Communiqué de presse

Roumanie. Des milliers de vies déracinées par les expulsions forcées

En Roumanie, les autorités trahissent des milliers de citoyens en n’honorant pas leurs promesses et en faisant preuve d’un mépris total pour leur droit à un logement convenable, écrit Amnesty International dans le nouveau rapport qu’elle publie mardi 18 juin sur les expulsions forcées en Roumanie.

Intitulé Pushed to the margins : Five stories of Roma forced evictions in Romania, ce document retrace le parcours de ces personnes expulsées de leur domicile, de leur quartier et de leur environnement, vers la périphérie des villes.

Le rapport suit le parcours de cinq personnes originaires de trois villes de Roumanie, qui ont été expulsées de force de leur domicile et ont résisté à leur réinstallation. Il met en lumière les profondes répercussions qu’ont sur la vie des gens la perte du logement et des moyens de subsistance, la coupure des cercles sociaux, la réprobation sociale, les difficultés d’accès à l’éducation et à la santé, et le traumatisme de l’expulsion en elle-même.

« Nous assistons dans la Roumanie du 21e siècle à l’expulsion délibérée en dehors de la société de personnes vulnérables qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté ou juste à la limite et endurent des conditions de logement déplorables. La législation actuelle en matière de logement est loin de respecter les normes internationales qu’a adoptées le gouvernement de ce pays. En particulier, elle ne garantit pas le droit à un logement convenable pour tous ses citoyens et n’interdit pas les expulsions forcées, a indiqué Barbora ?ernušáková, spécialiste de la Roumanie à Amnesty International.

« Les lacunes de la loi permettent aux autorités locales, sous prétexte de " rénovation et aménagement des centres urbains ", de chasser des communautés roms entières établies de longue date et de les transférer dans des logements inappropriés, hors de la vue du reste de la population. Ces réinstallations se traduisent bien souvent par une marginalisation et une pauvreté accrues et vont à l’encontre des politiques du gouvernement visant à lutter contre l’exclusion sociale des Roms et d’autres groupes vulnérables. »

Claudia Greta, qui approche aujourd’hui la trentaine, a vécu dans la rue Coastei, dans la ville de Cluj-Napoca, située dans l’ouest de la Roumanie, depuis ses neuf ans, jusqu’en 2010, lorsque les autorités municipales ont évacué de force tout le quartier. La majorité des habitants ont été relogés à Pata Rât, un secteur industriel situé à la périphérie de la ville et surtout connu pour sa décharge et son ancien site de déversement de déchets chimiques. Plusieurs familles ne se sont pas vu proposer de solution de relogement.

Dans le cas de Claudia, à la suite de l’expulsion, elle a dû partager pendant cinq mois la petite pièce attribuée à sa famille, avec ses parents et la famille de son frère – 11 personnes au total – parce qu’ils se sont retrouvés à la rue. « Ils nous ont jetés près des ordures, comme si nous étions nous-mêmes des ordures… Ils [les gens de Cluj] ne savent pas [...] où et comment nous vivons ; que nous vivons dans une pièce unique, où nous nous lavons, nous mangeons, nous faisons les devoirs, nous faisons tout », a expliqué Claudia.

Quant à Rodica, elle comptait parmi les quelque 500 personnes qui ont résisté à l’expulsion de Craica, un campement de la ville de Baia Mare, dans le nord-ouest du pays, en 2012. La municipalité a expulsé de force la moitié des habitants et a démoli leurs logements, pour les réinstaller à la périphérie de la ville, dans des bâtiments appartenant à une ancienne usine métallurgique, la CUPROM.

Après l’annonce des démolitions prévues à Craica, Rodica est allée voir le logement qui lui était proposé sur ce site : « Il y avait des armoires métalliques avec tout un tas de récipients [...] marqués comme “dangereux”, explique-t-elle. J’en ai ouvert [un] et ça m’a piqué les yeux et la bouche, je ne pouvais plus respirer. C’était plein de produits chimiques. [...] C’est pour ça que [j’ai dit que c’était] le camp de la mort. »

Les familles relogées sur le site de la CUPROM se sont vu attribuer une ou deux pièces, sans chauffage et mal isolées. Les sanitaires sont communs et se trouvent à chaque étage. Les bâtiments n’ont pas été convertis en logements et l’un d’eux – un ancien laboratoire de traitement chimique – servait toujours à stocker des produits chimiques.

Dusia a été expulsée à trois reprises au cours de sa vie. La dernière fois, c’était en août 2012 : les autorités locales de la ville de de Piatra-Neam ? , dans le nord-est de la Roumanie, ont expulsé quelque 500 Roms de leurs logements de la rue Muncii et les ont transférés dans des « logements sociaux » à Vãleni 2, un secteur isolé, situé à sept kilomètres environ du centre-ville et coupé de la localité par une ancienne zone industrielle et une rivière. Aujourd’hui, elle doit marcher environ un kilomètre le long d’une route boueuse, non éclairée, pour atteindre le premier arrêt de bus.

« À notre place, demande Dusia, [est-ce que vous ne voudriez pas] au moins avoir l’électricité, une route, un bus et un magasin d’alimentation où acheter du pain ? Est-ce que vous ne vous sentiriez pas mieux avec un peu plus de lumière quand vous sortez [le soir] ? Il y a des dangers. La forêt est toute proche, il y a des ours, des loups. »

« L’histoire de Claudia, de Rodica et de Dusia – leur insécurité, leur dénuement et leur désespoir – est hélaspartagée par une grande partie des deux millions de Roms de Roumanie, a indiqué Barbora ?ernušáková.

« L’action, ou dans certains cas l’inaction, des autorités locales, et leurs promesses trahies illustrent ladiscrimination qui touche les Roms et se traduisent par une ségrégation de grande ampleur. »

À Cluj-Napoca, on a baptisé Pata Rât le « ghetto rom ». En 2012, les autorités locales ont annoncé leur intention de commencer à reloger les habitants qui y avaient été transférés à la suite d’une expulsion. En juin 2013, aucun projet précis n’a encore été mis au point et les habitants expulsés de la rue Coastei attendent toujours d’obtenir justice.

Catalin Chereches, le maire de Baia Mare, a remporté l’élection municipale de 2012 en s’engageant à démolir les campements roms de la ville. La moitié du plus gros campement de Craica a été démolie et seshabitants ont été relogés dans des conditions insatisfaisantes. Ils continuent, tout comme les personnes qui ont opposé une résistance à leur expulsion, de vivre dans la peur de devoir quitter leur logement d’un jour à l’autre.

En octobre 2001, le maire de Piatra-Neam ? avait annoncé son intention de créer un ghetto rom à l’emplacement d’un ancien élevage de poulets. Douze ans plus tard, la municipalité a finalement « atteint » son objectif de repousser tous les Roms pauvres à l’extérieur de Piatra-Neam ?, à la périphérie de la ville.

« Ces actions mises en œuvre par les autorités locales sont illégales et inacceptables. Elles ruinent la vie des gens et vident de leur sens les politiques d’intégration des Roms. Le gouvernement roumain doit agir de toute urgence afin de mettre un terme à ces violations des droits fondamentaux. Il doit user de toute son autorité pour peser sur les responsables locaux, afin de garantir la protection, le respect et la réalisation des droits en matière de logement de tous les citoyens et de mettre un terme aux expulsions forcées », a conclu Barbora ?ernušáková.

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