Népal : exploitation des travailleurs migrants

Le gouvernement népalais ne prend pas les mesures nécessaires pour remédier à l’exploitation et à l’extorsion qui gangrènent le secteur du recrutement dans le pays, exposant les travailleurs migrants au travail forcé à l’étranger et à des dettes colossales, écrit Amnesty International dans un rapport publié le 6 juin 2017.

« Partout au Népal, des recruteurs peu scrupuleux s’en sortent en toute impunité alors qu’ils brisent des vies : ils font payer illégalement des frais exorbitants aux demandeurs pour trouver des emplois à l’étranger, et les abandonnent ensuite à leur sort lorsque les choses tournent mal, a déclaré James Lynch, directeur adjoint du programme Thématiques mondiales à Amnesty International.

« Ce n’est que lorsqu’ils quittent le Népal que les travailleurs migrants découvrent qu’ils ont été dupés sur toute la ligne – de la rémunération aux conditions de travail. Il est alors bien trop tard et beaucoup finissent avec des dettes de recrutement qu’ils peuvent passer tout le restant de leur vie professionnelle à rembourser.

« Les travailleurs migrants contribuent pour près d’un tiers au PIB du Népal, par les fonds qu’ils envoient au pays. Pourtant, le gouvernement consacre une infime partie de son budget à leurs besoins. Il est grand temps que cette équation change et que les travailleurs migrants bénéficient de la protection à laquelle ils ont droit. »

Les chercheurs d’Amnesty International ont interrogé 127 travailleurs migrants népalais et des dizaines de représentants du gouvernement en 2016 et 2017, dans huit districts du Népal, pour le rapport intitulé Turning People into Profits : Abusive Recruitment, Trafficking and Forced Labour of Nepali Migrant Workers. Presque tous les travailleurs avec lesquels ils se sont entretenus ont déclaré avoir été soumis à une forme d’exploitation entre les mains de recruteurs privés.

Endettés à vie

Suresh, du district de Saptari, a déclaré à Amnesty International qu’il avait emprunté 250 000 Roupies népalaises (2 150 euros) à un prêteur sur gages local, à un taux d’intérêt de 36 %, en vue de payer un recruteur. Celui-ci, ainsi que l’agence de recrutement, lui ont assuré qu’il serait en mesure de rembourser rapidement sa dette avec ce qu’il allait gagner à l’étranger.

Pourtant, en Malaisie, à la fabrique de gants où Suresh a été embauché, il arrivait qu’il ne soit pas payé pendant trois mois d’affilée. Lorsqu’il percevait son salaire mensuel, il manquait 315 euros par rapport à ce que l’agence de recrutement lui avait promis. Il ne pouvait pas quitter ni son emploi ni la Malaisie, son employeur ayant confisqué son passeport à son arrivée et refusant de mettre un terme à son contrat. Suresh a appelé à plusieurs reprises son agence de recrutement pour demander de l’aide, mais ils n’ont jamais répondu.

Lorsqu’il a enfin réussi à quitter la Malaisie deux ans plus tard, Suresh avait accumulé une dette s’élevant à 550 000 Roupies népalaises (4 750 euros). De retour dans son village au Népal, il gagne entre 45 et 90 euros par mois – cela pourrait donc lui prendre jusqu’à 50 ans pour rembourser ses dettes.
« L’attitude des recruteurs consiste en gros à acheter et vendre des gens. Et nous nous retrouvons exploités, parce que le gouvernement ne fait rien pour les empêcher de nous vendre comme du bétail », a déclaré Suresh.

Les travailleurs partis à l’étranger avant 2015 ont déclaré avoir versé en moyenne 1 200 euros (137 000 Roupies népalaises) aux recruteurs et aux agences de recrutement pour être embauchés à l’étranger – soit environ 500 euros de plus que le maximum fixé par la loi népalaise à l’époque.

Pas le choix

En l’absence de perspectives d’emploi convenables au Népal, un nombre croissant de Népalais estiment qu’ils n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers l’étranger pour trouver du travail ; plus de 400 000 émigrent ainsi chaque année.

Les demandeurs d’emploi sont en butte à divers abus imputables aux agences de recrutement et recruteurs locaux. Ils sont souvent trompés quant à la nature et aux conditions de leur emploi à l’étranger et acculés à payer des frais de recrutement d’un montant illégal.

Bien souvent, les recruteurs leur confisquent leurs passeports et refusent de fournir des documents essentiels comme des contrats et des reçus. Une agence a déclaré qu’elle demande des frais élevés parce que si elle ne le fait pas, les travailleurs migrants pourraient quitter les emplois où ils ont été placés.

« Si les travailleurs partent, l’entreprise perd son investissement... S’ils ne doivent pas verser d’argent pour leur emploi, ils vont s’imaginer qu’ils partent à l’étranger en vacances. Ils penseront qu’ils peuvent revenir au Népal quand bon leur chante. »

Lorsqu’ils partent à l’étranger – pour la plupart en Malaisie ou dans les pays du Golfe – les travailleurs migrants risquent fortement de se faire exploiter dans des conditions s’apparentant à du travail forcé. Leurs visas sont généralement liés à leurs employeurs et, s’ils quittent leur emploi, ils risquent de se retrouver sans papiers et de perdre leur droit de travailler ou de rester dans le pays.

Il est alors facile d’exploiter les travailleurs sans papiers. Tout en s’efforçant de gagner ou d’emprunter de l’argent en vue de rentrer au Népal, ils sont en butte à des menaces d’arrestation, de détention et de poursuites pour infractions à la législation sur l’immigration. Plusieurs travailleurs migrants népalais, qui se sont retrouvés sans papiers, ont déclaré aux chercheurs d’Amnesty International qu’ils étaient contraints de trouver des « agents de rapatriement » non officiels qui tirent profit de la situation, en leur extorquant des commissions élevées pour les faire rentrer chez eux.

Aux termes du droit népalais, les agences de recrutement sont tenues de payer le rapatriement des travailleurs dont les conditions d’emploi ne sont pas conformes à celles stipulées dans le contrat original. Cependant, Amnesty International n’a pas recensé un seul cas dans lequel une agence s’était acquittée de cette obligation.

Bonnes intentions, non suivies d’application

Le gouvernement népalais a pris certaines mesures potentiellement positives pour s’attaquer à l’exploitation dont sont victimes les travailleurs, notamment la politique « Visa gratuit, Billet gratuit » (Free Visa, Free Ticket), entrée en vigueur en juillet 2015.

Elle est censée limiter nettement le montant que les recruteurs et les agences de recrutement peuvent facturer aux travailleurs, en exigeant des employeurs étrangers qu’ils paient les billets d’avion et les coûts liés au traitement des visas, et en réduisant à 10 000 Roupies népalaises (environ 86 euros) les frais de gestion facturés par les agences de recrutement.

Pourtant, aucun des 127 travailleurs avec lesquels Amnesty International s’est entretenue n’a été en mesure de trouver une agence qui ne leur facture pas les frais de visas et les billets, ou respecte le montant maximal de frais de gestion inscrit dans la politique « Visa gratuit, Billet gratuit ». Parallèlement, le secteur du recrutement s’est vigoureusement opposé à cette politique, se mettant deux fois en grève pour protester et faire pression sur le gouvernement afin qu’il revienne sur sa position.

« Malgré des idées intéressantes, en raison de l’absence de volonté politique et de l’inertie bureaucratique, les entreprises restent libres d’exploiter les migrants. Il ne fait aucun doute que la politique " Visa gratuit, Billet gratuit " n’est pas mise en œuvre ni appliquée comme il se doit, a déclaré James Lynch.

« Le gouvernement népalais doit s’investir pleinement dans la protection des travailleurs migrants. Il doit en premier lieu mettre en œuvre des lois et des politiques majeures qui empêcheront les agences de recrutement de faire de l’argent facile au détriment de l’avenir des populations pauvres. »

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