des lois discriminatoires et été marqué par l’alliance contre nature de populistes d’extrême droite, de courants du mouvement féministe et de laïcs.

Dans d’autres pays, des femmes portant le voile intégral se sont vu infliger une amende et ont été la cible de crimes racistes motivés par la haine alors qu’elles ne faisaient que marcher dans la rue

Les plus hauts échelons du gouvernement se sont engagés dans une course au pire, avec des propos plus insultants les uns que les autres.

En août 2019, Boris Johnson, le Premier ministre britannique, a comparé [3] les femmes musulmanes portant un voile dissimulant totalement leur visage à des « boîte aux lettres » et à des « voleurs de banque ». Il lui a fallu plus de trois mois pour présenter des excuses pour ces propos. L’ONG Tell MAMA a signalé qu’au Royaume-Uni, les agissements islamophobes visant des musulmans ont augmenté de 375 % au cours des trois semaines qui ont suivi ce discours.

Dans d’autres pays, des femmes portant le voile intégral se sont vu infliger une amende et ont été la cible de crimes racistes motivés par la haine alors qu’elles ne faisaient que marcher dans la rue. En 2017, une enquête paneuropéenne [4] réalisée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a montré que 22 % des femmes musulmanes interrogées portant le niqab ou un foulard avaient subi des insultes dans la rue.

Il est décevant de constater que certains tribunaux ont rendu des décisions en faveur de ces lois. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un arrêt incompréhensible [5] jugeant que le port du voile intégral allait à l’encontre de la notion du « vivre ensemble ». Aucune loi relative aux droits humains ne dispose que le « vivre ensemble » est un critère que les États peuvent utiliser pour restreindre les droits à la liberté d’expression, de religion et de conviction.

Le fait de qualifier le voile intégral de menace pour la sécurité ou de symbole de l’oppression de la femme est fortement marqué par les stéréotypes discriminatoires qui « aliènent » des femmes musulmanes en raison de leur religion. L’interdiction du port du voile intégral est également une restriction disproportionnée des droits fondamentaux d’une minorité dont la position au sein de la société est trop souvent définie par la discrimination et le racisme.

Au cours des deux dernières années, les décideurs sont également montés à la charge contre le port de masques lors des manifestations. À Hong Kong, où des manifestations de masse ont été organisées l’an dernier pour protester contre le gouvernement, les autorités ont imposé une interdiction généralisée du port de masques pendant les mouvements de protestation. Des manifestants ont en conséquence subi de lourdes représailles. En France, la police a arrêté des centaines de personnes à la suite de l’entrée en vigueur d’une mesure similaire en avril 2019.

Des représentants des pouvoirs publics ont cherché à marquer les esprits en agitant le spectre des hordes de manifestants masqués et revêtus de noir qui saccagent régulièrement des banques et des commerces. Pourtant, le masque est indispensable pour manifester dans des lieux où l’on peut très raisonnablement craindre le recours aux technologies de reconnaissance faciale. La protection de l’ordre public ne justifie pas l’interdiction généralisée du port du masque lors des manifestations, indépendamment des menaces qu’il représente concrètement pour l’ordre public. Les interdictions généralisées constituent une restriction disproportionnée des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression.

Notre façon d’interpréter des coutumes ou comportements particuliers est souvent modelée par notre environnement social et culturel. Les préjugés, les stéréotypes et l’« aliénation » de certaines personnes influent souvent sur notre perception de certaines pratiques. Les gouvernements et de larges pans de la société dans de nombreux pays ont déclaré que le voile intégral et, de façon générale, le fait de se dissimuler le visage, représentent une menace pour la sécurité ou une manifestation de l’inégalité des genres. Ils ont fait de leur interprétation de ces pratiques un dogme.

Or, il ne s’agit que de constructions sociales et culturelles qui varient au fil du temps : nous venons ainsi de voir que la pandémie de COVID-19 les a fait vaciller. Les décideurs doivent saisir cette occasion qui s’offre à eux de supprimer les lois qui interdisent le port du voile intégral et prohibent de façon généralisée le port de masques pendant les manifestations. Sinon, nous nous retrouvons dans une situation où l’on demande aux gens de porter un masque pour lutter contre la pandémie de COVID-19 et en même temps, où les femmes portant un voile intégral et les manifestants masquant leur visage se voient infliger une amende. L’ironie, l’hypocrisie et le caractère discriminatoire de cette situation n’échapperont à personne. Le masque utilisé pour combattre la pandémie de COVID-19 est-il vraiment si différent du niqab ?

Cet article a été initialement publié par Newsweek [6].

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