Modifications législatives au nom de la lutte contre le terrorisme

La série de modifications législatives approuvées par le Parlement égyptien confèrera aux autorités des pouvoirs très étendus en matière d’arrestations arbitraires massives et de détention sans inculpation ni jugement pour une durée indéterminée, et sapera les garanties de procédure régulière et d’équité des procès, a déclaré Amnesty International le 19 avril 2017.

Ces amendements ont été présentés au lendemain des attentats meurtriers perpétrés contre trois églises en Égypte lors de l’office du dimanche des Rameaux le 9 avril, qui ont fait 44 morts et plus de 100 blessés.

Il s’agit de la neuvième attaque contre des chrétiens coptes en Égypte en quatre mois, illustration de l’incapacité de l’État à protéger la minorité copte.

Au lieu de se pencher sur les défaillances en matière de sécurité qui ont conduit aux attentats contre les églises coptes et sur les conséquences de la discrimination systémique visant les coptes, les autorités ont utilisé les attentats comme prétexte pour décréter l’état d’urgence pendant trois mois et faire passer une série de modifications législatives répressives. Loin de remédier aux causes profondes des attaques à caractère religieux, les modifications proposées sapent encore davantage l’équilibre des pouvoirs au sein du système judiciaire pénal et resserrent l’emprise des autorités sur les libertés et la dissidence pacifique.

Le 10 avril 2017, le Parlement égyptien a approuvé une série d’amendements répressifs relatifs à plusieurs lois, notamment au Code de procédure pénale (Loi n° 150 de 1950), à la Loi n° 57 de 1959 régissant les recours devant la Cour de cassation, à la Loi n° 8 de 2015 relative aux « personnes et entités terroristes » et à la Loi relative à la lutte contre le terrorisme (Loi n° 94 de 2015). Ces amendements ont été proposés entre autres par le député Salah Hassab allah, responsable adjoint du parti al Motamar. Le Parlement a débattu et approuvé ces propositions en une journée, avant de les transmettre au Conseil d’État pour qu’il les examine et rende un avis consultatif le 12 avril.

Le 10 avril également, le député Tharwat Bekhit a présenté de nouvelles modifications de la Loi relative à l’état d’urgence (Loi n° 162 de 1958), adoptées par le Parlement et transmises au Conseil d’État le 11 avril. Aux termes de la Constitution égyptienne, le Conseil d’État va examiner la légalité et la constitutionnalité de tous les amendements et les renvoyer au Parlement assortis de recommandations pour de nouvelles modifications. À ce stade, le Parlement approuve généralement les projets de loi révisés et les transmet au président pour signature.

Si ces modifications sont adoptées, elles représenteront une menace majeure pour les droits à la liberté et à la sécurité de la personne, à l’équité des procès et à la liberté d’expression et d’association, et le resteront bien après l’état d’urgence actuellement instauré. En vertu de ces modifications, les tribunaux spéciaux d’exception pourront détenir des suspects de manière indéfinie et les forces de sécurité pourront arrêter toute personne soupçonnée d’avoir l’intention de commettre une infraction et procéder à des perquisitions domiciliaires sans mandat judiciaire. Les tribunaux auront le pouvoir de ne pas entendre les témoins de la défense, et le droit à un nouveau procès et à un second recours devant la Cour de cassation seront abolis, ouvrant la voie à des condamnations à mort et exécutions collectives.

En outre, les cours pénales pourront inscrire des personnes et des organisations sur la liste des terroristes en se basant uniquement sur des informations policières et détenir des suspects pendant sept jours sans comparution devant un juge ou un procureur, ce qui favorisera les disparitions forcées.

Modifications de la Loi relative à l’état d’urgence concernant les pouvoirs d’arrestation et de détention

En 2013, la Cour constitutionnelle égyptienne avait annulé la disposition de la Loi relative à l’état d’urgence autorisant la détention administrative, utilisée sous le régime de l’ancien président Hosni Moubarak pour emprisonner au moins 18 000 personnes pendant des périodes allant jusqu’à 10 ans.

Pendant plus de trois ans, le Parlement n’a pas modifié la loi à la lumière de cette décision. La semaine dernière, il a approuvé un nouvel article (3 bis) qui permet à la police d’arrêter et de détenir pendant sept jours des personnes « soupçonnées d’être sur le point de commettre ou d’avoir commis une infraction » sans qu’elles ne comparaissent devant un juge ou un procureur. Étant donné l’expérience et les pratiques abusives constatées par le passé, il est à craindre que les forces de sécurité ne s’appuient sur cette disposition pour procéder à des arrestations collectives, soumettre des suspects à des disparitions forcées et à la torture, et arrêter des citoyens, notamment des détracteurs pacifiques du gouvernement, sans véritable fondement.

En vertu des procédures pénales prévues par la loi, les procureurs peuvent ordonner un placement en détention pendant quatre jours, renouvelable tous les 15 puis tous les 45 jours, dans le cadre de conditions liées à la conduite de leurs investigations.

Fait des plus inquiétants, une seconde disposition, 3 bis(a), prévoit qu’après les sept jours initiaux de détention sans inculpation, le procureur peut demander qu’une cour de sûreté de l’État ordonne la détention pendant 30 jours, renouvelable indéfiniment, de toute personne considérée comme une menace à la sécurité. Or, les cours de sûreté de l’État instaurées par la législation d’exception sous l’ère Moubarak étaient réputées pour le non-respect des procédures légales.

Par ailleurs, les changements proposés confèreraient aux autorités le pouvoir de perquisitionner le domicile d’un suspect ou tout autre lieu où elles estiment que le suspect pourrait cacher la preuve d’avoir commis une infraction, ou cacher des explosifs, des armes ou toute autre substance dangereuse, sans avoir obtenu de mandat judiciaire.

Amnesty International craint que les modifications proposées ne donnent carte blanche aux services de sécurité, au nom de la lutte contre le terrorisme, pour procéder à des arrestations arbitraires, à des disparitions forcées et à la torture à grande échelle. Depuis que le président Abdel Fattah al Sissi est arrivé au pouvoir, au moins 34 000 personnes, d’après les propres chiffres du gouvernement, ont été arrêtées et placées derrière les barreaux, les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort collectives à l’issue de procès manifestement iniques, fondées uniquement sur les investigations policières et les témoignages de policiers et de représentants du gouvernement, et des centaines d’autres personnes ont été détenues dans des conditions s’apparentant à des disparitions forcées et soumises à la torture et aux mauvais traitements dans le but de leur extorquer des « aveux », en vue d’obtenir leur condamnation lors des procès.

Autre élément des plus inquiétants, le Parlement a approuvé une série d’amendements à des lois ordinaires qui s’appliquent en dehors de l’état d’urgence.

Des modifications qui limitent les droits de la défense dans le cadre du Code de procédure pénale

Les modifications du Code de procédure pénale vont gravement porter atteinte à la présomption d’innocence, aux droits de la défense, ainsi qu’aux normes d’équité des procès.

La version modifiée de l’article 277 confère aux tribunaux le pouvoir d’ignorer ou de refuser d’entendre certains – voire tous – les témoins de la défense.

Cette disposition compromet grandement les droits à la défense et à la présomption d’innocence, d’autant que le système de justice pénale en Égypte a pour habitude de s’appuyer uniquement sur des témoins faisant partie de la police ou du gouvernement pour déclarer coupables et condamner des centaines d’accusés lors de procès collectifs.

Les modifications des articles 384 et 395 du Code de procédure pénale éliminent la nécessité pour l’accusé ou son avocat d’être présent au tribunal lorsque le verdict est rendu.

Or, cela est contraire aux normes internationales d’équité des procès qui exigent que l’accusé soit présent physiquement durant le procès afin d’examiner le jugement rendu en sa présence. Cela compromet le droit d’être rejugé devant le même tribunal au même stade de la procédure, ainsi que le droit de la défense d’examiner les preuves et de répondre aux allégations de l’accusation.

En outre, il est prévu d’abolir l’article 388 du Code de procédure pénale, qui accorde aux personnes condamnées par contumace le droit d’être rejugées devant le même tribunal au même stade de la procédure, même si leurs représentants ont assisté au procès pour exposer la raison pour laquelle elles n’ont pas pu être présentes.

Des recours restreints devant la Cour de cassation

Le Parlement a approuvé les modifications de la Loi n° 57 de 1959, qui régit les recours devant la Cour de cassation, limitant ainsi les phases de recours devant la Cour.

D’après la Loi n° 57 de 1959, lorsqu’une affaire est soumise pour la première fois à la Cour de cassation, le rôle de la Cour se résume à évaluer s’il y a des erreurs dans l’application de la loi. Si c’est le cas, elle est habilitée à annuler le jugement et à soumettre l’affaire à une juridiction pénale pour qu’elle soit rejugée. Lorsque cette juridiction conclut le nouveau procès et prononce le verdict, l’accusé a le droit de contester cette décision et le dossier est une nouvelle fois soumis à la Cour de cassation, qui examine alors le fond de l’affaire et se prononce de manière définitive.

L’amendement proposé contourne les deux phases de recours et donne à la Cour de cassation la mission d’examiner à la fois l’application de la loi et le fond de l’affaire lors de la même phase de la procédure. En supprimant ces deux phases de recours, il abolit une garantie majeure de l’équité des procès pour les personnes déclarées coupables par les chambres spéciales chargées de juger des actes de terrorisme au sein des juridictions pénales. Amnesty International craint que cette nouvelle disposition ne précipite l’application des condamnations à mort et ne place des centaines de personnes en danger d’être exécutées à l’issue de procédures accélérées et profondément lacunaires. Elle a recensé plusieurs affaires dans lesquelles les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort collectives contre des centaines de personnes, à l’issue de procès manifestement iniques. Or, dans le contexte égyptien, la possibilité d’un nouveau procès constitue une garantie efficace et contribue à réduire le nombre de condamnés à mort.

Modifications de la loi sur les « personnes et entités terroristes » (articles 3, 4, 7 et 8)

La proposition portant modification du paragraphe 2 de l’article 3 de la Loi n° 8 de 2015 sur « les personnes et entités terroristes » confère au procureur le pouvoir de soumettre aux tribunaux des listes d’entités et de personnes désignées comme « terroristes » en se fondant uniquement sur « les investigations ou les informations de la police », sans que le procureur ne soit tenu de mener des investigations et des interrogatoires pour les vérifier. Dans sa version actuelle, l’article exige que l’inscription sur la liste des organisations et des personnes « terroristes » se fonde uniquement sur les investigations et les documents du procureur, le confirmant ainsi dans son rôle de principale autorité d’investigation et d’accusation. Toutefois, avec la version modifiée, Amnesty International craint que le ministère public ne devienne un outil entre les mains des services de sécurité qui pourront inscrire à leur guise des personnes ou des entités sur la liste des « terroristes » potentiels, contournant le rôle du procureur. Les recherches d’Amnesty International montrent que la plupart des investigations policières liées au « terrorisme » sont menées par l’Agence de sécurité nationale du ministère de l’Intérieur, connue pour forger de toutes pièces des preuves et des affaires contre les détracteurs pacifiques et les organisations de la société civile, et pour se livrer à des enlèvements, des disparitions forcées, des actes de torture et des mauvais traitements.

Par ailleurs, la modification du paragraphe 1 de l’article 4 de la loi propose d’augmenter de trois à cinq ans la durée pendant laquelle une personne ou une entité est désignée comme « terroriste ». Elle serait donc soumise à des interdictions de voyager, à des gels d’avoir et à la confiscation de son passeport ou à l’impossibilité d’en obtenir un pendant cinq ans.

Dans la législation, la définition des organisations ou des personnes « terroristes » est déjà formulée en termes très vagues et larges. Elle englobe des infractions qui, n’entraînant pourtant pas de violence, pourraient servir à criminaliser les détracteurs et les militants pacifiques, notamment « trouble à l’ordre public », « atteinte à l’unité nationale » et « entrave aux entités gouvernementales dans l’exercice de leurs fonctions ». Aujourd’hui, des milliers de personnes, notamment des militants et des opposants pacifiques, croupissent derrière les barreaux pour des accusations qui incluent la participation à des manifestations non autorisées ayant troublé l’ordre public et empêché les représentants de l’État d’exercer leurs fonctions.

Dans le cadre d’une campagne orchestrée par le gouvernement, les organisations pacifiques de la société civile sont de plus en plus désignées comme des « traîtres » s’efforçant de porter préjudice à l’« unité nationale » et de « détruire l’image de l’Égypte au sein de la communauté internationale ». Les amendements proposés risquent de conférer aux services de sécurité de nouveaux outils pour intensifier leur répression contre la dissidence et la liberté d’association. La version modifiée du paragraphe 2 de l’article 7, interdisant aux groupes répertoriés comme « organisations terroristes » de prendre part à des activités de la société civile tant qu’ils figurent sur cette liste, risque d’être détournée par les autorités pour cibler des groupes légitimes de la société civile.

Modification de la Loi relative à la lutte contre le terrorisme

La modification du paragraphe 3 de l’article 40 de la Loi n° 94 de 2015 propose d’augmenter la durée pendant laquelle une personne peut être maintenue en détention avant d’être présentée à un procureur ou une autre autorité d’investigation pour être interrogée ou inculpée. La loi actuelle fixe le cadre à sept jours, et cette période passerait donc à 14 jours, renouvelable pour 14 jours supplémentaires. Amnesty International s’oppose déjà à la durée actuellement en vigueur, car elle favorise les disparitions forcées, la torture et les autres mauvais traitements, ainsi que les « aveux » obtenus sous la contrainte. D’après les recherches récentes d’Amnesty International, les détenus sont particulièrement exposés aux premières étapes de leur détention. Force est de constater que les services de sécurité recourent fréquemment à la torture au moment de l’arrestation et pendant les premiers jours de la détention, soumettant notamment les détenus à des décharges électriques, à la suspension dans des positions douloureuses et parfois au viol pour obtenir des « aveux » pouvant déboucher sur leur condamnation lors du procès. L’article 40 va à l’encontre de la Constitution égyptienne (article 54) et du Code de procédure pénale (article 36), qui exigent que toute personne arrêtée soit présentée au procureur aux fins d’interrogatoire dans un délai de 48 heures.

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