Pérou. Les victimes de Bagua n’ont toujours pas obtenu justice

DÉCLARATION PUBLIQUE

31 mars 2011

Index AI : AMR 46/003/2011

Plus de 20 mois après les faits, les victimes des événements tragiques de Bagua continuent à attendre que leur droit à la vérité, à la justice et à des réparations soit concrétisé, rappelle Amnesty International après avoir reçu des informations sur la condamnation prononcée par un tribunal policier et militaire contre deux responsables de la police nationale péruvienne et un haut-gradé de l’armée au mois de mars.

Ces condamnations seraient en relation avec leur participation à une opération consistant à disperser un barrage routier à Bagua, au cours de laquelle 33 personnes – dont 23 policiers – sont mortes et au moins 200 autres ont été blessées.

Amnesty International n’a pas encore pu obtenir de copie de ce jugement, qui est récent. L’organisation est cependant inquiète à l’idée que cette décision, rendue par une juridiction policière et militaire, puisse servir à faire obstacle à la procédure engagée devant la justice ordinaire contre des membres des forces de l’ordre pour des atteintes aux droits humains commises lors de l’opération à Bagua – qui se sont notamment soldées par la mort de civils et des blessures graves pour de nombreux manifestants. Cette procédure est traitée par la chambre pénale provisoire de Bagua, dans l’attente de l’ouverture du procès par le juge.

Par le passé, le fait que les responsables présumés soient jugés séparément par une juridiction policière et militaire est l’un des facteurs ayant contribué dans une large mesure à perpétuer l’impunité au Pérou pendant des décennies.

Amnesty International a bon espoir que les erreurs du passé ne se répètent pas dans l’affaire de Bagua et que la justice classique remplisse son devoir consistant à enquêter sur tous les responsables présumés de violations des droits humains et à les sanctionner le cas échéant.

L’organisation déplore une nouvelle fois que l’État péruvien continue à ne pas respecter le droit des victimes de Bagua et de leur famille à obtenir vérité et justice, et à recevoir des réparations intégrales.

L’État péruvien est tenu de faire en sorte que enquêtes indépendantes et impartiales soient menées dans les meilleurs délais sur les violations des droits humains et que les responsables présumés soient déférés devant des tribunaux également indépendants et impartiaux.

Recourir à une instance policière et militaire pour enquêter sur des délits tels que des atteintes aux droits humains ne relevant pas de tribunaux d’exception, est contraire aux normes internationales relatives aux droits fondamentaux et aux traités internationaux en la matière auxquels l’État péruvien est partie. Le fait que la police et l’armée exercent leur compétence dans ce domaine contribue à perpétuer l’impunité faute d’indépendance suffisante, en raison de la hiérarchie à laquelle sont soumis tous leurs membres ou presque. La compétence de cette juridiction doit se limiter aux infractions à caractère spécifiquement militaire ou policier commis par des membres des forces de l’ordre, lesquelles n’incluent pas les violations des droits humains, qui relèvent, elles, de la compétence des tribunaux nationaux ordinaires.

Amnesty International insiste sur le fait qu’il est indispensable, afin d’éviter une répétition des événements tragiques de Bagua, de faire la lumière sur ce qui s’est produit et d’établir toutes les responsabilités concernant les violations des droits humains commises durant cette opération d’évacuation, notamment la mort de 23 policiers. De même, il faut prendre de toute urgence les mesures requises afin de respecter les droits des populations indigènes du Pérou, et ainsi mettre fin à des décennies de discrimination et d’abus.

Amnesty International rappelle que l’État péruvien continue à ignorer les demandes légitimes des peuples indigènes, requêtes à l’origine de l’action de protestation à Bagua.

L’État péruvien n’a toujours pas adopté les mesures qui s’imposent afin de réaliser les droits des peuples indigènes du Pérou, en particulier leur droit à participer à la prise de décisions et à être consultés afin de pouvoir donner leur consentement libre et éclairé avant que ne soit adoptée une quelconque mesure administrative ou législative susceptible d’avoir un impact sur leur vie. Il continue en outre à accorder des concessions à des entreprises d’extraction et à approuver des lois pouvant affecter les territoires et modes de vie de ces populations.

Complément d’information

Le 5 juin 2009, la police est intervenue pour mettre fin au blocage d’un tronçon de l’autoroute Belaúnde Terry connu sous le nom de Curva del Diablo (virage du diable), dans le département d’Amazonas, mis en place par les communautés indigènes awajún et wampís.

Des milliers d’indigènes ont bloqué la route de manière pacifique pendant plus de 50 jours, afin de protester contre la promulgation d’une série de décrets législatifs relatifs à l’utilisation de terres et de ressources naturelles qui, d’après eux, menacent leurs droits sur leurs terres ancestrales et leurs moyens de subsistance. De graves actes de violence et atteintes aux droits humains ont été perpétrés au cours de cette opération de police.

Selon certaines informations, les deux responsables de la police nationale péruvienne et le haut gradé militaire ayant dirigé l’opération ont été déclarés coupables en mars 2011 de « non respect des obligations leur incombant dans le cadre de leurs fonctions opérationnelles » par une juridiction policière et militaire, et condamnés à des peines de 12 à 36 mois de prison avec sursis et au paiement à l’État d’amendes de montants divers au titre de réparations civiles.

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