Qatar : La plupart des travailleurs migrants peuvent enfin circuler librement

La nouvelle loi qatarienne supprimant partiellement l’autorisation de sortie qui empêchait les travailleurs migrants de quitter le territoire sans la permission de leur employeur constitue un premier pas important vers le démantèlement du système de parrainage abusif en vigueur dans le pays.

  • En vertu de la nouvelle loi, la grande majorité des 1,9 million de travailleurs migrants que compte le pays sont désormais libres de quitter le territoire sans la permission de leur employeur
  • Parmi ceux qui ne sont pas concernés par ce texte figurent les 174 000 employés de maison
  • Il demeure nécessaire de réformer en profondeur le système tristement célèbre de la kafala (parrainage obligatoire par un employeur) alors que les chantiers s’accélèrent à l’approche de la coupe du monde de football de 2022

La loi n° 13 de 2018, édictée le 4 septembre par l’émir du Qatar, retire aux employeurs le pouvoir d’interdire à la grande majorité des travailleurs migrants – ceux couverts par le droit du travail – de quitter le territoire. Néanmoins, les employeurs peuvent toujours obliger jusqu’à 5 % de leurs effectifs (selon la nature de l’emploi) à obtenir une autorisation de sortie. Les autres travailleurs qui n’entrent pas dans le champ d’application du droit du travail, comme les employés de maison, ne sont pas encore concernés par la réforme.

«  L’abolition partielle de l’autorisation de sortie au Qatar accorde enfin à des centaines de milliers de travailleurs le droit de quitter le territoire sans la permission de leur employeur et constitue un premier pas important vers la réforme profonde du système de parrainage abusif que les autorités ont promise, a déclaré Stephen Cockburn, directeur adjoint du programme Questions mondiales à Amnesty International.

« Néanmoins, il est essentiel que d’autres mesures soient prises afin que tous les travailleurs migrants installés au Qatar puissent jouir du droit de circuler librement – y compris les employés de maison, qui risquent toujours d’être exploités et de subir des violences. Il ne doit y avoir aucune exception en matière de protection des droits fondamentaux.  »

Selon le ministère qatarien de la Planification du développement et des Statistiques, le pays compte plus de 1,9 million de travailleurs migrants, qui représentent environ 90 % de sa population totale et sont majoritairement originaires de pays d’Asie du Sud et du Sud-Est, notamment du Bangladesh, d’Inde, du Népal, du Pakistan et des Philippines. Beaucoup travaillent sur des projets d’infrastructure en rapport avec la coupe du monde de football 2022, qui se déroulera au Qatar.

Les employés de maison attendent une nouvelle réglementation

Bien que la Loi n° 13 de 2018 ne concerne pas les travailleurs qui n’entrent pas dans le champ d’application du droit du travail, comme les 174 000 travailleurs migrants, le nouveau texte dispose que les règlements et procédures relatifs à cette catégorie de travailleurs seront ébauchés dans une future décision ministérielle.

Les recherches menées par Amnesty International ont montré que les employés de maison étaient sont contraints à travailler de longues heures sans jour de repos et que leur droit de circuler librement peut être considérablement restreint, outre les violences physiques et sexuelles dont ils sont fréquemment victimes.

« Les employés de maison, qui sont généralement des femmes, sont souvent les plus exposés à la violence des employeurs. Ils ne devraient jamais être tenus d’obtenir une autorisation de sortie qui les empêche de fuir une situation dans laquelle ils sont exploités ou de rentrer auprès de leur famille, dans leur pays d’origine. Il est impératif que le Qatar poursuive sur la voie ouverte par la nouvelle loi en supprimant l’autorisation de sortie pour tous les travailleurs migrants », a déclaré Stephen Cockburn.

« Les employés de maison, qui sont généralement des femmes, sont souvent les plus exposés à la violence des employeurs. Ils ne devraient jamais être tenus d’obtenir une autorisation de sortie qui les empêche de fuir une situation dans laquelle ils sont exploités »

En août 2017, le Qatar avait adopté une nouvelle loi fournissant une certaine protection juridique aux employés de maison – elle prévoyait notamment un nombre maximal d’heures de travail et des congés annuels. Cependant, compte tenu des difficultés d’application de ce texte et du maintien de l’autorisation de sortie, il demeure compliqué pour nombre de ces personnes d’échapper à des employeurs violents.

Il faut mettre fin au système de parrainage

L’autorisation de sortie n’est que l’une des aspects du système tristement célèbre de la kafala (parrainage obligatoire par un employeur). Les recherches d’Amnesty International ont mis en évidence le fait que ce système favorisait l’exploitation massive des travailleurs migrants, y compris le travail forcé, et les violences généralisées à leur égard.

Bien que la plupart des travailleurs n’aient désormais plus besoin de la permission de leur employeur pour quitter le territoire, ils doivent encore obtenir auprès de ce dernier un certificat de non-objection s’ils souhaitent changer d’emploi en restant dans le pays. Nombre d’employeurs refusent de délivrer ce certificat et les travailleurs sont obligés de terminer leur contrat, ce qui peut prendre jusqu’à cinq ans.

Les travailleurs qui quittent un poste sans la permission de leur employeur peuvent être dénoncés pour « fuite » et ainsi faire l’objet d’une charge pénale qui peut aboutir à leur arrestation ou leur expulsion, ce qui constitue une violation du droit international du travail et des normes connexes.

Certains employeurs conservent le passeport de leurs salariés, une pratique de longue date qui n’est pas systématiquement considérée comme illégale depuis que la Loi n° 21 de 2016 a créé un vide juridique.

Il faut que les autorités qatariennes fassent en sorte que les employeurs ne puissent pas avoir recours à des stratagèmes comme la confiscation du passeport ou les interdictions arbitraires de sortie du territoire pour empêcher des travailleurs de quitter le pays, maintenant que l’autorisation de sortie n’est plus requise pour la plupart des travailleurs.

« L’organisation de la coupe du monde de football peut contribuer à transformer les conditions de travail dans le pays : le Qatar deviendrait alors un exemple dans la région en cessant d’encourager l’exploitation. Il reste toutefois beaucoup à faire et l’abolition totale de l’autorisation de sortie est l’une des nombreuses étapes à franchir, a déclaré Stephen Cockburn.

« Les droits des travailleurs ne doivent pas être laissés à la discrétion des employeurs.  »

Complément d’information

Les réformes annoncées le 4 septembre s’inscrivent dans le cadre d’un projet de coopération technique sur trois ans convenu avec l’Organisation internationale du travail (OIT) en octobre 2017, à la suite des abus révélés par des organisations comme Amnesty International. Au titre de ce projet, le Qatar s’est engagé à réviser ses lois conformément aux normes internationales du travail et, à terme, à réformer en profondeur le système de parrainage.

Il existe des systèmes de parrainage similaires dans d’autres pays du Golfe, ainsi qu’en Jordanie et au Liban. L’Arabie saoudite et le Qatar sont toutefois les deux seuls pays à exiger des autorisations de sortie.

En mai 2018, le Qatar a ratifié deux traités internationaux relatifs aux droits humains intéressant les droits des travailleurs : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), dans lequel est inscrit le droit de circuler librement – le pays a cependant émis une réserve par laquelle il ne reconnaît pas aux travailleurs migrants le droit de former des syndicats, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), qui entérine le droit à des conditions de travail décentes.

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