Les complicités européennes dans le programme de torture des prisons secrètes de la CIA

James Mitchell semblait presque nostalgique en décrivant les diverses méthodes qu’il avait employées pour torturer certains des hommes assis en face de lui. Devant une salle d’audience bondée au centre de détention de Guantánamo, James Mitchell a raconté avoir soumis Khalid Sheikh Mohammed, accusé d’avoir participé aux attentats du 11 septembre 2001, au « waterboarding » (simulacre de noyade) des dizaines de fois et avoir soumis des détenus à la technique du « walling », qui consiste à les projeter avec force à répétition contre un mur. Il a raconté avoir soumis des détenus à des jours de privation de sommeil, leur avoir asséné des gifles, leur avoir infligé cris et insultes, et avoir menacé de trancher la gorge du fils de l’un des accusés.

Attentats du 11 septembre : des déclarations extorquées sous la torture

Ce témoignage glaçant s’inscrivait dans les éléments de preuve livrés par James Mitchell lors des audiences préliminaires concernant cinq hommes devant être jugés pour leur participation aux attentats du 11 septembre 2001. Ces cinq accusés – Khalid Sheikh Mohammed, Ramzi bin al Shaibh, Walid bin Attash, Ammar al Baluchi et Mustafa al Hawsawi – pourraient être condamnés à mort s’ils sont déclarés coupables par les commissions militaires de Guantánamo.

Leurs avocats souhaitent que toutes les déclarations extorquées sous la torture soient exclues, y compris les déclarations recueillies par le FBI après l’arrivée de ces hommes à Guantánamo. Ils font valoir que le FBI a coopéré aux interrogatoires de la CIA et que toutes les déclarations faites à ses agents sont entachées d’actes de torture.

Aucun responsable du programme de torture mis en place par les États-Unis n’a été amené à rendre des comptes

James Mitchell et son collègue John « Bruce » Jessen ont joué un rôle majeur dans la conception et la mise en œuvre des fameuses « techniques d’interrogatoire améliorées » qui ont servi à torturer des hommes dans des sites noirs autour du globe. Aucun responsable du programme de torture mis en place par les États-Unis n’a été amené à rendre des comptes.

L’Union européenne complice des actes de torture

Toutefois, les États-Unis n’ont pas agi seuls. Au moins trois États membres de l’Union européenne (UE) ont hébergé des sites secrets de la CIA dans le cadre de la « guerre mondiale contre le terrorisme ». Les accusés présents dans la salle d’audience à Guantánamo ont subi des tortures et des mauvais traitements en Pologne, en Lituanie et en Roumanie. Cependant, la complicité de ces pays dans des actes de torture, un crime relevant du droit international, n’a pas été mentionnée une seule fois dans cette salle. Il était interdit à tous de dire ou d’indiquer que des pays européens ont hébergé des sites noirs et facilité les violations commises dans ces sites. Personne dans ces pays n’a été inculpé d’avoir facilité ces crimes.

La Cour européenne des droits de l’homme a déjà rendu un arrêt concernant une plainte contre la Pologne, statuant qu’elle s’était rendue complice de la disparition forcée et de la torture infligée par la CIA aux détenus Mohammed al Nashiri et Abu Zubaydah, tous deux encore détenus à Guantánamo. Khalid Sheikh Mohammed, Walid bin Attash et Ramzi bin al Shaibh ont également été détenus dans la prison secrète polonaise, située à Stare Kiejkuty, en fonction entre 2002 et 2004.

Des techniques d’interrogatoire sadiques

James Mitchell a affirmé que ces « techniques » sortaient du cadre de ce qui était « autorisé »

Mohammed al Nashiri a été soumis à un simulacre d’exécution, une arme pointée sur la tête ; les agents chargés de l’interroger ont menacé d’agresser sexuellement sa mère. James Mitchell a affirmé que ces « techniques » sortaient du cadre de ce qui était « autorisé » dans les notes juridiques publiées par le Bureau juridique de la Maison-Blanche afin de justifier l’injustifiable. Mais il est évident, au regard des comportements sadiques révélés dans un rapport du Sénat de 2014, que les techniques d’interrogatoire améliorées « autorisées » ont souvent encouragé les interrogateurs – leur donnant l’impulsion et la couverture pour infliger des violences encore plus cruelles à certains détenus.

La CIA responsable d’actes de torture barbares

Mustafa al Hawsawi, l’un des accusés dans l’affaire des attentats du 11 septembre présents dans la salle d’audience, a enduré des actes d’une grande barbarie entre les mains de la CIA. Un rapport du Sénat de 2014 recensait certains des problèmes de santé dont il souffre, clairement liés à un « examen rectal » réalisé avec une « force excessive » lorsqu’il était détenu dans une prison secrète en Afghanistan. « Les dossiers de la CIA indiquent que l’un des détenus, Mustafa al Hawsawi, a été par la suite diagnostiqué comme souffrant d’hémorroïdes chroniques, d’une fissure anale et d’un prolapsus rectal symptomatique. »

Les accusés présents dans la salle d’audience à Guantánamo ont subi des tortures et des mauvais traitements en Pologne, en Lituanie et en Roumanie

Mustafa al Hawsawi a subi un viol anal pendant sa détention par la CIA et les effets prolongés des dommages corporels qu’il a subis étaient un point essentiel lors de son transfert dans une prison secrète en Lituanie en 2005. Les autorités lituaniennes ont refusé de prodiguer des soins médicaux pour les affections graves de Mustafa al Hawsawi et d’autres prisonniers, et les États-Unis ont dû recourir aux services d’autres gouvernements pour ces soins.

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a également statué contre la Lituanie pour avoir facilité volontairement la disparition et la torture d’Abu Zubaydah dans la prison secrète de la CIA qui se trouvait sur son sol. Cette année, la CEDH examinera la plainte déposée par Mustafa al Hawsawi contre la Lituanie.

En regardant Mustafa al Hawsawi dans la salle d’audience, on voyait clairement les effets des actes de torture qu’il a subis. Il se déplaçait lentement et avait besoin d’un oreiller pour s’asseoir afin d’écouter le témoignage de James Mitchell. Ici, à Guantánamo, il a déposé une requête devant la commission militaire demandant que son dossier soit rejeté en raison de « la conduite scandaleuse du gouvernement ».

Des procès équitables pour les détenus de Guantánamo

Amnesty International a répété à maintes reprises que les détenus à Guantánamo devaient être jugés dans le cadre de procès équitables devant des tribunaux fédéraux américains ou libérés – les tribunaux militaires de Guantánamo ne respectant pas les normes internationales d’équité.

Cependant, ce regain d’intérêt pour Guantánamo est aussi l’occasion d’amener à rendre des comptes les alliés européens des États-Unis ayant hébergé des sites noirs importants, contribué à « faire disparaître » des détenus et favorisé la torture et les mauvais traitements. Le fait qu’ils regardent la procédure qui se déroule à Guantánamo de loin, à l’abri et sans avoir de comptes à rendre, est scandaleux.

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