Tanzanie, Détentions arbitraires et torture infligées à des membres de l’opposition

Tanzanie police

Les autorités tanzaniennes doivent diligenter dans les meilleurs délais une enquête approfondie et indépendante sur les allégations d’homicides illégaux et d’actes de torture infligés à des membres et des partisans de l’opposition arrêtés et détenus de manière arbitraire à la suite des élections du 28 octobre. Des membres de la société civile et des mouvements de l’opposition accusent les forces de sécurité d’avoir recouru de manière non discriminée à une force excessive, notamment en tirant à balles réelles, et d’avoir tué au moins 22 personnes. Selon les avocats qui représentent les partis de l’opposition, au moins 77 leaders et sympathisant·e·s ont été arrêtés de manière arbitraire depuis le jour du scrutin.

« Nous assistons à une multiplication des violations des droits humains dans le sillage des élections du mois dernier. Les événements qui ont lieu en Tanzanie, en cette période post-électorale, ont pour objectif de supprimer la dissidence. Critiquer le déroulement d’une élection n’est pas un crime. Tous ceux qui sont maintenus en détention arbitraire devraient être libérés immédiatement et sans condition, a déclaré Deprose Muchena, directeur pour l’Afrique de l’est et l’Afrique australe à Amnesty International.

« Les autorités tanzaniennes doivent diligenter sans attendre des investigations indépendantes, impartiales et approfondies sur toutes les allégations d’homicides et d’actes de torture et amener tous les responsables présumés à rendre des comptes. Elles doivent aussi protéger et non piétiner les droits de tous les Tanzaniens à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. »

Le 31 octobre, le commissaire de police de Zanzibar, Mohamed Haji Hassan, a confirmé que la police détenait 33 personnes, dont Nassor Mazrui, secrétaire général adjoint du parti d’opposition ACT-Wazalendo,. Les avocats représentant les détenus ont déclaré que la plupart des personnes arrêtées n’ont pas été officiellement inculpées et qu’aucune preuve n’a été présentée pour étayer les allégations de terrorisme portées à leur encontre, qui semblent forgées de toutes pièces.

« Les autorités tanzaniennes doivent diligenter sans attendre des investigations indépendantes, impartiales et approfondies sur toutes les allégations d’homicides et d’actes de torture et amener tous les responsables présumés à rendre des comptes. Elles doivent aussi protéger et non piétiner les droits de tous les Tanzaniens à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. »

Toujours à Zanzibar, 18 personnes ont été libérées des centres de détention et abandonnées dans divers lieux le 13 novembre à l’aube, selon les informations fournies par certains détenus libérés et corroborées par leurs avocats.

Homicides illégaux et actes de torture

Les avocats travaillant pour les partis politiques de l’opposition ont déclaré qu’au moins 22 personnes ont été tuées par les forces de sécurité entre la date du scrutin et le 11 novembre. Ils ont indiqué qu’ils ont interrogé les familles, ont pu dans certains cas voir l’état des corps des personnes tuées et, dans d’autres, ont obtenu des photos des dépouilles. Des opposant·e·s politiques et des groupes de la société civile ont accusé les forces de sécurité d’avoir usé sans discrimination d’une force excessive, et notamment d’avoir tiré à balles réelles, pour disperser les manifestant·e·s. Les autorités doivent mener une enquête sur la conduite des forces de sécurité.

Dans deux cas, Amnesty International a interrogé des proches de victimes et a pu confirmer leur mort. Les proches ont attesté que les défunts présentaient des blessures par balles et ajouté qu’ils n’étaient pas des sympathisants d’un parti politique. Dans quatre autres cas, Amnesty International a pu confirmer grâce à des entretiens menés avec des témoins que les forces de sécurité étaient responsables des homicides. Il est probable que le nombre de cas soit plus élevé.

Par ailleurs, les forces de sécurité ont recouru à la torture afin d’extorquer des « aveux » aux victimes. Plusieurs membres de partis de l’opposition et leaders de partis ont été roués de coups par des policiers alors qu’ils étaient interrogés sur le fait qu’ils contestaient les résultats électoraux du mois dernier. C’est le cas d’Ismail Jussa, membre du parti ACT-Wazalendo.

Il a déclaré avoir été brutalisé par les forces de sécurité lors de son arrestation le 29 octobre et pendant son interrogatoire. Il a subi quatre fractures à la jambe droite et cinq fractures à l’épaule droite. Il a par la suite été abandonné à l’hôpital Al Rahma, à Zanzibar, par les forces de sécurité qui avaient informé des membres de sa famille de son hospitalisation. Le 4 novembre, Ismail Jussa a été transporté en avion à Nairobi pour y recevoir d’autres soins médicaux, et il a subi deux grosses interventions chirurgicales.

Disparitions forcées et détentions arbitraires

Le 18 novembre, la police a libéré sous caution Nassor Mazrui et Ayoub Bakari après qu’ils ont été arrêtés à Zanzibar les 28 et 29 octobre respectivement, et inculpés d’infractions liées au terrorisme. Jusqu’à leur libération, on ignorait où ils se trouvaient, même lorsque la police de Zanzibar a reconnu dans une déclaration à la presse que les deux hommes avaient été interpellés parce qu’ils planifiaient un attentat terroriste ciblant divers lieux à Zanzibar. Ils ont « disparu » pendant 21 et 20 jours respectivement.

Le 13 novembre, le commissaire de police de Zanzibar et le directeur adjoint de la police judiciaire n’ont pas répondu à la citation à comparaître visant à déterminer si la détention de Nassor Mazrui et Ayoub Bakari était légale, en réponse à une requête déposée par leurs avocats auprès de la Haute cour de Zanzibar. Ils ont préféré envoyer leurs avocats afin de solliciter un délai pour répondre à la requête. La cour a laissé à l’État jusqu’au 17 novembre pour déposer leurs réponses et a fixé une date d’audience au 18 novembre ; les autorités ont relâché les deux hommes le 17 novembre, la veille de cette audience.

Le fait que les autorités de l’État maintiennent des personnes en détention tout en refusant de dévoiler le lieu où elles se trouvent constitue une disparition forcée. Il s’agit d’une stratégie destinée à intimider les détracteurs, à écraser les dissidents et à les soustraire à la protection de la loi. En conséquence, au moins une dizaine de membres de l’opposition politique, de détracteurs du gouvernement et leurs familles ont fui la Tanzanie, craignant pour leur vie.

Complément d’information
La Tanzanie s’est rendue aux urnes dans un climat de forte répression de la dissidence. Avant, pendant et après les élections, les forces de sécurité ont recouru à une force excessive pour disperser des rassemblements pacifiques. En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la Tanzanie est tenue de veiller à ce que la liberté de réunion, en tant que droit, ne soit pas soumise à une autorisation préalable de l’État.

Depuis les élections, les forces de sécurité ont également arrêté arbitrairement plus de 300 personnes à travers le pays, selon des observateurs tanzaniens des droits humains et des avocats représentant les partis de l’ opposition. La plupart ont été libérées sous caution, d’autres sans inculpation. Parmi les personnes arrêtées et relâchées figurent le candidat d’opposition lors de l’élection présidentielle tanzanienne Tundu Lissu, le candidat de l’opposition à l’élection présidentielle de Zanzibar Seif Sharif Hamad, et les leaders de l’opposition Zitto Kabwe, Freeman Mbowe, Godbless lema, Lazaro Nyalandu, Isaya Mwita, Boniface Jacob, Nassor Mazrui et Ayoub Bakari.

Tundu Lissu et Godbless Lema comptent parmi les responsables politiques qui ont fui le pays.

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