En privant les femmes et les filles de leurs droits humains, les talibans cherchent à les effacer de la société afghane

En privant les femmes et les filles de leurs droits humains, les talibans cherchent à les effacer de la société afghane

Depuis le retour des talibans à Kaboul en août 2021, les attaques systématiques contre les droits des femmes et des filles et le recours à la violence, notamment à la torture et à d’autres mauvais traitements, ainsi qu’aux disparitions forcées, ont créé une culture de la peur et menacent d’effacer totalement les femmes et les filles de la vie publique dans la société afghane.

Bien que les talibans se soient au départ engagés à respecter les droits des femmes dans les limites du cadre islamique [1], ces droits sont attaqués de multiples façons profondément imbriquées, tandis que la crise économique en cours pèse principalement sur les femmes. Ces attaques contre les droits des femmes et des filles à l’éducation, au travail, à la libre circulation et à la liberté de réunion pacifique, ainsi que les disparitions forcées, la torture et les autres mauvais traitements infligés à des manifestantes, entre autres violations des droits, ont sévèrement restreint la capacité des femmes et des filles à agir librement dans les domaines politique, social et économique.

Depuis que les talibans ont pris le pouvoir en août 2021, les politiques, réglementations et décrets des autorités de facto nient et violent les droits fondamentaux des femmes et des filles dans le pays, notamment leurs droits liés à la participation à la vie publique, à l’éducation et à la liberté de circulation, de réunion pacifique et d’expression [2]. Les disparitions forcées, la torture et les autres mauvais traitements commis par des membres des autorités de facto [3], ainsi que les conditions économiques et sociales portant directement atteinte aux droits des femmes et des filles [4] (de l’effondrement de l’économie à l’augmentation des taux de mariages précoces et forcés), contribuent aux difficultés auxquelles se heurtent les femmes et les filles. Cette situation est en partie aggravée par certaines décisions et directives décentralisées prises de façon discrétionnaire par les dirigeants talibans, par l’application inégale des réglementations et par la violence aveugle des responsables et soldats talibans, le tout contribuant à instaurer une culture de la peur qui fait que les femmes et les filles craignent d’agir et de participer même aux aspects les plus ordinaires de la vie quotidienne.

Les informations recueillies par Amnesty International lors de dix entretiens réalisés ces six derniers mois avec des défenseur·e·s afghans des droits des femmes à l’intérieur comme à l’extérieur du pays semblent montrer que les femmes sont soumises à un nombre croissant de violations des droits humains et que l’espace de dialogue politique avec les dirigeants talibans sur cette question se réduit. De nombreuses militantes de premier plan ont été arrêtées ou harcelées [5], et d’autres ont fui à l’étranger. L’interdiction de l’enseignement secondaire pour les filles, en particulier, risque de porter préjudice à toute une génération de filles et de femmes dans le pays. Par ailleurs, par crainte des représailles des talibans et de la violence du gouvernement actuel, les femmes et les filles se voient aussi interdire par leur famille de participer aux activités jugées inappropriées par les talibans, comme l’ont expliqué à Amnesty International les personnes interrogées, ce qui contribue à créer un environnement de peur et de contrôle pour les femmes et les filles.

À l’occasion du premier anniversaire de la prise de Kaboul par les talibans, 40 femmes se sont réunies pour réclamer une aide économique de base et protester contre la fermeture des écoles pour les filles. Les manifestantes ont été dispersées par des combattants talibans, qui ont tiré en l’air avec leurs armes automatiques autour d’ellesY [6]. Trois journalistes ont aussi été arrêtés pendant cette manifestation [7]. Selon plusieurs témoignages, les talibans ont eu recours une autre fois à la violence, notamment à des tirs en l’air, pour disperser des manifestantes, les empêchant de poursuivre leur manifestation ou les soumettant à des menaces et des intimidations. Ils voulaient les empêcher de protester contre l’attaque délibérée de chiites hazaras au Centre éducatif de Kaaj, dans l’ouest de Kaboul, le 30 septembre, qui avait fait au moins 43 morts et 83 blessés [8].

Parallèlement, plusieurs des militant·e·s interrogés par Amnesty International ont souligné que l’une des différences entre les autorités talibanes actuelles et le gouvernement des années 1990 est que de nombreux dirigeants talibans se préoccupent davantage que leurs prédécesseurs de la façon dont ils sont perçus internationalement. Les talibans actuels répriment les tentatives d’attirer l’attention de la communauté internationale sur les violations des droits humains commises sous leur gouvernement. Des militant·e·s ayant participé à des manifestations ont raconté à Amnesty International que des journalistes avaient été attaqués pour avoir rendu compte de violations des droits humains, et les autorités de facto ont pris des mesures pour tenter de décrédibiliser les récents récits d’atteintes aux droits des femmes et des filles sur les réseaux sociaux [9]. Dans ce contexte, une attention et une pression internationales soutenues sont donc encore plus cruciales pour lutter contre les violations des droits fondamentaux des femmes et des filles.

De ce fait, Amnesty International appelle les talibans à cesser immédiatement de priver les femmes et les filles de leurs droits humains et à veiller à ce qu’elles puissent exercer pleinement leurs droits à l’éducation, au travail, à la liberté de réunion pacifique, à la libre circulation et à la participation politique, entre autres droits qui sont actuellement bafoués. Les talibans doivent aussi protéger les femmes et les filles de la violence liée au genre et mettre un terme aux disparitions forcées. Amnesty International demande par ailleurs à la communauté internationale, en particulier au Conseil de sécurité des Nations unies, de faire clairement savoir par le biais d’une résolution officielle que les actes commis actuellement par les talibans à l’encontre des femmes et des filles ne sont pas acceptables, et ne le seront jamais. Le Conseil de sécurité doit élaborer une résolution et imposer des sanctions ciblées et une interdiction de voyager, en particulier aux membres des talibans qui sont impliqués dans des violations des droits des femmes et des filles.

La présente déclaration publique s’appuie sur un récent rapport d’Amnesty International sur le sort difficile des femmes et des filles sous le régime taliban, et en particulier sur dix entretiens récents avec des défenseur·e·s des droits de femmes et des manifestant·e·s se trouvant encore dans le pays ou ayant réussi à le quitter [10]. Avant l’arrivée au pouvoir des talibans, il y avait en Afghanistan quatre femmes ministres, une gouverneure régionale et des vices-gouverneures aux Affaires sociales dans plus de 20 provinces sur 34 [11] . Les femmes représentaient également plus de 20 % des fonctionnaires du pays [12] et le pays comptait plusieurs ambassadrices [13]. Un petit nombre de femmes travaillaient dans la police, l’armée et le secteur de la sécurité [14], et d’autres étaient juges, procureures ou avocates [15].

Lors de la prise de Kaboul par les talibans, les activités de presque tous les bureaux et organismes gouvernementaux qui comprenaient des femmes ont été immédiatement suspendues. Cela a été le cas notamment du Parlement afghan, qui conformément à la loi était composé d’au minimum 27 % de femmes, ainsi que des conseils provinciaux, qui comptaient 20 % de femmes [16]. Sous le régime taliban, le ministère des Affaires de la femme ne fonctionne plus et son ancien siège à Kaboul a été réattribué au ministère du Vice et de la Vertu, qui avait opprimé les femmes sous le régime taliban des années 1990 et continue de le faire aujourd’hui [17]. Le ministère des Affaires de la femme comptait des bureaux régionaux dans les 34 provinces d’Afghanistan, bureaux qui apportaient une aide aux femmes et employaient principalement des femmes à Kaboul comme dans les provinces [18] .

Dans les jours qui ont suivi la prise du pouvoir par les talibans, les femmes ont été exclues d’autres emplois dans la fonction publique et les cabinets politiques Entretien à distance avec [19]. Les seules exceptions sont principalement dans le secteur public de la santé [20]. Les femmes qui travaillaient dans le secteur privé ou les médias se sont aussi heurtées à des difficultés croissantes. Par ailleurs, les services essentiels destinés aux femmes victimes de violences liées au genre, comme les foyers d’accueil, ont été considérablement réduits et la Commission indépendante des droits humains en Afghanistan a été fermée [21]. Ces décisions des talibans ont aussi eu des conséquences économiques plus larges, et le fait de chasser les femmes de leur travail a eu des effets dévastateurs sur les moyens de subsistance des ménages, en particulier pour les foyers dirigés par une femme [22] .

Des femmes qui travaillaient pour le gouvernement ont indiqué avoir subi diverses formes de harcèlement de la part des talibans. Une fonctionnaire a raconté à Amnesty International avoir été convoquée pour un interrogatoire et avoir subi des manœuvres d’intimidation après la prise de pouvoir par les talibans [23]. D’autres ont simplement reçu l’ordre de ne plus retourner au bureau [24]. Dans certains cas, des fonctionnaires et des membres de la société civile ont été prises spécifiquement pour cible, comme Alia Azizi, qui était directrice de la prison pour femme d’Hérat et a disparu après s’être présentée à son travail le 2 octobre 2021. Sa dernière communication téléphonique a été avec le responsable taliban de la prison d’Hérat [25]. Plus récemment, dans les zones où le gouvernement taliban n’a pas assez de personnel pour répondre à la crise humanitaire en cours, les talibans ont demandé aux femmes d’envoyer un homme de leur famille travailler à leur place [26].

Toutes ces mesures ont eu un effet dissuasif, en particulier sur les femmes qui étaient impliquées dans la politique. Une femme qui travaillait pour le gouvernement a déclaré : « Au début, je ne suis pas sortie de chez moi pendant sept jours. Puis, quand je suis sortie, la ville m’a paru étrangère [27]. »

LIBERTE DE REUNION PACIFIQUE [28]

Les restrictions imposées par les talibans ont presque immédiatement déclenché des manifestations de femmes en Afghanistan [29]. Deux jours après leur arrivée pouvoir, le 17 août 2021, un petit groupe de femmes s’est réuni devant le Palais présidentiel [30]. Ces femmes portaient des abayas et des hidjabs noirs et réclamaient la préservation des droits acquis par les femmes ces 20 dernières années, notamment du droit à l’éducation, du droit de travailler et du droit de participer à la vie politique. Dans les semaines qui ont suivi, plusieurs autres manifestations ont appelé les talibans à préserver les droits des femmes et des filles au travail et à l’éducation [31].

Les responsables et les soldats talibans ont réprimé ces manifestations au moyen d’une force excessive et ont commis d’autres violations des droits humains, soumettant par exemple des manifestant·e·s à des disparitions forcées [32] ou des arrestations arbitraires [33], et interdisant toute manifestation dont ils n’avaient pas approuvé les slogans à l’avance [34]. Dans certains cas, les talibans ont installé des barrages routiers pour arrêter les personnes qui se rendaient à ces manifestations. Selon certains témoignages, des femmes ont fait d’énormes efforts pour tenter d’organiser des manifestations malgré ces restrictions.

Des militant·e·s ont raconté avoir été frappés pendant des manifestations, souvent à coups de tuyau, de fouet ou de crosse, et avoir reçu des grenades lacrymogènes tirées directement sur les manifestant·e·s [35]. Durant les manifestations, la police talibane a aussi intimidé des journalistes et confisqué les téléphones et les appareils photos des personnes soupçonnées d’avoir filmé ce qui se passait [36]. D’autres journalistes ont été placés en détention et torturés [37].

En février 2022, les talibans avaient arrêté arbitrairement ou soumis à une disparition forcée plus de 30 manifestantes dans le pays [38] Si quelques manifestations continuent d’avoir lieu, leur fréquence semble avoir diminué et des militant·e·s indiquent avoir peur de se contacter entre eux par crainte de se mettre en danger les uns les autres [39].

DROIT A L’EDUCATION, DROIT DE TRAVAILLER ET DROIT DE CIRCULER LIBREMENT

Les femmes et les filles sont aussi confrontées à de sévères restrictions de leur capacité de choisir comment s’habiller, voyager, travailler et aller à l’école. Les talibans les ont privées du droit à l’éducation à de multiples niveaux – une mesure dévastatrice qui va avoir des répercussions sur l’avenir à long terme des femmes et des filles en Afghanistan. Déjà, sous le précédent gouvernement, plus de deux millions de filles n’avaient pas accès à l’éducation [40], principalement en raison des conflits persistants et du nombre insuffisant d’enseignantes ou d’établissements scolaires [41], mais les politiques plus récentes appliquées durant l’année écoulée ont fortement accentué le problème. Actuellement, toutes les écoles pour filles au-delà de la sixième année sont fermées [42], ce qui fait de l’Afghanistan le seul pays au monde à interdire de fait l’enseignement secondaire aux filles [43].

Au 17 septembre 2021, les écoles de garçons avaient rouvert dans tout le pays, tandis que la scolarisation des filles restait interdite jusqu’à ce qu’il soit possible de leur « offrir un environnement d’apprentissage sûr », sans plus d’explications sur ce que cela impliquait [44]. Depuis, malgré la vague internationale de protestations, les écoles de filles sont toujours fermées. Au début de l’année 2022, des responsables talibans ont annoncé que les écoles de filles allaient rouvrir d’ici le mois de mars, mais cette décision a été annulée quelques heures après le retour des filles à l’école“ [45]. Les militant·e·s interrogés pensent que ces promesses sur lesquelles les talibans sont finalement revenus visaient principalement à calmer les critiques de la communauté internationale. Un an après la prise de Kaboul, l’interdiction pour les filles d’aller à l’école au-delà de la sixième année (soit l’âge de 12 ans) est toujours en vigueur [46].

Les femmes sont techniquement autorisées à aller à l’université, mais les talibans ont instauré de sévères restrictions en matière de tenue vestimentaire [47], ainsi que des classes non mixtes [48]. Ils ont aussi séparé les temps d’enseignement destinés aux garçons de ceux destinés aux filles à l’université [49]. Des étudiantes signalent par ailleurs diverses formes de harcèlement de la part de soldats talibans. Enfin, d’autres réglementations limitent leur accès à l’éducation, par exemple l’interdiction pour les femmes d’entrer dans les bâtiments administratifs, ce qui complique beaucoup leur inscription aux cours [50].

Le fait que les talibans aient interdit aux femmes de se déplacer sans un mahram, ou chaperon de sexe masculin, limite encore leur accès à l’éducation, ainsi que leur droit de circuler librement et leur droit à la liberté de réunion [51]. Selon des militant·e·s, les talibans ont harcelé et frappé des femmes qui se déplaçaient sans mahram et, dans certains cas, ont même sanctionné des femmes qui étaient accompagnées, laissant entendre que les femmes ne devaient en fait pas du tout voyager, quelle qu’en soit la raison [52]. Cela a fortement limité la capacité des femmes à circuler à l’intérieur du pays et à sortir du pays. Par exemple, une militante a raconté avoir été arrêtée à l’aéroport et s’être vu interdire de sortir du territoire sans un homme de sa famille [53]. Des militant·e·s ont affirmé que les autorités talibanes les avaient empêchés de quitter le pays et qu’il s’agissait probablement d’une stratégie délibérée visant à garder les personnes militantes dans le pays pour limiter la diffusion de leurs messages [54]. Une autre militante a déclaré qu’elle et d’autres femmes avaient été attaquées par des soldats talibans lors de leur demande de passeport. Cette femme a expliqué avoir été frappée à coups de tuyau (en plastique) au bureau des passeports alors qu’elle venait demander un passeport pour aller étudier à l’étranger [55].

Les femmes sont par ailleurs confrontées à des restrictions de plus en plus sévères sur ce qu’elles peuvent porter en public. Les talibans ont imposé aux présentatrices de télévision de couvrir leur visage quand elles passent à l’antenne afin qu’il ne soit pas entièrement visible à l’écran [56].

UNE SOCIÉTÉ RÉGIE PAR LA PEUR

La plupart des politiques actuelles des talibans sont un prolongement et un élargissement des mauvais traitements infligés aux femmes et aux filles dans les zones qui étaient contrôlées par les talibans sous la République islamique d’Afghanistan, zones où elles étaient privées de leurs droits à l’éducation, au travail et à la liberté de mouvement et de réunion [57]. Toutefois, ces règles draconiennes appliquées sous le régime taliban entre 1996 et 2001 ont été aujourd’hui étendues afin de créer une culture de la peur, qui limite la capacité des femmes à participer ne serait-ce qu’aux aspects les plus prosaïques de la vie publique [58]. Depuis la prise de Kaboul par les talibans, des femmes et des filles ont été arrêtées arbitrairement, sur des accusations de « corruption morale » ou d’autres infractions vagues [59].

D’imminentes militantes ou professionnelles défenseures des droits des femmes, comme Alia Azizi, Mursal Ayar, Zahra Mohammadi, Tamana Zaryab, Hanifa Nazari, Parwana Ibrahimkhel et Tamanna Zarayb Paryani, ont été soumises à la détention arbitraire ou à une disparition forcée [60]. Les autorités talibanes refusent d’enquêter sur les disparitions forcées. Les familles quant à elles hésitent à réclamer une enquête car elles soupçonnent les autorités talibanes d’être impliquées dans ces disparitions forcées [61], ce qui accroît le climat de peur dans le pays.

Ce climat de peur conduit souvent les familles à imposer des restrictions supplémentaires aux femmes et aux filles, limitant leur capacité à jouir de leurs droits. Des familles ont ainsi empêché des femmes de participer à des manifestations, soit parce qu’elles soutenaient les politiques des talibans à l’égard des femmes, soit par crainte des représailles. Comme l’a déclaré une manifestante à Amnesty International, « une femme doit commencer par manifester chez elle avant de pouvoir espérer le faire dehors [62] ». Une autre a raconté que ses proches avaient peur qu’elle subisse des violences sexuelles en cas d’arrestation par les talibans, ce qui couvrirait sa famille de honte, et que c’est pour cette raison qu’ils lui interdisaient de participer aux manifestations [63]

Les restrictions actuelles prévoient que les hommes de la famille seront tenus pour responsables si une femme ou une fille désobéit aux règles relatives au hidjab, qui imposent aux femmes et aux filles de se couvrir de la tête aux pieds [64]. Ces politiques pourraient entraîner une augmentation de la violence domestique contre les femmes dans le pays. Avant la prise du pouvoir par les talibans, l’ancien ministère des Affaires de la femme avait enregistré 7 191 cas de violences contre les femmes en 2020. Les militant·e·s locaux sont convaincus que ce nombre a augmenté depuis [65] .

Les militant·e·s soulignent que le manque de protection face à la violence a fortement restreint leur capacité à exercer leurs droits à la liberté d’expression et de pensée. Comme l’a raconté une des personnes interrogées par Amnesty International : « Nous allions arriver dans la rue principale quand des soldats talibans sont arrivés et ont déchiré notre banderole. Parmi les journalistes, une personne a été frappée, plusieurs ont été poussées de force dans le véhicule des soldats, et une autre a été emmenée au poste de police. Ils emmènent les journalistes au commissariat, les torturent, suppriment toutes leurs photos et vidéos, puis les libèrent [66]. » D’autres militant·e·s ont dit craindre que leurs groupes n’aient été infiltrés par des espions talibans qui rendent compte de leurs activités [67]. Certain·e·s ont par ailleurs souligné que les talibans violaient souvent leur propre réglementation, par exemple en détenant des manifestantes en l’absence de toute femme talibane [68].

La multiplication des violations des droits des femmes et des filles est aussi contraire aux engagements pris précédemment par l’Afghanistan au titre de la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies. Or, le Conseil de sécurité n’a encore pris aucune mesure pour demander des comptes aux talibans à propos des engagements du précédent gouvernement. En particulier, le Plan national d’action de 2015 de l’Afghanistan visait à « accroître la participation politique des femmes à tous les niveaux de prise des décisions liées à la paix, à la sécurité et au service public [69] »

Ce plan avait en particulier pour objectifs de :
1) Renforcer la participation réelle des femmes dans la prise de décisions et leur présence aux postes d’encadrement de la fonction publique ;
2) Accroître la participation active et véritable des femmes aux postes d’encadrement au sein des organes de sécurité ;
3) Veiller à ce que les femmes participent réellement au processus de paix ;
4) Encourager une véritable participation des femmes à l’élaboration des stratégies et des politiques sur la paix et la sécurité ;
5) Renforcer la participation active des femmes aux élections.

Depuis le retour des talibans, l’Afghanistan a connu dans chacun de ces domaines d’importants revers auxquels le Conseil de sécurité n’a pas encore réagi.

RECOMMANDATIONS

Les politiques et les actions des autorités talibanes à l’égard des femmes et des filles ont eu des effets dévastateurs sur la vie de celles-ci. Elles ont aussi des effets secondaires importants. La décision des talibans d’empêcher les femmes de travailler a des conséquences catastrophiques sur les moyens de subsistance des ménages, et des informations font état d’une forte augmentation des taux de mariages précoces et forcés due à la pression économique et au refus des talibans de protéger les droits des femmes et des filles [70].

Compte tenu des violations persistantes des droits des femmes et des filles dans un contexte qui ne cesse d’empirer, Amnesty International adresse les recommandations suivantes aux talibans et à la communauté internationale :

1. AUX AUTORITES TALIBANES DE FACTO

• Les talibans doivent respecter, protéger, promouvoir et mettre en œuvre les droits des femmes et des filles à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
• Les talibans doivent prendre des mesures immédiates pour garantir les droits de travailler, de circuler librement et de participer à la vie politique ainsi que les autres droits humains qu’ils bafouent actuellement, et notamment :
o autoriser les manifestations pacifiques ;
o mettre un terme aux violences contre les militant·e·s et les journalistes ;
o supprimer les restrictions de déplacement imposées aux femmes et aux filles ;
o autoriser les femmes qui sont employées dans la fonction publique et ailleurs à reprendre le travail.

• Les talibans doivent respecter le droit des femmes et des filles à l’éducation et, en particulier :
o annuler l’interdiction pour les filles de fréquenter les établissements d’enseignement secondaire ;
o veiller à ce que les femmes et les filles aient accès aux mêmes possibilités de scolarisation que les hommes et les garçons.

• Les talibans doivent supprimer les restrictions qui pèsent sur les étudiantes et les enseignantes à tous les niveaux, notamment en termes de tenue vestimentaire, de comportement et de séparation des genres.

• Les talibans doivent mettre un terme aux disparitions forcées, aux violences ciblées et à la torture commis par leurs membres et faire le nécessaire pour protéger les femmes de ces actes.

2. À LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE ET AU CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS UNIES

• La communauté internationale doit faire clairement savoir aux talibans que leurs politiques actuelles à l’égard des femmes et des filles ne sont pas et ne seront jamais acceptables. Elle doit prendre des mesures pour que les actes des talibans soient suivis de conséquences claires, en particulier pour leurs dirigeants.

• Les organisations donatrices et l’ONU doivent chercher à remédier à la crise économique qui touche actuellement le pays et qui a de graves répercussions sur la vie des femmes et des filles. Elles doivent aussi faire clairement savoir aux talibans que leurs politiques actuelles à l’égard des femmes et des filles sont inacceptables.

• Le Conseil de sécurité des Nations unies doit adopter une résolution comprenant une série de mesures concrètes qu’il entend adopter en réponse à la situation de violations systémiques des droits des femmes et des filles en Afghanistan, dont des sanctions ciblées et des interdictions de voyager visant les membres des talibans impliqués dans ces violations des droits humains.

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