Roumanie : Il faut ouvrir une enquête sur des allégations d’utilisation excessive de force par la police

Les autorités roumaines doivent diligenter sans attendre des enquêtes approfondies, indépendantes et impartiales par les autorités civiles sur les allégations faisant état d’un recours injustifié et excessif à la force par des gendarmes contre des manifestants à Bucarest le 10 août, et traduire en justice toutes les personnes soupçonnées de responsabilité pénale dans le cadre de procès équitables.

Amnesty International est vivement préoccupée par les allégations d’utilisation aveugle de produits chimiques irritants lors de la dispersion de la manifestation, ainsi que par l’annonce des autorités indiquant que l’enquête serait menée par le tribunal militaire.

Selon certains médias, des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés le 10 août devant le bâtiment gouvernemental de la place de la Victoire, à Bucarest, pour demander la démission du gouvernement actuel. Ce jour-là, on a signalé des affrontements violents entre des manifestants et des gendarmes dans l’après-midi et dans la soirée. Des photos et des vidéos montrent plusieurs cas de possible utilisation excessive de la force par des responsables de l’application des lois. Selon les médias, certains manifestants ont jeté des bouteilles, des pierres et des pétards sur les gendarmes, qui ont riposté en utilisant des matraques et en faisant un usage aveugle de canons à eau et de gaz lacrymogène. Ils ont fini par disperser entièrement le rassemblement, vidant la place vers 23 heures, après avoir visé directement la foule avec des canons à eau et du gaz lacrymogène.

Le ministère de l’Intérieur roumain et la gendarmerie ont déclaré publiquement que les responsables de l’application des lois avaient utilisé la force légalement. Les autorités ont affirmé que les affrontements qui avaient eu lieu dans l’après-midi et la soirée du 10 août avaient été causés par des groupes de « dangereux casseurs » et non par des manifestants pacifiques, et que l’utilisation de la force était justifiée par ces provocations. Elles ont souligné que les gendarmes avaient agi en état de légitime défense et pour restaurer l’ordre public. Les gendarmes ont ajouté que l’intervention avait été graduelle et proportionnée, le gaz lacrymogène ayant été utilisé en premier, suivi par des signaux d’avertissement lumineux prévus par la loi, et finalement par l’évacuation de la place. Lors de la conférence de presse tenue par la gendarmerie le 11 août, les autorités ont déclaré que l’extraction des individus et groupes violents était impossible car la foule n’avait pas coopéré pour permettre aux responsables de l’application des lois de contenir la violence. Les autorités ont admis avoir fait un usage aveugle de gaz lacrymogène, mais ont fait valoir qu’il n’aurait pas pu être limité seulement à certaines parties de la foule car les groupes violents étaient disséminés au sein de celle-ci, et qu’il fallait rétablir l’ordre public.

Les autorités ont affirmé que les affrontements qui avaient eu lieu dans l’après-midi et la soirée du 10 août avaient été causés par des groupes de « dangereux casseurs » et non par des manifestants pacifiques, et que l’utilisation de la force était justifiée par ces provocations.

D’après le bilan provisoire concernant les blessures causées et les sanctions prises par les autorités le 11 août, 452 civils et 35 gendarmes ont eu besoin de soins médicaux, dont respectivement 70 et 11 ont dû être emmenés à l’hôpital. Au moins huit procédures pénales ont été engagées contre des manifestants, et 23 personnes ont reçu une amende pour des infractions mineures.

Les autorités ont également annoncé que le tribunal militaire avait ouvert des enquêtes sur les allégations de recours injustifié et excessif à la force par des responsables de l’application des lois durant la dispersion de la manifestation.

Amnesty International demeure fortement préoccupée par les allégations faisant état d’une utilisation aveugle et disproportionnée de produits chimiques irritants par les gendarmes lors de la manifestation du 10 août, qui pourrait être contraire aux obligations de la Roumanie au titre du droit international.

D’après le droit international relatif aux droits humains et les normes internationales en la matière, l’utilisation de la force durant des rassemblements doit respecter scrupuleusement les principes de légalité, de précaution, de nécessité, de proportionnalité et d’obligation de rendre des comptes.

Les responsables de l’application des lois ont l’obligation d’éviter ou de limiter l’usage de la force quand ils assurent le maintien de l’ordre lors de manifestations. Ils ne devraient l’employer qu’en dernier recours, même en cas d’actes de violence lors de rassemblements, et seulement quand cela est nécessaire et proportionné à un but légitime.

L’utilisation de substances chimiques irritantes lors de rassemblements ne doit avoir lieu qu’à des fins de dispersion et lorsque le degré de violence est tel que les forces de l’ordre ne peuvent plus contenir la menace en visant uniquement les personnes violentes. Les gaz lacrymogènes et les canons à eau ne peuvent être utilisés que lorsque les gens ont la possibilité de se disperser et non quand ils se trouvent dans un espace confiné ou si les rues et autres issues sont bloquées. Les autorités doivent commencer par avertir clairement que ces moyens vont être utilisés et laisser suffisamment de temps à la foule pour se disperser.

Les autorités roumaines doivent veiller à ce que les enquêtes sur ces allégations soient approfondies, impartiales et indépendantes afin d’identifier toute infraction et de faire en sorte que toutes les personnes ayant commis des violations des droits humains soient traduites en justice et amenées à rendre compte de leurs actes. S’il y a suffisamment de preuves, les personnes soupçonnées de responsabilité pénale doivent faire l’objet de poursuites dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité des procès.

Amnesty International est préoccupée par la décision des autorités de faire mener ces enquêtes par le tribunal militaire. Au titre des normes internationales, les juridictions militaires doivent se limiter au jugement de militaires pour des infractions à la discipline militaire, et ne devraient pas pouvoir s’occuper d’infractions au droit international ou d’autres violations des droits humains.

Amnesty International appelle les autorités roumaines à prendre les mesures nécessaires pour que les enquêtes sur les allégations de recours injustifié et excessif à la force durant les manifestations du 10 août soient menées par les autorités civiles de manière approfondie, impartiale et indépendante. De plus, les autorités doivent respecter et protéger le droit de réunion pacifique et veiller à ce que les personnes puissent exprimer leurs avis et opinions de manière pacifique. Alors que les mouvements de protestation se poursuivent à Bucarest, les autorités roumaines doivent s’assurer que toutes les forces de sécurité chargées du maintien de l’ordre lors des manifestations respectent à tout moment le droit international relatif aux droits humains et les normes internationales en la matière, notamment les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois.

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