Tunisie : Les autorités doivent poursuivre les avancées de la justice de transition

Alors que le mandat de l’Instance vérité et dignité (IVD) touche à sa fin, le gouvernement tunisien doit s’engager à mettre en œuvre ses recommandations afin que les responsables de violations des droits humains commises par le passé soient traduits en justice, que les victimes obtiennent réparation et que des mesures soient prises pour éviter que ces crimes ne se reproduisent.

Les 14 et 15 décembre, après quatre ans et demi d’exercice, l’IVD – qui a étudié plus de 62 000 cas de violations des droits humains dont les plus anciens remontent à six décennies – doit présenter ses principales conclusions et recommandations lors d’une conférence en présence de représentants du gouvernement et de la société civile. Son rapport final sera publié avant la fin de l’année. Une dernière audience publique de l’IVD concernant la propagande et la manipulation des médias avant le soulèvement de 2011 en Tunisie est également programmée le 14 décembre. 

« La fin de plusieurs années d’enquêtes de l’IVD constitue un tournant qui déterminera le sort de dizaines de milliers de victimes de violations des droits humains. Les autorités tunisiennes doivent montrer qu’elles veulent vraiment rompre avec l’impunité systématique qui ne cesse de hanter le pays en s’engageant à appliquer la totalité des recommandations de l’IVD, en particulier celles concernant la réforme des secteurs de la sécurité et de la justice, a déclaré Heba Morayef, directrice régionale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

«  Il est essentiel que les avancées sur le plan de la justice ne s’arrêtent pas avec la fin du mandat de l’IVD. Les autorités tunisiennes doivent continuer de poursuivre les auteurs de crimes qui sont restés impunis pendant des décennies. »

Amnesty International appelle les autorités à garantir que les procès des responsables présumés continueront et se dérouleront dans l’impartialité et la transparence, que les témoins et les victimes seront protégés des représailles et des actes d’intimidation, et que les réformes du secteur de la sécurité seront prises particulièrement au sérieux.

L’IVD a été créée en mai 2014 afin que la justice soit rendue pour les violations passées, dans le cadre du processus de transition faisant suite à la fin du régime répressif de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali. Son mandat consiste notamment à établir les responsabilités et à faire la lumière sur les multiples violations des droits humains commises entre 1955 et 2013.

Elle est la première commission vérité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord qui est dotée du pouvoir de saisir directement la justice des affaires de violations flagrantes des droits humains. Depuis mars 2018, elle a porté 30 affaires devant les tribunaux, ce qui est historique en Tunisie, où il est très rare que la justice amène des membres des forces de sécurité à rendre des comptes.

Il s’agit notamment de cas de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires, de morts des suites de torture, de recours excessif à la force contre des manifestants pacifiques et d’homicides de manifestants pacifiques durant le soulèvement de 2010-2011.

Jusqu’à présent, au moins 20 procès ont débuté. L’un d’eux concerne la mort de Faysal Baraket des suites de torture en 1991, qui est devenue un symbole du recours systématique à la torture en Tunisie par le passé. Amnesty International envoie des observateurs à ce procès.

Cependant, très peu de responsables présumés ont comparu devant la justice et les juges n’ont pas prononcé systématiquement des interdictions de quitter le territoire pour s’assurer de leur présence.

«  Le fait que nous commencions enfin à voir des procès où les responsables présumés de violations des droits humains sont amenés à rendre des comptes est historique car, sept ans après la révolution tunisienne, le pouvoir judiciaire parvient rarement à juger des membres des forces de sécurité  », a déclaré Fida Hammami, chercheuse sur la Tunisie à Amnesty International.

Les recommandations de l’IVD comprendront probablement des réformes institutionnelles et législatives et des mesures telles que le contrôle des institutions de l’État afin que les personnes soupçonnées de corruption et de violations des droits humains soient suspendues et ne se trouvent plus en capacité de reproduire leurs crimes.

L’IVD a par ailleurs établi un plan national de réparation visant à indemniser les victimes de violations qui ont déposé leur dossier.

En raison du manque de véritable volonté politique affichée par les autorités tunisiennes pour faire respecter l’obligation de rendre des comptes, l’impunité est presque totale pour les violations comme la torture qui continuent d’être commises en Tunisie aujourd’hui

Depuis sa création, l’IVD a rencontré de nombreux obstacles à son travail de la part des autorités. Ses enquêtes ont été ralenties par le refus des ministères de l’Intérieur et de la Défense de coopérer avec les demandes d’information, notamment d’accès aux archives de l’État, et de répondre à des convocations pour interrogatoire.

À plusieurs reprises, le ministère de l’Intérieur n’a pas donné suite aux demandes de l’IVD visant à obtenir un accès aux archives secrètes de la police. La justice militaire a également refusé de transmettre à l’IVD les documents de procès militaires concernant des violations des droits humains.

De plus, en mars 2018, le Parlement a voté contre une prolongation du mandat de l’IVD bien que celle-ci n’ait pas achevé son travail et que le texte de loi portant sa création lui accorde le droit de prolonger d’une année son mandat.

«  Les autorités tunisiennes ne doivent pas se dérober à leur devoir de mettre en œuvre les réformes institutionnelles et législatives nécessaires pour que ces crimes ne se reproduisent pas et que les victimes, qui attendent depuis plusieurs décennies vérité et justice, reçoivent pleinement réparation  », a déclaré Heba Morayef.

L’IVD présentera son rapport final au président de la République, au président du Parlement et au Premier ministre avant le 31 décembre. Ce document comprendra l’ensemble de ses conclusions et devrait identifier les responsables présumés, analyser les raisons à l’origine des graves violations des droits humains et formuler des recommandations sur les mesures à prendre pour que ces crimes n’aient plus jamais lieu.

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