Soudan du Sud. Justice doit être rendue pour mettre fin aux cycles de violence et aux promesses non tenues

Au Soudan du Sud, sur le plan humanitaire et des droits humains, la situation s’est considérablement détériorée depuis que le conflit a éclaté il y a presque cinq ans, le 15 décembre 2013.

Elle est aujourd’hui désastreuse et préoccupe encore grandement Amnesty International. Les parties au conflit continuent de perpétrer des infractions relevant du droit international et d’autres graves violations des droits humains en toute impunité et en faisant preuve d’une extrême brutalité et d’un mépris total pour la vie humaine, et cela malgré l’accord de cessation des hostilités signé en décembre 2017 et la Déclaration de Khartoum portant accord entre les parties au conflit au Soudan du Sud, qui date de juin 2018.

Le gouvernement du Soudan du Sud ne s’est jamais préoccupé des violations commises dans le passé ni cherché à amener les responsables présumés d’exactions à rendre des comptes. L’Accord sur la résolution du conflit en République du Soudan du Sud (ARCSS), en août 2015, prévoyait la création d’un tribunal hybride pour le Soudan du Sud. Toutefois, le gouvernement a longtemps retardé sa mise en place en ne signant pas le protocole d’accord sur le tribunal, ni ses statuts. Bien que le Conseil des ministres ait approuvé ces deux textes en décembre 2017, ils n’ont toujours pas été signés.

Lors de sa dernière mission en date au Soudan du Sud, en juillet 2018, l’organisation a recueilli des informations sur des homicides visant délibérément des civils, des violences sexuelles et des enlèvements, de graves violations à l’encontre d’enfants, des pillages et des destructions systématiques de biens, ainsi que l’utilisation de la nourriture comme arme de guerre.

Amnesty International a constaté en 2018 que de graves violations des droits humains et du droit humanitaire continuaient d’être commises dans le pays. Lors de sa dernière mission en date au Soudan du Sud, en juillet 2018, l’organisation a recueilli des informations sur des homicides visant délibérément des civils, des violences sexuelles et des enlèvements, de graves violations à l’encontre d’enfants, des pillages et des destructions systématiques de biens, ainsi que l’utilisation de la nourriture comme arme de guerre. Ces atteintes aux droits humains ont été perpétrées par les forces gouvernementales et les milices qui leur sont alliées lors d’une offensive menée dans les comtés de Leer et de Mayendit, dans le sud de l’État d’Unité, entre avril et juin 2018. Depuis le début de 2018, Amnesty International a également continué de réunir des informations concernant le recours, par l’armée et le Service national de la sûreté, à la détention arbitraire et prolongée sans inculpation, qui n’a pas cessé malgré les promesses répétées du gouvernement de libérer toutes les personnes détenues pour des motifs politiques.

LES POPULATIONS CIVILES DÉLIBÉRÉMENT PRISES POUR CIBLES DANS LE SUD DE L’ÉTAT D’UNITÉ

En avril 2018, un peu moins d’un mois après que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a prolongé le mandat de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud, le gouvernement et les milices qui le soutiennent ont lancé une offensive dans le sud de l’État d’Unité, précisément dans les comtés de Leer et de Mayendit. En juillet 2018, des chercheurs d’Amnesty International se sont rendus au Soudan du Sud, où ils se sont entretenus avec une centaine de personnes déplacées venues de ces comtés.

Des témoins et des victimes ont raconté comment des civils, en particulier des femmes, des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées, avaient été, au cours d’attaques contre des villages, délibérément abattus, brûlés vifs dans leurs maisons, pendus à des arbres ou à des poutres, ou encore écrasés par des véhicules blindés.

Les habitants ont été traqués dans les marais ou les rivières avoisinants où ils s’étaient échappés, les soldats tirant aveuglément en direction des zones où ils étaient cachés et les attaquant sur les îles où ils s’étaient réfugiés. Lors des offensives, des dizaines de personnes, essentiellement des femmes et des jeunes filles, ont été enlevées et soumises à des violences sexuelles. Certaines femmes ont été grièvement blessées au cours de viols collectifs. Les ravisseurs ont contraint leurs victimes à travailler pour eux comme esclaves et esclaves sexuelles.
Les forces gouvernementales et les milices de jeunes agissant avec elles ont commis des pillages et des destructions de grande ampleur dans le but, semble-t-il, de forcer les populations à se déplacer et de rendre leurs villages inhabitables à l’avenir. De nombreux villages ont été attaqués à plusieurs reprises, vraisemblablement en vue de déloger définitivement les populations civiles de chez elles. Les sources de nourriture ont été visées, notamment avec la destruction délibérée de stocks de vivres, là encore pour, semble-t-il, faire en sorte que les populations civiles vivant dans les zones de Leer et de Mayendit, contrôlées par l’opposition, souffrent d’insécurité alimentaire. Ces attaques ont eu lieu juste au moment où la zone se relevait de la famine, qui y avait été déclarée en février 2017.

Ce n’est pas la première fois que les forces gouvernementales mènent des offensives militaires contre les civils dans le sud de l’État d’Unité. En janvier et février 2016, Amnesty International s’était rendue dans le comté de Leer, où des chercheurs avaient recueilli des informations sur des violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains. Selon les éléments rassemblés par Amnesty International, les forces gouvernementales et leurs alliés miliciens auraient mené des opérations militaires dans des villages de la région de Leer entre fin août et décembre 2015, au cours desquelles ils auraient tué illégalement des civils, notamment des enfants, des femmes enceintes et allaitantes, des personnes âgées et des personnes handicapées.

Des dizaines de femmes et de jeunes filles avaient été enlevées, soumises à des violences sexuelles et forcées de travailler pour les membres des forces gouvernementales et pro-gouvernementales, des violations équivalant à de l’esclavage et à de l’esclavage sexuel.

Les attaques répétées contre les civils dans le sud de l’État d’Unité mettent en évidence le problème de l’impunité chronique qui sévit dans le pays. Depuis le début du conflit, en décembre 2013, le processus de paix au Soudan du Sud se caractérise par une succession de manquements aux promesses et de violations d’accords de cessez-le-feu. L’ARCSS, l’accord signé en août 2015, a été rendu caduc en juillet 2016 lorsque les combats ont à nouveau éclaté entre les forces gouvernementales et celles de l’opposition à Djouba. Des tentatives de relance de l’accord se sont succédé depuis lors. En juin 2017, des dirigeants de la région se sont réunis à Addis Abeba, la capitale éthiopienne, pour se prononcer en faveur d’une nouvelle initiative de paix, connue sous le nom de Forum de haut niveau pour la revitalisation. Celle-ci était destinée à « revitaliser » l’ARCSS. Le dernier cessez-le-feu en date a été annoncé le 27 juin 2018 dans le cadre de la Déclaration de Khartoum portant accord entre les parties au conflit au Soudan du Sud, négociée avec l’aide du président soudanais Omar el Béchir. En dépit de cette avancée, Amnesty International a recueilli des témoignages en juillet 2018 selon lesquels de graves violations des droits humains ont continué d’être commises après le 30 juin 2018, date à laquelle l’accord est entré en vigueur. Il est grand temps de mettre un terme aux atrocités, à la souffrance des populations civiles et à l’impunité qui règne au Soudan du Sud.

DÉTENTIONS ARBITRAIRES ET PROLONGÉES ET DISPARITIONS FORCÉES

Depuis le début du conflit armé interne au Soudan du Sud en décembre 2013, des centaines de personnes, pour la plupart des hommes, ont été placées en détention sous l’autorité du Service national de la sûreté (NSS) et de la Direction du renseignement militaire dans divers centres de détention à travers la capitale, Djouba, et ailleurs dans le pays. Nombre d’entre elles sont détenues « pour des motifs politiques » sur la base d’allégations selon lesquelles elles auraient communiqué avec l’opposition ou l’auraient soutenue. Les détenus subissent des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements et ne sont pas autorisés à entrer régulièrement en contact avec leur famille et leur avocat, ni à bénéficier de soins médicaux adaptés.

Depuis le début de 2018, Amnesty International continue de recueillir des éléments concernant la pratique de la détention arbitraire et prolongée et des mauvais traitements par le NSS à Djouba.

Peter Biar Ajak, éminent militant et universitaire sud-soudanais, a été arrêté par le NSS à l’aéroport international de Djouba le samedi 28 juillet. Plus d’un mois plus tard, il était toujours détenu au siège du NSS dans le quartier de Djebel, à Djouba. Alors que le gouvernement s’était réengagé à libérer les personnes détenues pour motifs politiques au moment de la signature, fin juin 2018, de la Déclaration de Khartoum portant accord entre les parties au conflit au Soudan du Sud, Amnesty International constate, au contraire, qu’il multiplie les arrestations arbitraires.

D’autres personnes ont été victimes d’une disparition forcée. Cela fait presque deux ans que Dong Samuel Luak, avocat et défenseur des droits humains sud-soudanais réputé, et Aggrey Idri, détracteur du régime et membre du Mouvement populaire de libération du Soudan-Opposition (MPLS-Opposition), ont disparu à Nairobi, au Kenya. Selon des sources dignes de foi, ils auraient été arrêtés par les autorités kenyanes avant d’être transférés illégalement au siège du NSS à Djouba. Amnesty International a reçu des informations crédibles selon lesquelles ils auraient été conduits hors des lieux dans la nuit du 27 janvier 2017. Depuis lors, on ignore ce qu’il est advenu d’eux et où ils se trouvent.

RECOMMANDATIONS

• Faire pression sur les parties au conflit pour qu’elles cessent immédiatement de commettre des violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains, notamment en arrêtant de se livrer à des homicides illégaux de civils et à des actes de violence sexuelle, en mettant un terme aux détentions arbitraires, aux déplacements forcés, aux pillages et aux destructions des habitations et autres biens civils, et en n’entravant pas l’accès des organisations humanitaires.

• Faire pression sur le gouvernement du Soudan du Sud afin qu’il coopère avec l’Union africaine pour adopter les statuts portant création du tribunal hybride pour le Soudan du Sud, et pour faire en sorte que celui-ci devienne rapidement opérationnel.

• Apporter une aide technique et financière aux enquêteurs de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS), de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud-HCDH et du groupe d’experts des Nations unies chargés d’examiner la situation des droits humains, afin qu’ils disposent des moyens et des ressources nécessaires pour recueillir, préserver et analyser les témoignages et les preuves matérielles, ainsi que pour la protection des témoins et des victimes.

• Demander au gouvernement du Soudan du Sud de libérer toutes les personnes détenues de façon arbitraire, ou de les inculper d’infractions prévues par la loi et de les déférer à la justice.

• Inviter le gouvernement du Soudan du Sud à faire en sorte que les personnes détenues ne soient pas soumises à la torture ni à d’autres formes de mauvais traitements lors de leur détention et le prier instamment de leur permettre de bénéficier de soins médicaux adaptés, de consulter les avocats de leur choix et de recevoir les visites de leurs familles.

• Demander au gouvernement du Soudan du Sud de diligenter sans délai des enquêtes efficaces et impartiales sur les pratiques du Service national de la sûreté en matière de détention, y compris les disparitions forcées, les morts en détention, la torture et les autres formes de mauvais traitements, de rendre publiques les conclusions de ces enquêtes et de traduire en justice les responsables présumés de ces agissements dans le cadre de procès équitables excluant le recours à la peine de mort.

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