La lutte contre l’impunité doit être une priorité à la Conférence de Bruxelles

Les États membres de l’Union européenne (UE) et tous les donateurs réunis lors de la Conférence de Bruxelles pour la République centrafricaine le 17 novembre doivent prendre des mesures concrètes en vue de mettre un terme à l’impunité, car la dégradation de la situation en termes de sécurité menace de plonger le pays dans une nouvelle vague de violence encore plus meurtrière, a déclaré Amnesty International vendredi 11 novembre 2016.

« Il règne un climat d’impunité en République centrafricaine, où les membres de groupes armés et de milices soupçonnés d’avoir commis de terribles exactions et des crimes relevant du droit international circulent librement dans le pays et entretiennent la violence, a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse sur l’Afrique centrale à Amnesty International.

« Sans obligation de rendre des comptes pour les crimes présents et passés, les lignes de conflit perdureront en République centrafricaine. Les dirigeants des États membres de l’UE doivent apporter un soutien politique et financier à la lutte contre l’impunité ; il faut notamment consolider la Cour pénale spéciale et reconstruire le système judiciaire. »

Un avocat de la capitale Bangui a déclaré à Amnesty International en octobre que le niveau d’impunité avait « presque atteint un point de non-retour ».

Après des élections pacifiques en décembre 2015 et février 2016, la situation en termes de sécurité se dégrade fortement depuis septembre 2016. Les groupes armés ont lancé de nombreuses attaques, tuant des dizaines de civils à Bangui et dans toute la République centrafricaine, y compris des personnes déplacées sous protection de l’ONU.

Ces agissements ont également limité la livraison de services élémentaires – nourriture, logement et santé notamment – que fournissent les organismes humanitaires à des dizaines de milliers de personnes.

L’une des pires attaques s’est déroulée dans la ville de Kagabandoro, dans le nord du pays, le 12 octobre. Des combattants ex-Séléka d’au moins deux factions différentes ont tué au moins 37 civils, en ont blessé 60, et ont incendié un camp pour personnes déplacées.

Le forum de Bangui en mai 2015 – qui a rassemblé les dirigeants du gouvernement de transition et de divers autres groupes – a formulé de fortes recommandations concernant la nécessité de lutter contre l’impunité, notamment en créant une Cour pénale spéciale.

Les délégués ont rejeté toute requête d’immunité ou d’amnistie pour les responsables présumés de crimes relevant du droit international et ont signé un accord sur le Désarmement, la démobilisation et la réintégration (DDR). Si des mesures ont été prises pour mettre en œuvre ces recommandations, il reste encore beaucoup à faire.

En dehors de Bangui, la justice est largement absente, sept hautes cours sur 24 et une cour d’appel sur trois n’étant pas opérationnelles. Le besoin est criant de reconstruire le système pénal en République centrafricaine, afin de remédier au manque de personnel judiciaire, à la pénurie de matériel et de ressources financières pour la justice, et à l’absence de mesures de protection des victimes et des témoins.

Ces éléments et d’autres lacunes structurelles du système judiciaire centrafricain sont apparus durant les dernières audiences criminelles tenues à Bangui entre août et septembre 2016. Seule une victime est venue témoigner lors de cette session, conséquence flagrante de l’absence de programme de protection des victimes et des témoins. Plusieurs accusés inculpés dans des affaires liées au conflit ont été acquittés ou reconnus coupables d’infractions mineures et libérés, leur temps passé en détention ayant été pris en compte.

En attendant que le système judiciaire soit pleinement remis sur pied, Amnesty International estime que le gouvernement centrafricain et les États donateurs, entre autres ceux de l’UE, doivent accorder la priorité au renforcement de la Cour pénale spéciale.

« L’UE doit saisir cette occasion de s’engager à porter remède aux causes profondes du conflit centrafricain, sanglant et tenace. Certes, des événements positifs ont eu lieu ces derniers mois, notamment la tenue d’élections globalement pacifiques. Toutefois, la République centrafricaine ne pourra pas avancer vers la paix tant que l’obligation de rendre des comptes pour les crimes de droit international ne sera pas mise en œuvre », a déclaré Ilaria Allegrozzi.

Enfin, Amnesty International demande aux donateurs internationaux d’apporter leur contribution à d’autres initiatives – réforme du secteur de la sécurité, commissions vérité et réconciliation, programmes de désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement des groupes armés et milices, et investissements visant à promouvoir le développement socio-économique.

Complément d’information

Un conflit armé interne fait rage en République centrafricaine depuis 2012, lorsque la coalition armée de la Séléka, majoritairement musulmane, s’est emparée du pouvoir, a perpétré de graves violations des droits humains et a plongé le pays dans la crise. En réaction, les milices anti-Balaka, majoritairement composées de chrétiens et d’animistes, se sont mobilisées et se sont livrées à de terribles attaques contre la population civile, notamment contre les musulmans.

En juillet 2014, Amnesty International a publié un rapport, intitulé Il est temps de rendre des comptes, dans lequel elle citait les noms de 21 personnes issues de toutes les parties au conflit qui devraient faire l’objet d’une information judiciaire pour des crimes au regard du droit international, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, et être arrêtées et poursuivies si les éléments à charge étaient suffisants. Plus de deux ans après, la plupart de ces personnes n’ont pas été inquiétées.

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