Union européenne-Asie centrale. Le respect des droits humains et de la dignité humaine doivent être la pierre d’angle de tout engagement politique

AMNESTY INTERNATIONAL

Déclaration publique

EUR 57/001/2007

Les 27 et 28 mars, les ministres des Affaires étrangères de cinq républiques d’Asie centrale – le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan – rencontreront à Astana, au Kazakhstan, le ministre allemand des Affaires étrangères, actuel président pour six mois de l’Union européenne (UE) et d’autres hauts responsables de l’UE, en vue de débattre des efforts faits par l’UE pour renforcer ses relations avec les pays de la région. Au moment où l’UE développe une nouvelle stratégie à long terme pour ses relations avec l’Asie centrale, accordant davantage d’attention à la région, Amnesty International encourage l’UE à faire des droits humains et de la primauté du droit les éléments clés de sa stratégie et de son engagement politique avec les gouvernements d’Asie centrale. L’organisation demande instamment à l’UE de s’efforcer de faire comprendre aux gouvernements d’Asie centrale la nécessité de prendre des mesures concrètes visant à faire appliquer des dispositions législatives garantissant de manière efficace et durable à tous les peuples d’Asie centrale la protection de leurs droits fondamentaux et le respect de leur dignité.

Amnesty International s’inquiète de ce qu’en dépit des efforts professés par les gouvernements pour remplir leurs obligations en matière de respect des droits humains et des efforts réels de certains États pour remédier aux pires abus, de graves atteintes aux droits humains continuent d’être perpétrées en toute impunité. L’organisation rend public ce lundi 26 mars un résumé de ses préoccupations les plus urgentes concernant l’Asie centrale, mettant l’accent en particulier sur le sort des défenseurs des droits humains en Ouzbékistan.

Très peu d’agents de l’État sont traduits en justice et tenus pour responsables des atteintes aux droits humains qu’ils ont commises ; pourtant, des milliers de personnes déclarent régulièrement avoir été détenues de manière arbitraire, torturées ou soumises à de mauvais traitements lors de leur garde à vue, dans le but de leur arracher des aveux. La corruption parmi les agents de l’État chargés de l’application des lois et au sein de l’appareil judiciaire contribue largement au climat d’impunité qui règne dans la région. Ce climat d’impunité conduit à un manque de confiance de la population envers la justice. Personne ne porte plainte car le sentiment général est que l’on ne pourra obtenir ni justice ni réparation. Beaucoup ne veulent pas témoigner contre des policiers par crainte de représailles contre eux-mêmes ou leurs proches ou associés.

Les passages à tabac par les agents de la force publique, notamment dans les centres de détention temporaire, où les personnes interpellées sont placées avant inculpation, ou sur la voie publique sont monnaie courante. Les actes de torture et autres mauvais traitements en détention sont toujours très répandus dans toute la région et systématiques et endémiques en Ouzbékistan. En 2006, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a redit ses inquiétudes face à l’usage manifestement répandu de la torture en Ouzbékistan.

La « guerre au terrorisme » et la sécurité nationale sont fréquemment citées comme cruciales pour assurer la stabilité, mais sont trop fréquemment utilisées pour masquer la répression de toute forme d’opposition, consolider le pouvoir en place et s’attaquer à des groupes vulnérables ou perçus comme représentant une menace pour la sécurité nationale ou régionale, tels que les groups islamistes interdits et les mouvements d’opposition politique. Les demandeurs d’asile et les réfugiés sont fréquemment extradés vers la Chine et l’Ouzbékistan, où les risques de torture sont élevés, dans le cadre de la « guerre au terrorisme » et d’accords anti-terroristes, en violation flagrante du droit international relatif aux droits humains et aux droits des réfugiés.

Bien que la présomption d’innocence soit inscrite dans la loi, elle est régulièrement bafouée, notamment lorsque la sécurité nationale et la « guerre au terrorisme » sont évoquées ; les suspects sont présentés comme des coupables avant même le début de leur procès. En Ouzbékistan , la plupart des procès de personnes inculpées de terrorisme en 2005 et 2006 se sont tenus à huis clos, parfois même en secret, sans que soit annoncée leur date d’ouverture, sans que les proches ou un avocat choisi par l’accusé puissent y assister, sans que le verdict soit rendu public après l’énoncé de la sentence et sans que des informations soient communiquées concernant le lieu de détention des accusés. Les accusés comparaissant pour des affaires pénales en Ouzbékistan et dans d’autres républiques sont généralement placés dans des cages, donc présentés comme présumés coupables.

Les éléments de preuve s’appuyant sur des aveux arrachés sous la torture sont régulièrement déclarés recevables par les tribunaux.

Bien qu’inscrites dans la loi, la liberté d’expression et celle de la presse sont, dans la pratique, sévèrement restreintes en Asie centrale où peu de médias indépendants peuvent exister librement et où les gouvernements contrôlent l’accès à Internet. La diffamation, écrite ou orale, reste passible du pénal et les agents de l’État, tant au niveau national que local, engagent des procès en diffamation dans le but de réduire la critique et de limiter la liberté d’expression. Les journalistes et les défenseurs des droits humains sont fréquemment accusés de diffamation ; certains sont allés en prison pour avoir publié des articles sur des allégations de corruption ou des rapports faisant état d’actes de torture et mauvais traitements par des policiers.

En Turkménistan et en Ouzbékistan, la liberté des médias indépendants, qu’ils soient locaux ou internationaux, reste sévèrement limitée. Tous les médias nationaux au Turkménistan sont contrôlés par l’État et les autorités bloquent régulièrement l’accès aux sites web qui publient des informations « non souhaitées » ; elles n’hésitent pas non plus à appeler chez elles, pour les intimider, les personnes identifiées comme ayant visité ces sites. À de nombreuses reprises, des journalistes, photographes et observateurs étrangers chargés de mener des actions de surveillance du respect des droits humains sur le terrain n’ont pas obtenu le droit de se rendre au Turkménistan pour rassembler des informations sur le régime répressif en place. Les militants de la société civile au Turkménistan qui coopèrent avec des journalistes étrangers risquent la prison à l’issue de procès inéquitables, ainsi que des actes de torture et mauvais traitements. Ils risquent également d’être qualifiés de « traîtres » par les autorités. L’Ouzbékistan exerce un contrôle presque total sur les médias, contrôlant ce que produisent les médias locaux et ce qui arrive en provenance de l’étranger et limitant l’entrée et la libre circulation des correspondants étrangers.

La répression pour faire taire les militants des droits humains et les journalistes a été particulièrement dure au Turkménistan et en Ouzbékistan et elle ne montre aucun signe d’affaiblissement. En Ouzbékistan, les manifestations organisées pour protester contre la mort de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants sans arme tués à Andijan le 13 mai 2005, ont eu pour conséquence une accélération des emprisonnements, des mauvais traitements et du harcèlement de militants des droits humains au niveau individuel. Les autorités continuent de rejeter les appels en faveur d’une enquête internationale et indépendante sur le massacre d’Andijan.

Le projet de loi visant à abolir la peine de mort au Kirghizistan n’a toujours pas été voté, malgré l’adoption d’une nouvelle constitution prévoyant cette abolition en novembre 2006. Le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan ont tous décrété un moratoire sur les exécutions, même si la peine de mort figure toujours dans leurs textes de lois. L’Ouzbékistan a refusé d’imposer un moratoire sur les exécutions en dépit d’un décret présidentiel prévoyant l’abolition de la peine de mort à partir de 2008. Le secret continue de prévaloir dans tous les pays ; fréquemment, les corps des personnes exécutées ne sont pas rendus à leurs proches, qui sont rarement informés du lieu où le corps a été enterré et les statistiques concernant la peine de mort ne sont pas publiées. Amnesty International fait campagne pour que l’Asie centrale devienne une région où la peine de mort aura disparu.

Amnesty International appelle l’UE et les gouvernements du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Turkménistan et de l’Ouzbékistan à faire du respect des droits humains et de la dignité humaine la pierre d’angle de leur engagement.

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