Suivre les lignes directrices de la Commission africaine

Amnesty International se félicite de l’adoption des lignes directrices de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur le maintien de l’ordre lors des réunions. Amnesty demande aux États africains de mettre en œuvre ces lignes directrices novatrices de toute urgence, et de mettre un terme à la répression généralisée des réunions pacifiques et aux effusions de sang lors des manifestations pacifiques.

Les personnes qui revendiquent leurs droits lors de manifestations pacifiques se heurtent à la répression dans de nombreux pays à travers l’Afrique, et cette répression va de l’interdiction des manifestations pacifiques à l’arrestation des manifestants pacifiques et à l’usage d’une force excessive, parfois avec des armes à feu. Des centaines de personnes sont tuées chaque année lors de telles opérations des forces de sécurité. Ces violations restent souvent impunies, ce qui crée un climat de peur et décourage ceux qui voudraient manifester pacifiquement dans la rue pour demander le respect de leurs droits.

Ces lignes directrices soulignent que la liberté de réunion pacifique est un droit et non un privilège. Les États africains et leurs organes d’application des lois ont la responsabilité de faciliter les rassemblements pacifiques, et non de les réprimer comme c’est trop souvent le cas.

L’utilisation de la force et des armes à feu lors des opérations de maintien de l’ordre pour les réunions pacifiques en Afrique est extrêmement préoccupante, et ces lignes directrices s’attaquent à ce grave problème de manière très substantielle.

• La plupart des États africains continuent d’interdire et de disperser les manifestations pacifiques, et d’arrêter les manifestants pacifiques, en se basant sur de vagues motifs juridiques tels que le risque de « trouble à l’ordre public », ou en interdisant totalement les rassemblements dans des lieux publics à certains moments.

En Mauritanie, les défenseurs des droits humains continuent d’être arrêtés et placés en détention de façon arbitraire pour « participation à un rassemblement non autorisé ». En avril 2017, Oumou Kane, une jeune défenseure des droits humains, a été détenue pendant cinq jours et condamnée à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis, après avoir participé à un rassemblement pacifique. La police antiémeute l’a frappée à coups de matraque au moment de son arrestation. Elle a demandé à consulter un médecin pour ses blessures, qui la faisaient souffrir, mais elle n’a pas été autorisée à avoir accès à des soins médicaux.

En République démocratique du Congo, à Kinshasa, la capitale du pays, et dans les villes de Lubumbashi et de Matadi, ainsi que dans les provinces du Mai-Ndombe (ex-province du Bandundu) et du Tanganyika, en 2016 les manifestations publiques ont été frappées d’interdiction générale ou, si elles l’étaient déjà, le sont restées. En 2016 et 2017, plus de 150 jeunes militants ont été arrêtés lors de manifestations pacifiques. Les forces de sécurité ont tué plus de 90 personnes lors des manifestations du 19 septembre et du 19 et 20 décembre réclamant le départ du président Joseph Kabila.

Les lignes directrices indiquent clairement que « [l]’absence de notification préalable ne rend pas une réunion illégale et ne devrait pas constituer le motif unique pour une décision des agents chargés de l’application des lois de la disperser. »

• Dans de nombreux États à travers l’Afrique, l’armée est déployée pour assurer le maintien de l’ordre, alors qu’elle n’est pas formée de façon spécifique pour cette tâche et qu’elle ne dispose pas de l’équipement nécessaire.

Au Nigeria, le déploiement de l’armée pour assurer le maintien de l’ordre lors des rassemblements publics organisés par l’organisation pro-Biafra IPOB (Peuple indigène du Biafra) a directement contribué à un nombre élevé de victimes. Les soldats, qui sont entraînés à éliminer les ennemis, n’étaient manifestement pas préparés à contrôler des foules largement pacifiques en utilisant d’autres moyens que la force. Depuis août 2015, les forces de sécurité, y compris l’armée, ont tué au moins 150 membres et sympathisants de l’IPOB, et en ont blessé des centaines d’autres au cours de réunions, de défilés et d’autres rassemblements non violents.

Les lignes directrices rappellent qu’« [e]n règle générale, le personnel militaire ne devrait pas être déployé pour le maintien de l’ordre lors des réunions et ne doit être utilisé qu’en cas de circonstances exceptionnelles et uniquement en cas de nécessité absolue ». Si tel est le cas, les lignes directrices prévoient un ensemble de conditions pour leur déploiement, notamment qu’il doit être sous le commandement des autorités de police, et soumis aux normes régionales et internationales relatives aux droits humains.

• Dans de nombreux cas, la police a utilisé une force excessive lors de manifestations pour lesquelles il n’y avait aucune raison d’utiliser une quelconque force, ou le degré de force utilisée n’était pas justifié par les circonstances.

En Afrique du Sud, en 2016, les étudiants ont manifesté en masse pour réclamer la gratuité de l’enseignement supérieur. Si certains manifestants n’étaient pas pacifiques, la police parfois usé d’une force excessive, notamment en tirant à faible distance des balles en caoutchouc sur des étudiants et des sympathisants alors qu’une telle force n’était ni nécessaire ni proportionnée. À Johannesburg, une dirigeante étudiante qui avait tenté d’aller parler à la police, mais qui avait été repoussée et qui retournait vers ses camarades, a reçu dans le dos 13 balles en caoutchouc, et un étudiant qui essayait de l’aider a lui aussi été touché par des balles en caoutchouc. À Durban, une autre étudiante a reçu une balle en caoutchouc dans la jambe après avoir filmé un policier en train d’agresser un étudiant.

Les lignes directrices prévoient que « [l]e recours à la force ne doit avoir lieu que dans les cas où d’autres moyens moins préjudiciables de désescalade ont échoué », et que « [l]e recours à la force constitue une mesure exceptionnelle [...] les agents chargés de l’application des lois doivent, dans la mesure du possible, appliquer des mesures non violentes avant d’avoir recours à la force et aux armes à feu [...] Le recours à des armes de contrôle des foules, y compris celui d’armes à létalité réduite, devrait se limiter aux situations présentant des motifs légitimes de recours à la force, ou bien dans le cadre de mesures de dispersion, et uniquement lorsque cet usage est nécessaire, proportionné et survient dans des circonstances dans lesquelles l’usage d’autres moyens moins préjudiciables a été tenté et s’est révélé inefficace ou se révèlerait inefficace. »

• Les armes à feu sont souvent utilisées dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre lors de manifestations, notamment pour des tirs de sommation, et pour disperser des rassemblements, les forces de sécurité tirant parfois directement sur la foule, tuant et blessant de nombreux manifestants et souvent aussi de simples passants.

En Éthiopie, en avril et mai 2014, des manifestations ont eu lieu dans toute la région d’Oromia contre une proposition de Plan directeur intégré qui visait à étendre la capitale, Addis-Abeba, sur le territoire de cette région. Les services de sécurité, comprenant la police fédérale et les forces spéciales de l’armée, ont réagi en utilisant une force inutile et excessive, tirant à balles réelles sur les manifestants pacifiques dans plusieurs lieux et frappant plusieurs centaines de manifestants pacifiques et de passants ; de nombreuses personnes ont ainsi été tuées, un plus grand nombre encore blessées.

Les lignes directrices précisent que « [l]es armes à feu ne constituent pas un outil tactique approprié au maintien de l’ordre lors des réunions. Elles ne doivent jamais être utilisées pour disperser une réunion. L’utilisation sans discernement d’armes à feu sur une foule de personnes constitue une violation du droit à la vie », et soulignent que « [l]es tirs en l’air et autres tirs de sommation ne devraient pas être utilisés dans le contexte d’une opération lors d’une réunion ».

• Les auteurs de violations commises pendant des rassemblements sont très rarement déférés à la justice.
En Guinée, dix personnes au moins ont été tuées par les forces de sécurité pendant des manifestations liées à l’élection présidentielle de 2015, parmi lesquelles un enfant de six ans. Plusieurs centaines de personnes ont été blessées, notamment une jeune fille de 12 ans qui a reçu une balle dans le pied. Aucun des membres des forces de sécurité responsables de ces violations n’a été jugé, et les victimes et leurs proches attendent toujours que justice soit rendue.

Depuis le soulèvement de janvier 2011, en Égypte, les forces de sécurité ont à plusieurs reprises utilisé une force excessive, y compris la force meurtrière, pour disperser des manifestations, tuant des centaines de personnes. L’une des journées les plus sanglantes a été le 14 août 2013 : les forces de sécurité ont utilisé une force excessive, notamment des armes à feu, pour disperser deux sit-in au Caire, tuant au moins 900 manifestants ce jour-là ; pourtant, personne n’a eu à répondre de ces homicides.

Les lignes directrices prévoient que les États doivent accorder « un recours adéquat, efficace et rapide pour toute personne victime d’une violation des droits de l’homme en raison du maintien de l’ordre lors d’une réunion », et que « [l]a responsabilité des agents chargés du commandement des opérations doit être engagée s’il s’avère qu’ils savaient ou auraient dû savoir que des agents chargés de l’application des lois sous leur commandement faisaient un usage illégal de la force ou d’armes à feu et s’ils n’ont pas pris toutes les mesures possibles afin de prévenir, faire cesser ou dénoncer une telle activité illégale ». Elles prévoient aussi que les agents chargés du commandement des opérations doivent être tenus responsables de leurs actions s’ils n’ont pas pris toutes les précautions nécessaires lors de la planification et de la préparation d’une opération pour éviter les situations où le recours à la force peut devenir nécessaire.

Ce texte, qui établit des lignes directrices claires pour tous les États à travers l’Afrique, en matière de respect, de protection et d’application des droits humains lors des manifestations, constitue un bon exemple de mise en œuvre des Principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu en cas de rassemblement. En 2015, Amnesty International a élaboré des Lignes directrices pour la mise en œuvre des Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, dans le but d’aider les autorités à veiller à ce que tout recours à la force de la part de la police soit conforme aux droits humains. Nous espérons qu’elles contribueront aussi, à présent, à garantir la pleine mise en œuvre dans la pratique de ces importantes nouvelles lignes directrices adoptées par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples.

Si elles sont correctement appliquées, ces lignes directrices pourront permettre de mettre fin à l’engrenage de la violence lors des manifestations en Afrique, qui a coûté la vie à des milliers de personnes. Mais ces lignes directrices ont aussi des répercussions qui vont au-delà de l’Afrique : elles fixent des normes et des bonnes pratiques solides qui doivent être une source d’inspiration pour les législateurs et les organes régionaux dans le monde entier.

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