Tunisie : Impunité envers les tortionnaires de Faysal Baraket

Les autorités judiciaires tunisiennes semblent retarder l’information judiciaire sur l’homicide de Faysal Baraket, torturé à mort en détention après avoir dénoncé les brutalités policières, ont déclaré Amnesty International et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) le 8 octobre, à l’occasion du 26e anniversaire de sa mort

Malgré l’inculpation de 21 personnes pour des chefs de torture en octobre 2016, étape décisive dans l’enquête ouverte il y a huit ans sur les circonstances de la mort de Faysal Baraket, la phase d’investigation n’est toujours pas terminée.

Amnesty International et l’OMCT demandent aux autorités tunisiennes de veiller à ce que les membres des forces de sécurité qui ont torturé Faysal Baraket et les représentants des autorités qui se sont rendus complices en couvrant ce crime soient traduits en justice pour leurs agissements.

« La longue quête visant à traduire en justice les responsables de la mort de Faysal Baraket illustre les lacunes fondamentales du système judiciaire post-révolution en Tunisie et souligne l’impunité persistante dont jouissent les forces de sécurité pour des crimes tels que la torture », a déclaré Gabriele Reiter, directrice de l’OMCT à Tunis.

« Les autorités judiciaires traînent les pieds dans cette affaire. Elles doivent accélérer les investigations sur la mort de Faysal Baraket afin de montrer qu’elles sont déterminées à amener ses tortionnaires à rendre des comptes », Heba Morayef, directrice des recherches sur l’Afrique du Nord à Amnesty International.

Il y a 26 ans jour pour jour, Faysal Baraket était torturé à mort dans un poste de police de la ville côtière de Nabeul, le 8 octobre 1991. Il n’avait que 25 ans et était en licence de mathématiques et de physique à l’université de Tunis.

En décembre 2016, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Nabeul a confirmé les charges retenues contre 11 personnes accusées de torture, au titre des articles 101 et 101 bis du Code pénal tunisien, et 10 autres inculpées de complicité de torture. Le 5 octobre 2017, la Cour de cassation a reporté son jugement concernant deux appels contre les actes d’inculpation déposés par les accusés et la famille de Faysal Baraket, retardant ainsi la procédure jusqu’au 2 novembre.

« Les actes d’inculpation émis en 2016 pour torture étaient une mesure positive, mais ne sont qu’un petit pas en avant sur la longue route vers la justice », a déclaré Gabriele Reiter, directrice de l’OMCT à Tunis.

Des éléments médicolégaux attestent d’actes de torture

L’affaire Faysal Baraket montre le rôle essentiel de la médecine légale dans les enquêtes pénales sur la torture. Après avoir examiné les blessures recensées par le professeur Sadok Sassi et le docteur Abdelsattar Halleb dans le rapport d’autopsie, le docteur Derrick Pounder, médecin légiste indépendant mandaté par Amnesty International en 1992, a conclu que sa mort avait été causée par la torture.

Pendant des années, la famille de Faysal Baraket a demandé à maintes reprises aux autorités de rouvrir le dossier et d’exhumer son corps conformément aux recommandations du Comité contre la torture de l’ONU. Si le gouvernement tunisien a accepté cette recommandation en 2009, le procureur général près la cour d’appel de Grombalia a rejeté cette décision au cours de cette même année.

Au lendemain du soulèvement en Tunisie, en février 2011, la Cour d’appel de Nabeul a renvoyé l’affaire devant le juge d’instruction en lui ordonnant de rouvrir le dossier et de faire procéder à l’exhumation du corps. Toutefois, le juge d’instruction a refusé en arguant que le corps serait trop décomposé pour qu’il soit possible d’établir les causes de la mort.

En 2012, un nouveau juge d’instruction a été désigné dans cette affaire. La première avancée majeure dans l’enquête a eu lieu en 2013, lorsque l’exhumation a enfin été autorisée à l’issue d’un recours formé par l’avocat de la famille. L’examen a confirmé que Faysal Baraket était mort des suites de torture et non dans un accident de la route comme l’avaient affirmé les autorités pendant des années.

Cependant, cette reconnaissance ne suffit pas à elle seule étant donné le climat d’impunité qui règne en Tunisie.

Pour le frère de Faysal, Jamel Baraket, et les autres membres de sa famille, l’attente pour obtenir justice est bien trop longue.

« Nous voulons simplement voir au moins une personne responsable de la mort de mon frère condamnée par un tribunal, au bout de 26 ans... Cela permettra de garantir que de tels crimes ne se répètent pas et que les générations futures n’endurent pas les mêmes souffrances », a-t-il déclaré à Amnesty International.

Il a ajouté qu’il pense que les autorités judiciaires ne déploient pas tous les efforts nécessaires pour clore l’affaire et amener les responsables présumés de la mort de son frère à rendre des comptes.

« Les responsables continuent de vivre une vie normale, sans même avoir à se cacher ».

Selon l’avocat de la famille, la durée de la phase d’enquête n’adresse pas un signal positif quant à la volonté des autorités judiciaires de progresser et d’engager des poursuites contre les auteurs de tels crimes.

Jamel Baraket et sa mère, Khira Materi, ont livré leurs témoignages durant la première série d’audiences publiques devant l’Instance vérité et dignité en novembre 2016, durant lesquelles les victimes de violations des droits humains et leurs familles ont raconté leur histoire. Leurs témoignages ont apporté un éclairage essentiel sur les atteintes généralisées commises par le passé et, selon Jamel, ont eu un effet positif sur la procédure judiciaire. L’Instance vérité et dignité est habilitée à renvoyer les affaires à des chambres spécialisées au sein des tribunaux de première instance. Cependant, ces chambres spécialisées n’ont pas encore été créées.

Depuis des années, les organisations de défense des droits humains demandent aux autorités tunisiennes de réformer le secteur de la sécurité et de mettre un terme à l’impunité. Or, depuis 2011, la vaste majorité des allégations crédibles de torture et de mauvais traitements imputables aux forces de sécurité n’ont pas fait l’objet d’enquêtes et il est rare que des poursuites soient engagées.

L’absence d’avancées pour remédier à ces violations demeure une menace majeure pour l’avenir de la Tunisie en tant que pays respectant les droits humains et l’état de droit. Le cas de Faysal Baraket démontre clairement que l’impunité pour de tels crimes perpétue la torture dans la Tunisie d’aujourd’hui.

« Il sera impossible de combattre l’impunité pour les violations des droits humains tant que le système judiciaire et les forces de sécurité en Tunisie n’auront pas été réformés et transformés en outils de protection des droits humains, plutôt qu’en instruments de répression au service des intérêts des autorités », a déclaré Heba Morayef, directrice des recherches sur l’Afrique du Nord à Amnesty International.

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