Égypte, le nouveau projet de loi sur les ONG doit être rejeté

Bien que le gouvernement égyptien affirme le contraire, le nouveau projet de loi sur les ONG adopté par le Parlement le 15 juillet 2019 conserve le caractère répressif de la loi de 2017 actuellement en vigueur et contribuerait à perpétuer la répression qui pèse sur les défenseurs des droits humains et les organisations indépendantes de la société civile, a déclaré Amnesty International le 16 juillet. Le président égyptien Abdel Fattah al Sissi doit rejeter ce projet de loi et ordonner qu’il soit amendé afin de le rendre conforme au droit international relatif aux droits humains et aux normes en la matière [2].

Face aux critiques généralisées et à la demande du président, le ministère de la Solidarité sociale a rédigé un texte destiné à remplacer la loi sur les ONG de 2017, officiellement appelée Loi n° 70 de 2017 sur les Associations. En mai 2019, il a soumis le projet au Parlement, qui l’a approuvé le 15 juillet. Le président a 30 jours pour examiner le nouveau projet de loi ; s’il ne le rejette pas, ce texte entrera alors en vigueur.

Amnesty International a analysé le texte du projet de loi, qui se décline en 98 articles, et l’a comparé avec la Loi n° 70 de 2017. Si l’exposé des motifs qui accompagne le nouveau projet de loi assure que les rédacteurs ont pris en considération les « lacunes » de la loi de 2017 et veillé à sa conformité avec les normes internationales, Amnesty International estime après évaluation que ce texte conserve majoritairement les dispositions les plus draconiennes de la loi de 2017 et que la plupart des changements sont de pure forme.

Un changement apparemment important est la suppression de la menace explicite de peines de prison pour les membres du personnel d’ONG qui, entre autres, reçoivent des financements étrangers sans autorisation. Cependant, le projet de loi fait référence à d’autres outils législatifs qui peuvent être et sont utilisés pour poursuivre et incarcérer des défenseurs des droits humains sur la base d’accusations vagues et générales, comme la loi antiterroriste profondément répressive.

À l’instar de la loi actuelle [3], le projet de loi viole la Constitution égyptienne de 2014 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [4], la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples [5] et la Charte arabe des droits de l’homme [6], traités relatifs aux droits humains ratifiés par l’Égypte et intégrés dans la Constitution égyptienne en tant que source du droit [7].

Champ d’activité des ONG

Le projet de loi ne requiert pas explicitement que « le travail des ONG s’aligne sur les priorités et les projets du gouvernement », contrairement à la loi de 2017. Cependant, il semble tout autant conçu pour limiter fondamentalement le rôle des organisations de défense des droits humains s’agissant de recenser les atteintes à ces droits et de demander aux autorités de rendre des comptes. Il restreint indûment la capacité des ONG à définir leur objectif et leur domaine de travail et confine le champ de leurs activités au « développement sociétal ».

Ce projet de loi continue d’interdire aux ONG de mener des recherches et d’en publier les conclusions sans autorisation préalable du gouvernement. Il confère aux autorités égyptiennes des pouvoirs très étendus pour dissoudre les ONG et engager des poursuites pénales contre les membres du personnel sur la base d’accusations vagues et générales, telles que « troubles à l’ordre public » et « atteintes à la sécurité nationale ». Au regard des déclarations du gouvernement et des milliers de poursuites intentées, il est clair que, de son point de vue, manifester pacifiquement, publier des articles critiquant le gouvernement et mener un travail de plaidoyer sur des questions relatives aux droits humains sont des activités qui troublent l’ordre public et portent atteinte à la sécurité nationale.

Formation et enregistrement

Si l’article 3 du projet de loi indique que les personnes qui souhaitent enregistrer une organisation doivent simplement en informer les autorités, l’article 10 confère au gouvernement le droit de s’opposer à l’enregistrement des ONG dans un délai de 60 jours à compter de la date de notification, s’il établit que les activités proposées constituent des infractions au titre du Code pénal et d’autres textes de loi qui criminalisent et restreignent indûment l’exercice légitime des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. En outre, il confère aux autorités le pouvoir de refuser la création des ONG pour des motifs très généraux, comme la crainte qu’elles ne « portent atteinte à l’unité nationale » ou « troublent l’ordre public ». Dans la pratique, Amnesty International redoute que les citoyens ne doivent demander la permission des autorités pour former des ONG. Qui plus est, le projet de loi exige que les ONG adoptent des règlements exécutifs dans les six mois et adaptent leur statut juridique conformément au projet de loi dans un délai d’un an, au risque d’encourir des sanctions.

La Constitution égyptienne de 2014 garantit aux citoyens le droit de former des ONG et d’en informer simplement les autorités, sans devoir leur demander la permission. L’article 75 dispose : « Tous les citoyens ont le droit de former des organisations non gouvernementales et des associations ayant une base démocratique, qui doivent obtenir la personnalité juridique dès leur déclaration. »

Des experts de l’ONU ont critiqué les situations dans lesquelles l’approbation du gouvernement, et non une simple déclaration, est exigée pour former des organisations. Le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a notamment déclaré qu’une procédure de notification préalable – plutôt qu’une procédure exigeant l’autorisation préalable du gouvernement – se conforme davantage au droit international relatif aux droits humains et que les États doivent mettre en œuvre cette procédure afin que « les associations se voient automatiquement accorder la personnalité juridique dès que leurs fondateurs en notifient la création aux autorités » [8].

La Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme a commenté : « Tout individu devrait être autorisé, si tel est son souhait, à s’associer à d’autres pour se livrer à des activités légales sans avoir à se faire enregistrer comme personne morale » ; en outre, l’enregistrement devrait être requis uniquement si les individus formant l’organisation souhaitent l’établir en tant que personnalité légale distincte [9].

Ingérence de l’exécutif

À l’image de la loi actuelle, le projet de loi permet au pouvoir exécutif de s’ingérer indûment dans le travail des ONG : il peut suspendre leurs activités à tout moment et les dissoudre sur la base de préoccupations formulées en termes vagues. En outre, en vertu du projet de loi, les ONG nationales et internationales doivent obtenir la permission des autorités pour collecter des fonds, qu’ils proviennent de sources locales ou étrangères.

Le projet de loi prévoit des sanctions pour les membres du personnel d’ONG ayant commis des actes qui bafouent notamment ces dispositions. Il s’agit entre autres d’activités protégées par le droit à la liberté d’association ou d’expression, comme le fait de recevoir des fonds étrangers ou locaux ou de collecter des fonds localement sans la permission des autorités, de mener des recherches et des sondages et d’en publier les conclusions sans l’approbation des autorités, et de mener des activités, y compris conjointement avec des ONG étrangères, sans la permission des autorités. La loi de 2017 prévoit des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. Ce n’est pas le cas du nouveau projet de loi, qui prévoit toutefois des amendes allant de 200 000 à 1 million de livres égyptiennes (10 700 à 53 700 euros) pour les personnes reconnues coupables de ces faits. En outre, il fait toujours référence à d’autres dispositifs législatifs, tels que la loi antiterroriste, qui peuvent être et sont utilisés pour poursuivre et incarcérer des défenseurs des droits humains sur la base d’accusations vagues et générales.

La loi actuelle sur les ONG stipulait qu’il fallait établir une « autorité nationale » chargée de réglementer le travail des ONG étrangères, afin d’évaluer s’il convenait de les autoriser à recevoir des fonds étrangers ou locaux ; cet organisme devait se composer de représentants de plusieurs services de sécurité et de renseignement. Cependant, il n’a toujours pas été mis sur pied. Quant au projet de loi, il prévoit la création d’un organisme différent, l’Unité centrale pour le travail des associations et de la société civile. Il ne précise pas si cette unité englobera des membres des services de renseignement et de sécurité, mais indique que sa composition sera clarifiée dans les décrets d’application qui suivront. Elle sera chargée par le gouvernement de « surveiller et superviser » les ONG locales et étrangères et de coordonner son action avec les services compétents si une ONG est soupçonnée de financer le terrorisme. On ignore encore l’étendue des pouvoirs de cette unité, mais Amnesty International craint que son mandat ne favorise l’ingérence des services de sécurité et de renseignement dans le travail des ONG.

Tout comme la loi de 2017, le projet de loi confère aux autorités égyptiennes le pouvoir de s’ingérer dans la composition des bureaux des ONG en interdisant à des candidats de participer aux élections s’ils « ne remplissent pas les conditions nécessaires ».

L’article 75 de la Constitution égyptienne de 2014 garantit le droit à la liberté d’association et dispose sans équivoque que les ONG « doivent être autorisées à agir librement. Les autorités administratives ne peuvent s’ingérer dans les affaires de ces organisations, les dissoudre, dissoudre leurs organes de direction ou leurs conseils d’administration, qu’à la suite d’une décision de justice ».

Le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association a souligné le droit des organisations de solliciter, recevoir et utiliser des fonds émanant de sources nationales, étrangères et internationales sans entraves ni contraintes : « Les associations, enregistrées ou non, devraient avoir le droit de solliciter des fonds et des ressources auprès d’entités nationales, étrangères et internationales et de recevoir de tels fonds, notamment d’individus, d’entreprises, d’organisations de la société civile, de gouvernements et d’organisations internationales [10].. »

Par ailleurs, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a demandé aux États, dans une résolution sur la protection des défenseurs des droits humains adoptée le 21 mars 2013, de « veiller à ne pas imposer de restrictions de façon arbitraire aux sources potentielles de financement dont l’objectif est de soutenir les activités des défenseurs des droits de l’homme » [11].

Complément d’information

Depuis 2011, le gouvernement égyptien a proposé une série de lois répressives sur les ONG. Après l’adoption de la Loi n° 70 de 2017 sur les Associations, des organisations égyptiennes et internationales relatives aux droits humains ont fait campagne contre ce texte, formulant des critiques qu’ont relayées le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et des acteurs gouvernementaux influents tels que l’Union européenne et le gouvernement des États-Unis [12]. En novembre 2019, le président Abdel Fattah al Sissi a déclaré qu’il reconnaissait la nécessité d’une loi régissant les ONG « plus équilibrée ». Le ministère de la Solidarité sociale a examiné le texte actuel et proposé des amendements en se fondant sur une série de « sessions de dialogue national », soi-disant destinées à consulter la société civile. Toutefois, les organisations indépendantes de défense des droits humains n’ont pas réellement été consultées.

Le Parlement a adopté le projet de loi à un moment où les autorités répriment les organisations indépendantes de défense des droits humains. Des juges d’instruction ont imposé des interdictions de voyager à au moins 31 personnes et gelé les avoirs de 10 personnes et sept ONG dans le cadre d’une information judiciaire sur le financement étranger des ONG, l’« Affaire n° 173/2011 ». Si cette affaire est jugée devant les tribunaux, les accusations, toutes liées aux activités légitimes d’ONG, pourraient donner lieu à des condamnations aussi sévères que la réclusion à perpétuité pour des directeurs et des membres du personnel d’ONG.

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