La face à peine cachée de la Chine Par Philippe Givron, coordinateur Chine pour la section belge francophone d’Amnesty International

La Chine a retrouvé son statut de grande puissance et elle s’impose comme partenaire quasi incontournable sur la scène économique. Au niveau belge, cela se traduit en ce mois de novembre par l’envoi dans ce pays d’une des plus importantes missions commerciales, culturelles et scientifiques jamais menées à l’étranger. Et l’on est bien tenté de se réjouir de ces perspectives d’échanges et de contrats a priori bénéfiques pour les deux parties.

Mais cette effervescence ne peut nous faire oublier les enjeux en termes de droits humains. Enjeux énormes puisqu’ils touchent directement un milliard quatre cents millions de Chinois·e·s, mais aussi du fait de l’influence grandissante de la Chine partout dans le monde, une Chine qui conteste ouvertement l’universalité et la priorité inaliénable des droits humains…

Une dissonance qui se paie au prix fort en Chine

Tout récemment, l’harmonie des célébrations du 70e anniversaire de la création de la République Populaire de Chine a été troublée par une fameuse dissonance : le cri de centaines de milliers de Chinois·e·s de Hong Kong, qui ne veulent absolument pas du « régime chinois ». Depuis le mois de mai, ils·elles prennent des risques énormes (licenciement, violences policières, arrestations…) pour défendre leurs libertés (en théorie garanties par le traité de rétrocession) et s’opposer au traité d’extradition qui allait les exposer à la justice chinoise – bien placé·e·s pour savoir que cette justice n’en est pas une.

Les écrivain·e·s, journalistes et défenseur·e·s des droits humains qui dénoncent les atteintes aux droits fondamentaux ou remettent en cause la ligne, la gestion ou, pire encore, le monopole du parti communiste doivent avoir l’étoffe de héro·ïne·s. Ils·elles s’exposent en effet à être victimes de surveillance policière, de harcèlement et d’arrestations arbitraires. Procès à huis clos, déni d’accès à un avocat librement choisi, obtention d’aveux via des mauvais traitements, répercussions sur leurs proches, disparitions forcées, gardes à vue au secret pour une période allant jusqu’à six mois… sont monnaie courante, ainsi qu’en témoignent les nombreux cas individuels mis en lumière mois après mois par Amnesty International. Il n’est pas rare de voir ces militant·e·s pacifiques condamné·e·s à des peines pouvant atteindre une dizaine d’années, suite à l’application de dispositions du Code pénal formulées en termes vagues, telles que « subversion de l’État », à l’« atteinte à l’ordre public ou à la sûreté de l’État ».

Des libertés fondamentales bafouées par les autorités chinoises

En sus de sa peu enviable première place en matière d’exécutions capitales — plus d’un millier d’exécutions l’année dernière —, la Chine figure aussi à la 177e position (sur 180 pays !) dans le classement « liberté de la presse 2019 » établi par Reporters sans frontières. L’accès et la publication Internet sont étroitement surveillés, censurés et filtrés. D’une façon plus générale, les libertés fondamentales d’opinion, d’expression, d’association et de participation véritablement démocratique sont virtuellement ignorées.

La situation du Xinjiang (vaste province du nord-ouest de la Chine) présente des similitudes avec le Tibet : sinisation forcée par immigration de Chinois·e·s de l’ethnie han dominante, strict contrôle des pratiques religieuses, affaiblissement de l’identité culturelle, restrictions à la liberté de mouvement et discriminations dans l’éducation et l’emploi. La situation y est vraiment dramatique, comme l’attestent de nombreux rapports de sources diverses (y compris des Nations Unies). Au nom de la lutte contre le terrorisme, des centaines de milliers d’Ouïghour·e·s et de Kazakh·e·s sont détenu·e·s dans des camps dits de « transformation à travers l’éducation ».
Sans procédure judiciaire digne de ce nom, ni accès à leurs familles et avocat·e·s, tout indique que bon nombre de ces personnes subissent différentes formes de traitements dégradants. Suite aux pressions internationales ayant dénoncé ces internements de masse, et après avoir nié leur existence, les autorités chinoises ont prétendu qu’il ne s’agissait que de centres de formation. Mais s’ils n’avaient rien à cacher, pourquoi refusent-ils qu’une mission réellement indépendante (non téléguidée) d’observateur·rice·s internationaux·ales puisse se rendre sur place pour enquêter ?

Une vision très restrictive des droits humains

En outre, toujours au Xinjiang, la Chine met en pratique ce que Georges Orwell avait imaginé dans son célèbre roman 1984 : un système de surveillance massif et intrusif, faisant appel aux technologies les plus avancées. Un véritable laboratoire géant qu’elle annonce vouloir étendre afin de contrôler et façonner la vie de tous les gens, qui se voient attribuer un « score » de citoyen, mesurant leur conformité aux desiderata du Parti et leur adhésion à sa « vérité ».

Pour se justifier, la Chine tente de promouvoir sa propre vision (très restrictive) des droits humains. Elle met en évidence la nécessité de se concentrer sur le développement économique, qui permet d’assurer une série de droits économiques, sociaux et culturels. Mais, comme d’autres pays l’ont montré, il n’est nullement nécessaire pour atteindre de tels objectifs de sacrifier les droits civils et politiques, tout aussi essentiels. Les droits humains forment un tout indivisible et ne peuvent être joués les uns contre les autres. C’est bafouer la dignité des citoyens que de les considérer comme mineurs, de les empêcher de s’exprimer et de participer librement et démocratiquement à la l’invention de leur avenir.

Un indispensable devoir de regard

La Chine joue de plus en plus de sa puissance économique pour tenter de faire taire toutes critiques, qu’elles émanent d’autres États, ou même d’employé·e·s de partenaires commerciaux. Il ne devrait pas être question d’accepter que la Chine exporte ses lamentables pratiques en matière de droits humains, telle la censure. Et quelle sera notre attitude face à des entreprises chinoises qui se rendent complices de graves violations de droits humains en Chine ou à l’étranger ? Alors que la loi chinoise oblige ses entreprises et les ses étudiants à l’étranger à partager toutes informations utiles avec l’État à sa demande, la vigilance ne devrait-elle pas s’imposer ?

Sur tous ces sujets, la Chine a reçu de nombreuses recommandations (entre autres de la Belgique) lors de l’examen périodique de la situation des droits humains aux Nations Unies fin 2018. L’attachement aux valeurs universelles qui sont aussi celles des Chinois·e·s nous impose un difficile devoir de regard face à ce régime totalitaire. En tant que citoyen·ne·s, consommateur·rice·s, acteur·rice·s politiques, économiques et scientifiques, nous devons répéter à la Chine qu’elle ne sera reconnue comme véritable partenaire qu’en assumant son devoir de servir pleinement les droits humains pour tou·te·s.

Cette carte blanche a été publiée dans La Libre Belgique du 16 novembre 2019.

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