Non, la Belgique ne protège toujours pas contre le viol et les violences sexuelles Par Zoé Spriet-Mezoued, chargée de campagne droits des femmes pour la section belge francophone d’Amnesty International et Joëlle Delmarcelle, directrice de SOS Viol

Viol violences sexuelles femmes

Dans le brouhaha politique de la formation du gouvernement, un rapport, pourtant essentiel, est presque passé inaperçu : celui du comité GREVIO (Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique), en charge de l’évaluation de la mise en œuvre de la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe — signée et ratifiée par la Belgique —, un dispositif européen contraignant qui a pour objectif de lutter contre les violences faites aux femmes.

Ce document, qui pointe les insuffisances de la Belgique en la matière, notamment en ce qui concerne la lutte contre les violences sexuelles, est particulièrement édifiant, jetant une lumière crue sur ce que les ONG avaient mis en avant il y a quelques mois, à savoir que seuls 20 % de la Convention était appliquée en Belgique.

Faut-il rappeler l’ampleur des violences faites aux femmes dans notre pays ? En mars dernier, Amnesty International et SOS Viol mettaient en lumière la terrible réalité du viol et des violences sexuelles à travers les résultats d’un sondage réalisé par l’Institut Dedicated. On y découvrait notamment que, parmi les femmes interrogées, 20 % déclaraient avoir été victimes de viol et 23 % avoir été forcées d’avoir des relations sexuelles par leur partenaire. Ces données, ainsi que les autres mises en évidence par ce sondage, font écho aux manques de nos autorités dans ce domaine, étant donné la responsabilité qui leur incombe de collecter ce genre d’informations, comme l’épingle le rapport GREVIO, qui déplore le manque flagrant de données sur les violences faites aux femmes. Autre signal alarmant : le sondage commandé par Amnesty et SOS Viol montre aussi que la culture du viol empreigne toute la société belge, les jeunes en particulier. Ainsi, un tiers d’entre eux·elles pensent que si une personne ne dit pas explicitement « non », cela ne peut pas être un viol. Partant de ce constat, nos deux organisations ont lancé une campagne de sensibilisation sur la notion de consentement auprès des jeunes hommes de 15 à 25 ans.

Ce qui est clair, c’est que la réponse de nos autorités à ces fléaux que sont le viol et les violences sexuelles est largement insuffisante. En 2019, plus de la moitié des dossiers pour viol étaient en effet classés sans suite. Le comité GREVIO, en rappelant qu’« en l’absence d’un processus mettant les auteurs face à leur responsabilité, il est peu probable que les violences cessent et les poursuites et les sanctions sont donc un élément essentiel de la protection des femmes », rejoint les recommandations d’Amnesty International et de SOS Viol pour l’amélioration des poursuites judiciaires. Et si la qualité des enquêtes est à revoir, celle de l’accueil et du suivi des victimes par les professionnel·lle·s de la police et de la justice, notamment, doit l’être également. En ligne avec les constats des organisations, le rapport déplore le manque de formation des acteurs de première ligne, notamment du personnel policier et judiciaire, les formations obligatoires étant l’exception, « alors qu’elles devraient être la norme ». Ces lacunes peuvent rendre le parcours d’une victime particulièrement compliqué, notamment lorsque son vécu est minimisé ou banalisé, ou lorsque des questions peuvent lui faire penser qu’elle porte une forme de responsabilité pour le viol ou l’agression sexuelle subie.

« La lutte contre le viol, en réponse aux exigences de la Convention d’Istanbul, requiert des moyens conséquents. Or, nous assistons paradoxalement à une baisse progressive du financement des politiques de lutte contre les violences faites aux femmes et des associations spécialisées »

La lutte contre le viol, en réponse aux exigences de la Convention d’Istanbul, requiert des moyens conséquents. Or, nous assistons paradoxalement à une baisse progressive du financement des politiques de lutte contre les violences faites aux femmes et des associations spécialisées. C’est pourquoi le Comité GREVIO plaide pour que le secteur associatif ait accès à des financements suffisants et structurels. Cet apport pourrait permettre, entre autres, d’étendre enfin les plages horaires du numéro vert 0800/98 100 sur les violences sexuelles, qui n’est accessible qu’en journée, les jours de semaine. Le rapport souligne d’ailleurs l’importance de disposer de lignes d’écoute pour les victimes disponibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

L’annonce récente de l’ouverture prochaine de sept nouveaux Centres de prise en charge des violences sexuelles, ainsi que celle de la formation obligatoire des juges sur les violences sexuelles, sont de bon augure, mais beaucoup reste à faire, à tous les niveaux de pouvoir. Le rapport GREVIO souligne d’ailleurs la nécessité de renforcer la coordination entre ces derniers.

Chez Amnesty et SOS Viol, nous attendons donc avec impatience le nouveau Plan d’action national, qui devra répondre aux recommandations du GREVIO et des associations, afin que la Convention d’Istanbul soit mieux appliquée en Belgique et que les femmes et jeunes filles soient enfin mieux protégées contre les violences sexuelles dans notre pays.

Cette carte blanche a initialement été publiée dans le journal La Libre Belgique.

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