TURKMÉNISTAN : Les droits humains : un chapitre manquant au « livre saint » du président Niazov.

Index AI : EUR 01/014/2003
ÉFAI

La situation des droits humains au Turkménistan est extrêmement préoccupante depuis des années. Elle s’est encore aggravée après la tentative d’assassinat présumée du président Saparmourad Niazov, en novembre 2002, a déclaré Amnesty International ce vendredi 12 septembre en lançant une série d’actions en réaction aux très graves atteintes aux droits humains commises dans ce pays.

« Malheureusement, bien que la nouvelle vague de répression se distingue par sa dureté, elle ne fait que refléter les pratiques cruelles dont les groupes de défense des droits humains ont fait état au cours de ces dernières années. »

Avant même les événements de novembre, il régnait au Turkménistan un climat caractérisé par une intolérance extrême vis-à-vis de toute opposition, une restriction des libertés publiques et religieuses, des emprisonnements répétés d’objecteurs de conscience, des persécutions de minorités religieuses, un contrôle strict des médias et une limitation de la liberté d’expression.

Depuis lors, de nombreux hommes, femmes et enfants ont subi des mises en détention, du harcèlement, des expulsions et des spoliations. Nombre d’entre eux auraient été visés uniquement à cause de leurs liens familiaux avec des opposants au régime. Des informations dignes de foi font état de torture et de mauvais traitements en détention ; des dizaines de personnes ont été condamnées à de lourdes peines de prison, allant jusqu’à l’emprisonnement à vie, après des procès manifestement inéquitables, au cours desquels ces personnes ont été reconnues coupables d’avoir participé à l’attentat présumé.

« La communauté internationale a oublié le Turkménistan trop longtemps ; en ayant recours à une politique restrictive de délivrance de visas et à un contrôle strict à l’intérieur du pays, les autorités font tout ce qui est en leur pouvoir pour qu’aucun média critique ne soit présent sur leur territoire », a ajouté Amnesty International.

« Loin du regard de la communauté internationale, le président Niazov célèbre en toute liberté son culte de la personnalité. Aujourd’hui vendredi 12 septembre, c’est le jour du Rukhnama au Turkménistan, un jour férié pour célébrer le livre " saint " du président, le Rukhnama (ou Livre de l’âme). Le président le compare à la Bible et au Coran ; il prétend que ce livre " est né dans (son) cœur par la volonté du Tout-Puissant ", et que le peuple turkmène doit vivre en suivant ses préceptes. »

Tout le monde doit connaître des passages du Rukhnama par cœur. Les écoliers, les étudiants, les professeurs et les détenus doivent régulièrement réciter des paragraphes du livre. Pour réussir leur examen d’entrée à l’université, les étudiants doivent répondre à des questions sur ce livre. Des détenus se sont vu refuser leur libération parce qu’ils n’avaient pas voulu jurer allégeance au président sur le Rukhnama.

La domination exercée par le président Niazov sur tous les aspects de la vie de son peuple, ainsi que le culte de la personnalité dont il s’est entouré, sont les facteurs principaux de l’impunité et des atteintes aux droits humains généralisées qui frappent le Turkménistan.

Une opposition politique réduite au silence

Depuis l’accès du Turkménistan à l’indépendance, en 1991, les autorités ont mené plusieurs vagues de répression contre les opposants politiques. Nombre d’entre eux ont dû s’exiler, ou encore ont été placés en détention ou emprisonnés après des procès inéquitables, assignés à résidence, ou ont subi torture et mauvais traitements. Plusieurs opposants libérés par la suite ont dû faire acte de repentance publique à la télévision, promettre de ne plus se livrer à des activités politiques et dans de nombreux cas, prêter serment de fidélité au président. Au cours de ces dernières années, plusieurs purges à caractère politique ont provoqué la rétrogradation, la révocation ou l’emprisonnement de nombreux responsables de haut rang. Les événements de novembre 2002 ont déclenché une nouvelle répression à grande échelle visant l’opposition politique.

Selon les autorités, des partisans de l’opposition ont attaqué le 25 novembre 2002 le convoi du président à Achgabat, en vue de l’assassiner et de renverser l’ordre constitutionnel. Le président n’a pas été blessé. L’enquête sur cet attentat présumé et les procès qui l’ont suivie ont été entachés de graves violations des droits humains ; des informations dignes de foi font notamment état de torture et de mauvais traitements. Ainsi, toute la vérité n’a pas encore été faite sur les événements du 25 novembre.

59 personnes au moins ont été condamnées lors de procès à huis clos par la Cour suprême et le Tribunal de la ville d’Achgabat, qui manquent d’indépendance judiciaire. Huit personnes ont été condamnées à la prison à vie - dont trois en leur absence - et 51 autres se sont vu infliger des peines allant de cinq à 25 ans d’emprisonnement. Les accusés n’étaient pas assistés par des avocats indépendants, et certains avocats auraient commencé leur plaidoirie par les mots « j’ai honte de défendre quelqu’un comme vous… ». Les observateurs juridiques internationaux n’ont eu accès à aucune de ces audiences. Un grand nombre d’accusés auraient été torturés et maltraités pour les forcer à « avouer » ou à accuser d’autres personnes.

De nombreux proches et parents des personnes condamnées dans le cadre des événements de novembre 2002 ignorent où se trouvent les prisonniers. Leurs parents et les représentants d’organes indépendants se sont pour l’instant vu refuser la permission de leur rendre visite. Ce manque de transparence fait d’autant plus craindre à Amnesty International que les prisonniers courent encore le risque d’être torturés et maltraités. Certaines informations non confirmées indiquent que des prisonniers seraient morts en détention des suites de torture. De nombreux parents de condamnés emprisonnés ont indiqué qu’ils n’avaient pas obtenu la permission de leur faire passer des colis de nourriture ou de médicaments.

La dissidence religieuse réprimée

Les autorités du Turkménistan manifestent également la plus grande intolérance vis-à-vis de la dissidence religieuse. Selon la Loi sur la liberté de conscience et d’organisation religieuse, les congrégations religieuses doivent s’enregistrer auprès du gouvernement, et depuis que le réenregistrement des organisations religieuses a été rendu obligatoire au début de l’année 1997, seuls deux groupes, l’église orthodoxe russe et les musulmans sunnites, ont obtenu cet enregistrement.

L’église orthodoxe russe et la communauté musulmane sunnite sont sous strict contrôle étatique, et les membres de groupes religieux enregistrés ont été pris pour cibles et punis lorsqu’ils ont osé exprimer une forme quelconque de dissidence.

Les personnes appartenant aux groupes religieux non reconnus officiellement, comme l’église arménienne apostolique, les baha’i, les bouddhistes, les hare krishna, les témoins de Jéhovah et les Juifs se sont vu refuser le droit d’exercer des activités religieuses publiques, et subissent depuis des années des emprisonnements, des expulsions, des exils à l’intérieur du pays, des évictions de leur domicile et diverses formes de harcèlement. Nombre de ces personnes ont également été harcelées par les autorités en raison d’activités religieuses privées, comme la tenue de services religieux chez des particuliers. Amnesty International possède des informations sur de nombreux cas de membres de minorités religieuses torturés ou maltraités par les forces de l’ordre. De nombreux missionnaires étrangers ont été expulsés du Turkménistan ces dernières années, et plusieurs personnes d’ethnie turkmène ayant exprimé une croyance religieuse différente de celles officiellement reconnues ont été forcées à l’exil ou ont été réinstallées de force dans une autre région du pays.

La société civile

Les autorités du Turkménistan exercent un contrôle sévère sur les activités des militants de la société civile, et ont considérablement restreint le champ d’acttion des groupes issus de celle-ci. Les militants de la société civile sont relativement peu nombreux, notamment en raison des grands risques personnels qu’ils courent en pratiquant leurs activités. Ces personnes sont fréquemment la cible d’emprisonnement ou de mise en détention, de persécutions et de harcèlement, dont des convocations régulières des services de sécurité.

Les autorités ont souvent empêché les militants de la société civile, les journalistes, les opposants et autres personnes de rencontrer des représentants de gouvernements étrangers et d’organisations internationales, comme les Nations unies ou l’OSCE, lors de leurs visites au Turkménistan.

La punition des proches

Les autorités du Turkménistan prennent régulièrement pour cible des personnes en raison des activités religieuses connues ou supposées de leurs parents ou proches. Ces personnes subissent des actes de torture ou des mauvais traitements, des mises en détention, du harcèlement, des expulsions de leur domicile, la démolition de leurs habitations, et autres licenciements. De nombreux exilés se refusent à critiquer ouvertement les autorités du Turkménistan, pour ne pas mettre en danger leurs proches restés dans ce pays.

Recommandations

Amnesty International demande aux autorités du Turkménistan d’introduire rapidement des réformes fondamentales du droit et des institutions du pays, afin de respecter les obligations du Turkménistan envers le droit international relatif aux droits humains, et d’apporter des améliorations significatives à leur bilan en matière de droits humains.

L’organisation demande aux membres de la communauté internationale de joindre leurs efforts pour lutter contre les violations des droits humains au Turkménistan, et de s’engager sur le long terme pour améliorer la situation des droits humains dans ce pays.

Pour obtenir la version intégrale du document d’Amnesty International, Turkmenistan : Clampdown on dissent [Turkménistan. Répression de la dissidence, non traduit en français], merci de consulter la page web http://web.amnesty.org/library/index/engeur610152003

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