Afrique du Sud : Un manifeste pour les droits humains à l’approche des élections Par Kumi Naidoo, secrétaire général d’Amnesty International

Dans moins de deux semaines, l’Afrique du Sud tiendra ses sixièmes élections depuis la fin de l’apartheid. Cela fait 25 ans que le pays s’est défait de ce joug et que le mouvement One Man, One Vote [Une personne, une voix] a abouti à ce qui était considéré comme les premières élections « libres », le 27 avril 1994.

Bien que beaucoup ait été fait en un quart de siècle pour éliminer les injustices, il semble que nous ayons fait quelques pas en arrière. Le triple fardeau que constituent le chômage, la pauvreté et les inégalités persiste ; il est le lot quotidien de millions de personnes en Afrique du Sud.

Cette semaine, Amnesty International, l’organisation que je dirige, a lancé un manifeste pour les droits humains en Afrique du Sud, qui appelle toutes les parties qui se disputent le pouvoir à s’engager à placer les droits humains au cœur de leurs politiques.

Dans notre manifeste, nous avons indiqué des domaines dans lesquels, au bout de 25 ans, l’Afrique du Sud a encore du mal à satisfaire les besoins de son peuple.

Commençons par le changement climatique. L’Afrique du Sud, comme le reste du monde, ressent déjà les effets ravageurs liés au climat. Il y a deux ans, Le Cap s’est pratiquement retrouvé privé d’eau à cause d’un déficit de précipitations et de conditions de sécheresse extrême.

Ces dernières semaines, la ville de Durban et la partie sud de la province du Cap-Oriental ont subi des inondations dévastatrices et sans précédent, qui ont détruit des logements et des infrastructures vitales. Des dizaines de personnes, notamment des bébés et des enfants, sont mortes.

Les responsables politiques ne peuvent feindre la surprise. Alors que nous sommes face au changement climatique, les candidat·e·s passent beaucoup de temps à faire des promesses vaines et éculées pendant leur campagne. Ils devraient plutôt expliquer clairement à la population comment ils entendent protéger l’environnement et les droits des personnes après les élections.

De fait, ils ne peuvent pas parler d’avenir s’ils ne s’attaquent pas au changement climatique. Ce à quoi nous avons assisté au Malawi, au Mozambique et au Zimbabwe lors du passage du cyclone Idai ne fait qu’illustrer une nouvelle réalité terrifiante. Au moment où j’écris ces lignes, des habitant·e·s de la même région sont sous la menace imminente d’une autre tempête cataclysmique, le cyclone Kenneth.

Les climatologues du monde entier ont prévenu : pour avoir une chance de limiter la hausse des températures à moins de 1,5 degré Celsius au niveau mondial, nous devons diviser par deux nos émissions entre 2010 et 2030 et ne provoquer aucune émission supplémentaire dans l’atmosphère d’ici à 2050.

Nous avons 10 ans, huit mois et trois jours pour y parvenir. Il faut que nos dirigeant·e·s se mobilisent immédiatement pour faire que chaque jour et chaque action comptent. Il ne s’agit pas simplement d’éviter une nouvelle catastrophe mais de prendre conscience qu’un autre monde est possible.

Pour l’Afrique du Sud, cela pourrait consister à mettre en place un système efficace grâce auquel davantage de personnes pourraient accéder à des énergies moins onéreuses et plus propres. Cela pourrait être porteur de débouchés professionnels dans de nouveaux secteurs. Enfin, cela pourrait passer par l’amélioration de la protection du bien-être des personnes et, partant, des droits fondamentaux.

S’agissant de concrétiser le droit à la santé pour tou·te·s, la Constitution sud-africaine dispose que « toute personne a le droit d’avoir accès à des services de santé, y compris de santé reproductive ». En réalité, des millions de Sud-Africain·ne·s sont encore privés de soins faute de transports médicaux et de médicaments, ce à cause de la corruption et d’une mauvaise gestion des services.

L’Afrique du Sud enregistre l’un des taux de violences liées au genre les plus élevés au monde. Les femmes et les filles continuent de souffrir de violences ciblées, comme les viols et les agressions, perpétrées par des hommes qui les voient comme des proies faciles. Par conséquent, elles ont peur de marcher dans la rue à cause des violences généralisées qui sont encouragées, en partie, par l’impunité. Malgré tout, comme nous l’observons avec le mouvement en faveur des droits des femmes qui prend de l’ampleur, des femmes de tout le pays font preuve d’une résilience et d’un courage formidables pour réclamer un avenir plus équitable. Rappelons-le, nos dirigeant·e·s sont tenus de concrétiser ces revendications.

Dans le domaine de l’éducation, des progrès considérables ont été accomplis en ce qui concerne l’accès à l’éducation pour tou·te·s depuis la fin de l’apartheid. Cependant, notre système éducatif rencontre encore d’importantes difficultés, qui reflètent les profondes inégalités socio-économiques, alors que l’Afrique du Sud peine à éliminer les traces d’un régime oppressif.

Vingt-cinq ans après la fin de l’apartheid, la pénurie de manuels scolaires, les salles de classe bondées et les écoles en terre crue sont encore caractéristiques des conditions d’apprentissage de nombreux enfants dans différentes régions du pays, ce qui ne leur permet pas de réaliser pleinement leur potentiel.

Onze ans après l’une des pires flambées de violence xénophobe, les personnes réfugiées, demandeuses d’asile ou migrantes continuent d’être victimes d’une discrimination constante et de vivre dans la peur des attaques en raison des défaillances de longue date du système judiciaire et des discours de haine inacceptables auxquels se livrent certains dirigeant·e·s politiques pour obtenir des voix.

Sur la scène internationale, l’Afrique du Sud n’est pas suffisamment présente sur le front de la politique étrangère depuis quelques années. Le pays a brillé par son absence dans des situations où il aurait pu faire la différence, abandonnant ainsi des millions de personnes prises en étau entre des dirigeant·e·s politiques belliqueux, sur le continent et ailleurs.

En juin 2015, le président soudanais Omar el Béchir, l’un des plus anciens fugitifs accusés de crimes contre l’humanité et de génocide, a pu entrer sur le territoire pour participer au sommet de l’Union africaine... et repartir. Pourtant, la Cour pénale internationale (CPI) lui avait décerné des mandats d’arrêt pour des crimes de droit international. L’Afrique du Sud a même aidé Omar el Béchir à échapper à la justice, alors que la CPI lui avait clairement signifié ses obligations dans les mois précédant la visite de celui-ci. Elle a annoncé ensuite son intention de se retirer de la CPI, évitant ainsi de se confronter aux victimes de violations des droits humains dans le monde entier. Il reste encore un espoir que cette intention ne se concrétise pas et que le futur gouvernement se rende compte que l’Afrique du Sud a un rôle à jouer dans l’administration de la justice à l’échelon international.

Ces défis relatifs aux droits humains sont immenses mais pas impossibles à relever. Quiconque a l’ambition de diriger l’Afrique du Sud après le 8 mai devra instaurer des politiques reflétant cette aspiration. En effet, la nation qui a mis fin à l’apartheid sait sans doute mieux que toute autre comment imaginer un monde meilleur et se battre pour en faire une réalité. Tous les gouvernements futurs doivent s’inscrire dans le droit fil de cet héritage.

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