« En RDC, un défenseur des droits humains est une bête noire à abattre »

Être un·e militant·e prodémocratie en République démocratique du Congo (RDC) n’est pas de tout repos. Judith Maroyi et Carbone Beni, respectivement membres de « Lutte pour le changement » (LUCHA) et « Filimbi », deux organisations qui ont subi de plein fouet la répression du gouvernement, nous en ont fait le témoignage. Entretien.

  • Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?

CB : Je suis Carbone Beni, membre du mouvement citoyen Filimbi en République démocratique du Congo (RDC).

JM : Je m’appelle Judith Maroyi, je suis militante au sein du mouvement citoyen Lutte pour le changement (LUHCA) dans la section de Bukavo, la ville d’où je viens. LUCHA est un mouvement du Congo qui vu le jour dans la ville volcanique de Guma en 2016, où la plupart des jeunes se sont indignés de la situation socio-économique dans laquelle ils vivaient. Il était temps de réclamer le respect de leurs droits, tels que l’accès à l’eau, à l’électricité, aux soins et à des bonnes infrastructures. Les besoins primaires de base n’étant pas respectés, il fallait les réclamer d’une toute autre manière. Ainsi le mouvement citoyen a vu le jour.

  • Quelle est la situation des droits humains au Congo ?

JM : Pendant très longtemps il y a eu une absence d’un Etat de Droit, cela a conduit à plusieurs violations graves des droits humains et des femmes en particulier. Dans un pays où rien ne va, les droits de la femme sont oubliés parmi tant d’autres droits. C’est aussi cela qui a entraîné la création de notre mouvement. La situation des droits humains en RDC est alarmante. Bien que la Constitution et toutes les lois du pays garantissent le droit au travail, le citoyen n’y a pas accès. Les droits civiques et politiques ne sont pas non plus respectés, il existe, entre autres, des arrêtés interdisant toutes manifestations publiques.
Pour les femmes, au-delà de la discrimination pour le simple fait d’être femme, leurs droits demeurent une utopie. Pourtant, l’article 14 de la Constitution garantit la représentation des femmes dans les institutions à plus ou moins trente pour cents, mais ce n’est pas effectif. La situation des droits humains au Congo est un problème sérieux et nécessite l’attention de tous. C’est pourquoi nous nous investissons.

CB : Néanmoins, il y a presque quatre mois le pouvoir a changé au sommet de l’état. On peut dire qu’il y a de bons signaux en terme de décrispation de l’environnement politique. Jusque-là, en terme de violation des droits humains, les choses ne se passent pas comme au temps de Kabila. Je pense qu’il y a quand même une évolution assez importante, mais j’insiste, ça ne fait quatre mois, donc il faut voir la situation après une année ou deux avec le président Félix.

  • Quelles sont les difficultés rencontrées par les défenseurs des droits humains en RDC ?

JM : Premièrement, un défenseur des droits humains était une bête noire à abattre. En mettant à nu les violations des droits humains commises, dans la plupart des cas par des officiels ou par les autorités politico-administratives, le défenseur devient une personne à abattre.
Deuxièmement, les défis sont énormes : le Congo est un pays immense, il y a des violations à Kinshasa, à l’Ouest comme à l’Est que le défenseur est obligé de défendre, mais il ne peut pas être partout. Le défenseur est également limité par le manque de moyens, ce qui diminue sa performance.
Troisièmement, il y a le problème de l’accès à l’information. Le pays est enclavé, les violations dans les campagnes ou les villages sont moins documentées par les défenseurs qui n’ont pas accès à ces endroits, par le fait de l’insécurité ou par l’impossibilité de se rendre sur ces lieux reculés.
Au final, ce sont des défis d’ordre sécuritaires, économiques et politiques qui ne permettent pas au défenseur d’être performant et efficace dans son travail.

CB : Nous avons également une police qui n’est pas totalement formée dans le respect des droits de l’homme, dans le respect de la vie humaine, et de la dignité humaine. Quand on mène des activités, il y a la police qui réprime brutalement, non pas parce qu’ils doivent le faire, mais parce que leur mentalité est déformée.
Puis vous avez aussi le service de renseignement. Lorsque Joseph Kabila était au pouvoir, ce service travaillait pour réprimer tout activiste défenseur des droits humains sur le terrain ou après une publication. Les difficultés passent par des arrestations, des intimidations, des menaces de mort, des privations arbitraires de liberté et des enlèvements. On les a subi et ça n’a pas été facile.

  • Quel a été l’apport d’Amnesty ?

CB : En RDC et précisément en ce qui concerne Filimbi, Amnesty International a joué un rôle important, il faut le dire. Dans le fait de dénoncer, faire des recommandations aux institutions de la République et des campagnes au niveau international. Particulièrement pour nous, lorsque nous étions en prison de décembre 2017 à décembre 2018, Amnesty a mené des campagnes importantes qui ont sensiblement touché les institutions du pays. Je crois que le rôle d’Amnesty International est déterminant dans ce que les activistes font.
Lors de ma détention, j’ai suivi par la voie des réseaux sociaux les publications de campagnes pour notre libération avec nos photos. A l’époque, on attendait la décision du tribunal qui pouvait nous condamner jusqu’à trois ans. Amnesty a mené cette campagne et on en a eu échos tout au long du procès parce qu’on avait la possibilité de communiquer avec l’extérieur.

JM : Amnesty amène plus haut les cris des défenseurs, de par son plaidoyer, les campagnes et les pétitions. Par exemple, si un étudiant se fait chasser de son école en raison de son activisme, Amnesty tiendra à cœur de le défendre, fera une campagne ou fera signer des pétitions en sa faveur. Amnesty donne également la chance de venir et rencontrer des personnalités pour plaider en faveur des droits humains au Congo.
Malgré tout Amnesty peut mieux faire, ils en sont capables. Ill faut intensifier le travail de plaidoyer en faveur des défenseurs et pour que justice soit faite contre toute personne impliquée de loin ou de près dans une violation de droit humains.

  • Comment nos membres et nos sympathisants peuvent-ils contribuer à la situation des droits humains en RDC ?

CB : Il faut continuer à sensibiliser, à mener des campagnes, à dénoncer et à faire des appels. Ca joue un rôle important et puis ça permet de changer sensiblement les choses. Les militants d’Amnesty International, comme bien sûr, je suis militant d’Amnesty, c’est de continuer à travailler à ce niveau de réseautage pour être cette équipe qui peut faire bouger les choses quand ça ne va pas.

JM : Un peuple traumatisé a besoin de voir que d’autres jeunes sont solidaires. Les membres d’Amnesty, par leurs moyens politiques et tout ce qu’il y a à leur disposition, peuvent faciliter la paix durable au Congo et cela pourrait aider à soulager le peuple congolais de sa peine.

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