Singapour : Des défenseurs des droits humains font l’objet d’une enquête pour « avoir participé à un rassemblement public sans autorisation »

L’enquête menée sur dix militants anti-peine de mort, pour la seule raison qu’ils ont participé à une manifestation silencieuse devant la prison de Changi, est la dernière initiative en date pour intimider les défenseurs des droits humains à Singapour.

Des policiers ont informé Kirsten Han, Jolovan Wham, Terry Xu, Jason Soo et au moins six autres personnes par lettre qu’ils faisaient l’objet d’une enquête pour « avoir participé à un rassemblement public sans autorisation » au titre de l’article 16(2)(a) de la Loi relative à l’ordre public, après qu’ils eurent participé à une manifestation silencieuse pour Prabagaran Srivijayan, un ressortissant malaisien condamné à mort et exécuté le 14 juillet.

La veille de son exécution, des militants anti-peine de mort, ainsi que des amis et des membres de la famille de Prabagaran Srivijayan, se sont rassemblés devant la prison de Changi, où ils ont tenu une veillée aux bougies et ont brandi des photos de lui. Des policiers ont par la suite informé le groupe qu’ils ne pouvaient pas allumer de bougies et ont confisqué les bougies et les photos.

Les défenseurs des droits humains ont déclaré qu’ils ont obéi aux ordres et qu’ils ont remis les bougies et les photos aux policiers. D’après eux, les policiers ont autorisé le groupe à rester devant la prison, à condition qu’ils n’allument plus de bougies, et ils ne sont ensuite plus intervenus dans le rassemblement.

À Singapour, les rassemblements publics font l’objet de lourdes restrictions. La Loi relative à l’ordre public, promulguée en 2009, réglemente les conférences publiques, les rassemblements religieux et les manifestations à caractère politique. En avril 2017, des modifications apportées à la loi ont accordé des pouvoirs renforcés aux policiers et à d’autres responsables de l’application des lois qui leur permettent de restreindre ou d’interdire de manière excessive les manifestations, accroissant ainsi le risque que les rassemblements pacifiques soient pénalisés.

En plus de faire l’objet d’une enquête menée par la police, les défenseurs des droits humains sont également soumis à une interdiction de voyager arbitraire, ce qui les empêche de quitter le pays. Le 6 septembre, Terry Xu a été arrêté par des agents de l’immigration alors qu’il voulait traverser le poste de contrôle de Woodlands pour se rendre en Malaisie. La personne responsable de l’enquête lui a dit qu’il faisait l’objet d’une interdiction de voyager à l’étranger.

On ne lui a donné aucune information sur la durée de cette interdiction de voyager, et il ne sait pas non plus si elle sera levée une fois les enquêtes terminées.
L’imposition d’interdictions de voyager arbitraires est contraire au droit de circuler librement. Selon l’article 13(2) de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »

Les interdictions de voyager prononcées contre des défenseurs des droits humains stigmatisent encore plus leur travail et répriment le droit à la liberté d’expression et d’association.

Amnesty International demande aux autorités singapouriennes de garantir le droit aux libertés d’expression, de rassemblement pacifique, d’association et de circuler librement en mettant fin à toutes les enquêtes menées sur des défenseurs des droits humains en raison de leur militantisme pacifique, et en levant immédiatement les restrictions arbitraires en matière de déplacement qui leur sont imposées. De plus, l’organisation demande au gouvernement d’abroger toutes les lois restrictives qui limitent les rassemblements publics, notamment l’article 16(2)(a) de la Loi relative à l’ordre public, et de rendre la législation et les politiques conformes aux normes internationales.

Complément d’information

À Singapour, les modifications apportées à la Loi relative à l’ordre public, que le Parlement a adoptées, confèrent à la police et à certains représentants de l’État de vastes pouvoirs arbitraires leur permettant de restreindre ou d’interdire les rassemblements publics et les manifestations.

Dès le 3 avril 2017, les organisateurs d’événements publics ont dû se conformer à des mesures encore plus strictes, et notamment demander une autorisation au moins 28 jours à l’avance et informer la police de leurs prévisions quant à la taille du rassemblement. S’ils ne le font pas, ils s’exposent à une amende de 20 000 dollars singapouriens ou à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an, voire aux deux.

En février 2017, la militante politique Han Hui Hui, qui critique le gouvernement, a été condamnée à une amende de 3 100 dollars singapouriens, pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté d’expression. En conséquence, elle ne pourra pas se porter candidate aux prochaines élections législatives. Elle a été condamnée à cette amende parce qu’elle a organisé une manifestation pacifique au parc Hong Lim en 2014, pour protester contre l’utilisation des fonds de pension par le gouvernement.

En juin, les organisateurs du Pink Dot – un événement annuel rassemblant des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), leurs amis, leurs proches et des personnes soutenant leurs droits – ont dû mettre en place des barricades autour du parc Hong Lim, où doit se tenir cet événement, et vérifier l’identité des participants, afin de veiller à ce qu’aucun étranger ne participe à l’événement.

En 2012, Prabagaran Srivijayan, un ressortissant malaisien, a été reconnu coupable de tentative d’importation d’héroïne et a été condamné automatiquement à la peine de mort, après que la police eut trouvé 22,24 grammes du stupéfiant dans l’accoudoir de la voiture qu’il avait empruntée.

Avant son exécution, Prabagaran Srivijayan n’avait cessé de clamer son innocence, et ses avocats ont soulevé de graves inquiétudes quant à l’équité de son procès, affirmant que les autorités n’ont pas donné suite à certains éléments et n’ont pas convoqué des témoins clés qui auraient corroboré sa version des faits.

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