Marikana : une blessure qui doit être soignée

De Tracy Doig, chargée de campagne en Afrique australe pour Amnesty International.

Cette semaine, des avocats représentant le gouvernement vont engager des discussions avec les avocats des survivants de Marikana et ceux des familles des hommes tués illégalement par des policiers ou par d’autres personnes lors des événements qui se sont déroulés dans ce village. Ces discussions ont pour objectif de trouver « une autre façon de régler les litiges pour faciliter le traitement de toutes les requêtes qui ont suivi les événements tragiques d’août 2012 ».

Il est grand temps que ce dialogue ait lieu. Plus de quatre ans après les faits, les familles des hommes tués au cours de la semaine du 16 août 2012 subissent encore de façon manifeste les conséquences de la perte de leurs proches, tant sur le plan émotionnel que financier.

Malgré le long processus mené par la commission d’enquête, l’incompréhension face à la mort de leurs proches et les retards dans la mise en place des procédures de réparation ont laissé beaucoup de familles en proie à la colère et à la frustration. Une mère en deuil a expliqué à Amnesty International : « C’est comme si on avait une blessure que quelqu’un n’arrêterait pas de toucher et de rendre à nouveau douloureuse. » Les familles parlent de l’impossibilité de tourner la page et des difficultés auxquelles elles continuent de faire face depuis la perte du soutien de famille, d’un mari, d’un frère ou d’un fils. Une autre personne a confié à l’organisation : « Ma vie est devenue bien plus difficile. Il m’aidait... Maintenant il n’y a plus que moi pour tout faire. » Ces familles ont besoin de réponses à leurs questions et de réparations pour pouvoir tourner la page.

Le droit à un recours et à des réparations

Toutes les victimes de violations des droits humains ont droit à un recours utile et à des réparations. Ce droit s’inscrit au cœur du droit international relatif aux droits humains. Il repose sur l’obligation juridique faite aux États de respecter les droits fondamentaux et de les protéger de toute atteinte de la part de l’État, de ses représentants, ou d’acteurs non étatiques. Les autorités doivent prendre des mesures contre ces atteintes dès qu’elles ont lieu en examinant les faits, en déférant à la justice les responsables présumés et en garantissant des réparations effectives pour le mal causé.

Au-delà de l’indemnisation

La réparation (c’est-à-dire les mesures prises pour réparer le mal fait aux victimes d’atteintes aux droits humains) comprend plusieurs éléments. Elle doit, en premier lieu, chercher à effacer les conséquences de l’atteinte aux droits qui a été perpétrée et, autant que possible, rétablir la situation dans laquelle se trouveraient les personnes si leurs droits n’avaient pas été bafoués.

Même si une indemnisation revêt une importance cruciale et reste une revendication essentielle des familles et des survivants, l’histoire ne doit pas s’arrêter là. Il ne s’agit que de l’une des composantes de la réparation.

La restitution a pour but de rétablir la situation dans laquelle se trouvaient les personnes concernées avant les faits. Cependant, si cela implique de rétablir une situation dans laquelle les personnes sont défavorisées ou en butte à des discriminations, des modifications sont nécessaires. Les victimes de Marikana se trouvaient à l’origine dans une situation d’inégalité. Y revenir ne ferait que renforcer les conditions qui ont mené à la grève, ainsi qu’à la violence et aux morts qu’elle a engendrées. Rashida Manjoo, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes, a déclaré : « Les réparations devraient viser à éliminer, et non à renforcer, les inégalités structurelles préexistantes. » Plus facile à dire qu’à faire.

Les responsables des atteintes aux droits humains commises à Marikana devraient faire l’effort de consulter les victimes et les familles pour mettre en place des mesures qui dépasseraient la restitution, allant jusqu’à la rectification.

Également nécessaire, la réadaptation inclut tous les soins médicaux et psychologiques dont les victimes peuvent avoir besoin, ainsi que le soutien de services juridiques et sociaux. Si les familles ont pu bénéficier initialement de l’aide de travailleurs sociaux mandatés par le gouvernement, ce soutien a cessé depuis longtemps. La plupart des personnes qui ont témoigné auprès d’Amnesty International continuent à parler de traumatisme, de douleurs et de problèmes de santé incluant des vertiges, des douleurs dans la poitrine et des difficultés de concentration. Les enfants sont toujours hantés par la disparition de leurs pères. Ces familles ont clairement besoin d’un soutien psycho-social.

La réhabilitation comprend un grand nombre de mesures et peut inclure des excuses publiques accompagnées de la reconnaissance des faits et de l’acceptation de la responsabilité, la comparution en justice des responsables des atteintes commises, ainsi que des monuments et des cérémonies en hommage aux victimes. Une femme en deuil a déclaré : « Ce serait plus facile de tourner la page si ces personnes étaient amenées à rendre des comptes. C’est tellement douloureux de ne pas savoir [...] alors que nos maris sont morts comme des chiens. »

Les familles de toutes les personnes qui ont trouvé la mort lors de ces événements, y compris celles des sept hommes tués par des personnes appartenant au groupe des mineurs grévistes, ont également besoin que justice soit faite et que l’obligation de rendre des comptes soit respectée. Ces hommes méritent tous qu’on leur rende justice et toutes leurs familles méritent que les responsables aient à répondre de leurs actes. Tout monument commémoratif des événements de Marikana devrait être conçu en consultation avec les personnes, groupes et familles touchés et devrait rendre hommage à tous ceux qui ont perdu la vie cette semaine-là.

Enfin, il faut apporter des garanties de non-répétition, notamment à travers des changements dans la législation et la mise en place de mécanismes de contrôle appropriés. Le fait de poursuivre en justice des personnes soupçonnées d’être responsables d’atteintes aux droits humains est essentiel pour garantir la non-répétition. En l’absence d’enquête et de poursuites judiciaires, l’impunité s’installe et des atteintes continuent d’être commises.

La garantie de non-répétition nécessite aussi de s’attaquer à l’inégalité structurelle, qui a été l’une des causes principales de la grève sans protection de Marikana. Mais pour le moment, ces points fondamentaux, de même que la colère et la frustration des rescapés et des familles, ont été négligés.

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