Mort d’un journaliste emprisonné pour des publications sur Facebook

Le 11 décembre, le journaliste indépendant algéro-britannique Mohamed Tamalt, 41 ans, est mort en détention au Centre Hospitalier Universitaire Mohamed Lamine Debaghine à Bab El Oued, à Alger, plus de cinq mois après son arrestation le 27 juin. Il a immédiatement entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention, avant de tomber dans le coma fin août. Des centaines de personnes ont assisté à son enterrement au cimetière de Bourouba à Alger le 12 décembre, dont des défenseurs des droits humains et des militants de la société civile.

Mohamed Tamalt purgeait une peine de deux ans de prison pour « outrage » envers le président algérien Abdelaziz Bouteflika, des institutions publiques et des représentants de l’État dans des publications postées sur son compte Facebook. Il a notamment posté une vidéo contenant un poème considéré comme subversif et des images du président Bouteflika, qui figuraient également sur son blog. Mohamed Tamalt a été incarcéré uniquement pour avoir exercé sans violence son droit à la liberté d’expression, et Amnesty International avait demandé sa libération.

les autorités carcérales et sanitaires n’avaient pas tenu sa famille informée de la dégradation de son état de santé. Elles ne l’ont pas non plus informée de sa mort

Le 26 décembre, l’administration pénitentiaire algérienne, la Direction générale de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion, a annoncé publiquement qu’il était mort d’une infection, en citant les conclusions d’une autopsie. Depuis son admission à l’hôpital fin août, les autorités carcérales et sanitaires n’avaient pas tenu sa famille informée de la dégradation de son état de santé. Elles ne l’ont pas non plus informée de sa mort.

Amnesty International demande aux autorités algériennes de mener sans délai une enquête indépendante et exhaustive sur ces événements, depuis le moment de son arrestation jusqu’à sa mort, y compris sur ses allégations de mauvais traitements. Si l’enquête conclut qu’il a été soumis à des mauvais traitements, les responsables doivent faire l’objet de mesures disciplinaires et pénales adaptées, et notamment être traduits en justice dans le cadre de procès équitables. S’ils sont reconnus coupables, ils doivent être soumis à des sanctions proportionnées à la gravité des faits.

Amnesty International invite les autorités algériennes à ne pas utiliser les lois relatives à l’outrage public pour museler la critique, et en particulier à abroger les articles du Code pénal qui sanctionnent par des peines d’emprisonnement ou de lourdes amendes la critique visant des fonctionnaires de tout rang et des institutions publiques. Elle les engage également à faire de la diffamation une question relevant d’une procédure civile et non pénale. Le rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a fait des recommandations similaires en 2012 à la suite d’une visite en Algérie, que les autorités n’ont pas mises en œuvre.

Retour d’exil

Originaire d’Alger, Mohamed Tamalt a demandé l’asile au Royaume-Uni en 2007 après avoir reçu des menaces de mort, liées à ses publications, émanant de dirigeants de l’armée et des services de renseignements. Il a écrit des articles pour les quotidiens algériens El Khabar et Echourouk, ainsi que pour le magazine Al Wahda, avant de fonder le blog Arab Context en 2009. Dans ces articles, et sur sa page Facebook, il a régulièrement publié des critiques virulentes de la corruption et du népotisme de responsables du gouvernement, remettant en cause la manière dont certains ont obtenu les fonds leur permettant, à eux-mêmes et leurs proches, d’avoir un train de vie luxueux. Il a été suivi par de nombreuses personnes sur les réseaux sociaux.

Mohamed Tamalt a obtenu la nationalité britannique, mais a décidé de retourner s’installer en Algérie en juin 2016. Il restait bien conscient des risques de poursuites et d’incarcération qu’il courait en continuant de passer au crible les responsables algériens ; il l’avait d’ailleurs noté sur sa page Facebook quelques jours avant son arrestation.

Après son arrestation, il a été autorisé à entrer en contact avec des représentants consulaires et a reçu la visite à l’hôpital des autorités britanniques. Toutefois, à la connaissance d’Amnesty International, ils ne sont pas intervenus pour garantir la protection de ses droits, notamment l’accès à des recours utiles pour les violations des droits humains qu’il a subies, lors même que ses avocats britanniques les pressaient de le faire.

Détention arbitraire

Sa détention et son procès ont été émaillés d’irrégularités. Les rapports de l’interrogatoire suivant son arrestation ont été publiés dans un format portant l’en-tête du Département du renseignement et de la sécurité, service de renseignements qui selon les autorités a été dissout en janvier 2016.

Le tribunal de première instance de Sidi Mhamed l’a au départ inculpé d’« outrage » au président et aux institutions publiques au titre des articles 144 bis et 146 du Code pénal, infractions qui ne sont pas passibles d’une peine d’emprisonnement. Pourtant, le tribunal a ordonné son placement illégal en détention provisoire à la prison d’El Harrach, à Alger. Cette décision violait l’article 118 du Code de procédure pénale, qui prévoit que la détention provisoire ne peut être ordonnée que pour des infractions passibles d’incarcération ou de peines plus lourdes. Le tribunal a soutenu cette décision illégale en refusant de le libérer sous caution lors d’une audience le 4 juillet, amenant ses avocats à se retirer en signe de protestation contre ce qu’ils considéraient comme une détention arbitraire.

Lorsque ses avocats ont évoqué l’illégalité de sa détention durant une audience le 11 juillet, le tribunal a ajouté le nouveau chef d’accusation d’outrage à des représentants de l’État en vertu de l’article 144 du Code pénal, qui prévoit une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison. Le même jour, le tribunal de première instance de Sidi Mhamed l’a condamné à la peine maximale d’emprisonnement pour cette infraction et à une amende de 200 000 dinars algériens (environ 1 700 euros).

Selon l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel l’Algérie est partie, nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs, et conformément à la procédure prévus par la loi. Pour qu’elle soit légale, la privation de liberté doit être compatible avec le droit international et le droit national. En particulier, les motifs et la procédure établis par la loi doivent respecter le droit international et la privation de liberté ne doit pas être arbitraire ni violer les garanties prévues par les articles 9(2) à 9(4) du PIDCP, ni d’autres droits que garantit le Pacte.

La privation de liberté est arbitraire lorsqu’il est clairement impossible d’invoquer un fondement légal pour la justifier, ou lorsqu’elle résulte de l’exercice des droits ou des libertés garantis par le PIDCP, notamment le droit à la liberté d’expression.

Allégations de mauvais traitements

Durant son audience en appel le 9 août, Mohamed Tamalt a déclaré au tribunal qu’après son transfert de la prison d’El Harrach à celle d’El Kolea le 12 juillet, des gardiens l’avaient frappé et insulté. Ses avocats ont déposé une plainte officielle. Cependant, le tribunal a ignoré ses allégations de mauvais traitements, n’a pas ouvert d’enquête et a confirmé sa condamnation.

Mohammed Tamalt a entamé une grève de la faim le 27 juin, jour de son arrestation, pour protester contre sa détention. Le 22 août, il a été admis à l’hôpital en raison de la détérioration de son état de santé et il est tombé dans le coma.

En septembre, son frère a remarqué que Mohammed Tamalt avait une blessure recousue de 7 centimètres à la tête. Le personnel médical ne lui aurait pas fourni d’explication satisfaisante. Il a alors déposé plainte pour mauvais traitements auprès du système judiciaire et demandé un examen médical indépendant, craignant que Mohamed Tamalt n’ait été frappé en prison. Les autorités ont ouvert une enquête, mais ni sa famille ni ses avocats n’ont été informés de son évolution, avant d’apprendre qu’il était mort.

Quarante-sept membres de partis d’opposition de la Chambre basse du Parlement algérien, l’Assemblée populaire nationale, ont présenté une motion réclamant une enquête parlementaire sur la mort du journaliste, que l’Assemblée a rejetée le 25 décembre.

Le 26 décembre, l’agence de presse officielle Algérie Presse Service a cité l’administration pénitentiaire, selon laquelle l’autopsie réalisée le jour du décès de Mohamed Tamalt concluait que sa mort était due à un « choc septique » résultant d’une infection, et excluait les allégations de mauvais traitements en détention. D’après le rapport d’autopsie, ces infections sont courantes chez les patients dans le coma qui séjournent pendant de longues périodes en soins intensifs.

Toutefois, comme l’a explicitement noté le Sous-Comité de l’ONU pour la prévention de la torture, l’absence de preuves médicales ne démontre pas l’absence de mauvais traitements. Les marques de violences peuvent s’estomper avec le temps et certaines formes de mauvais traitements laissent peu ou pas de traces visibles.

En outre, Algérie Presse Service a cité l’administration pénitentiaire, qui a menacé d’engager des poursuites en cas de « tentatives d’exploitation tendancieuses » de la mort du journaliste. Amnesty International craint que cela ne dissuade les victimes de violations des droits humains, notamment de torture et de mauvais traitements, leurs avocats et les défenseurs des droits humains, d’informer les autorités, de peur d’être accusés de fausses déclarations ou de diffamation à l’égard de représentants de l’État. Cela nuirait directement aux efforts entrepris par les autorités pour éradiquer ces violations en détention.

Algérie Presse Service a cité l’administration pénitentiaire, qui a menacé d’engager des poursuites en cas de « tentatives d’exploitation tendancieuses » de la mort du journaliste

La famille maintenue dans l’ignorance

Lorsque Mohamed Tamalt a été admis à l’hôpital, sa famille a indiqué n’avoir reçu aucune information des autorités pénitentiaires ou des services de santé quant à la détérioration de son état de santé. Les demandes déposées par ses avocats pour lui rendre visite à l’hôpital ont été rejetées pendant plusieurs semaines après sa première admission.

Le 11 décembre, les autorités carcérales, sans avoir averti sa famille, ont annoncé sa mort dans une déclaration publique via Algérie Presse Service. D’après cette déclaration, il avait subi des interventions à la suite d’un accident vasculaire cérébral en août et plus récemment en raison d’une infection pulmonaire. Il était indiqué que le décès était dû à une infection pulmonaire – alors que l’autopsie n’a été réalisée qu’après cette déclaration, vers 18 heures le jour de sa mort, et ce sans consulter la famille. En outre, la déclaration indiquait à tort que Mohamed Tamalt avait reçu la visite de sa mère à l’hôpital. Les autorités carcérales et sanitaires doivent encore transmettre le rapport d’autopsie et d’autres rapports médicaux à la famille.

Ente le 21 et le 25 décembre, la famille a déposé des demandes auprès des autorités judiciaires locales et nationales, ainsi qu’auprès du ministère de la Justice et de l’administration pénitentiaire, demandant son dossier médical complet, ainsi que ses effets personnels, notamment ses vêtements, qui ne leur ont pas encore été rendus.

Des réformes du Code pénal attendues de longue date

L’Algérie a modifié sa Constitution en février, mais elle ne prévoit pas les garanties requises pour le droit à la liberté d’expression et permet toujours aux autorités de recourir à des lois relatives à l’outrage pour réprimer la dissidence. L’article 144, qui englobe des peines d’emprisonnement pour le simple fait de critiquer des représentants du gouvernement, est l’une des nombreuses dispositions du Code pénal qui bafouent le droit à la liberté d’expression. D’autres articles prévoient des amendes prohibitives pour outrage au président (article 144 bis), outrage aux institutions publiques (article 146), critique des actions judiciaires (article 147). Ces dispositions et certaines dispositions similaires du Code de l’information restreignent de manière excessive le droit à la liberté d’expression et ont un effet paralysant, notamment pour les journalistes, engendrant un climat d’autocensure.

Le Comité des droits de l’homme de l’ONU, organisme chargé de suivre l’application par les États du PIDCP, a souligné que le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme insultantes pour une personnalité publique n’est pas suffisant pour justifier une condamnation pénale. Comme l’a souligné le Comité, toutes les personnalités publiques, y compris celles qui exercent des fonctions au plus haut niveau du pouvoir politique, comme les chefs d’État ou de gouvernement, sont légitimement exposées à la critique. Il a noté l’importance d’un débat ouvert et libre sur les personnalités publiques dans la sphère politique et les institutions publiques. Le Comité a déclaré expressément que les lois ne doivent pas prévoir de peines plus lourdes pour la diffamation à l’égard des chefs d’État, des représentants de l’État et des institutions publiques, par rapport aux simples citoyens.

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