Le massacre des civils se poursuit

L’Assemblée générale des Nations unies doit intervenir afin de pallier la terrible incapacité des membres du Conseil de sécurité à mettre fin aux attaques incessantes visant la population civile de l’est d’Alep, a déclaré Amnesty International avant une réunion de l’Assemblée générale devant avoir lieu jeudi 20 octobre.

L’organisation a diffusé de nouvelles images satellite illustrant l’ampleur de la destruction, ainsi que des témoignages de civils bloqués à l’intérieur de la ville, qui attestent que les forces gouvernementales syriennes, avec le soutien de la Russie, ont attaqué des logements, des installations médicales, des écoles, des marchés et des mosquées selon une stratégie militaire délibérée visant à vider la ville de ses habitants et à prendre le contrôle. Dans certains cas, il existe des éléments prouvant que des bombes à sous-munitions de fabrication russe ont été utilisées lors des attaques.

« L’inaction du monde face au carnage et aux violations flagrantes qui se poursuivent à Alep doit prendre fin. L’Assemblée générale des Nations unies doit montrer qu’elle peut agir là où le Conseil de sécurité en a été absolument incapable - il en va de la crédibilité des Nations unies », a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe pour la recherche au bureau régional d’Amnesty International à Beyrouth.

« L’ampleur des effusions de sang et de la destruction que connaît l’est d’Alep depuis un mois est atroce. Les forces gouvernementales syriennes, avec l’aide de la Russie, mènent des attaques incessantes enfreignant de manière flagrante des règles fondamentales du droit international humanitaire.

« La pause de huit heures dans les bombardements annoncée par la Russie, terriblement insuffisante, ne permet pas de remplacer le libre acheminement d’une aide humanitaire impartiale ni la fin des attaques illégales. Les États membres doivent tirer parti de la réunion de jeudi 20 octobre pour réclamer la levée du siège, la fin des attaques illicites, et recommander des mesures concrètes pour que les responsables de crimes de guerre soient traduits en justice. »

Un grand nombre des civils se trouvant toujours à Alep vivent dans une peur constante des attaques quotidiennes. Soha, une militante locale, a dit à Amnesty International qu’elle emmène son bébé de sept mois partout avec elle et qu’elle est terrifiée à l’idée de le perdre.

« Chaque fois que je vois une femme ou un enfant blessés, je me dis que cela aurait pu être mon fils et moi. On n’est en sécurité nulle part à Alep, chacun d’entre nous est une cible  », a-t-elle expliqué.

Siham, dont la fille de quatre ans a été tuée lors d’un bombardement récent, a fait part de son chagrin à Amnesty International. Son époux a été arrêté par les forces gouvernementales en 2012 avant la naissance de leur fille.

« J’ai vécu toute ma vie à Alep [...] J’ai perdu [ma fille] il y a six jours. Une bombe est tombée devant le bâtiment où elle jouait. Je ne me souviens pas de la dernière chose qu’elle m’a dite [...] Je l’ai perdue comme ça, pour rien [...] absolument rien. J’aurais voulu mourir avec elle. »

L’impasse diplomatique a paralysé le Conseil de sécurité des Nations unies, tandis que le nombre de morts parmi les civils augmente chaque jour à Alep.
La Russie, avec le soutien de la Chine, a usé de son véto de manière répétée afin de bloquer toute action visant à amener le gouvernement syrien à rendre des comptes pour de graves violations, notamment des crimes de guerre. Il y a moins de deux semaines, un projet de résolution de la France soumis aux Nations unies demandant la fin des attaques contre les civils à Alep a été abandonné en raison du véto de la Russie.

Soixante-dix pays ont demandé l’organisation de la réunion plénière de jeudi 20 octobre, envoyant clairement le message qu’il fallait se pencher sur l’inaction du Conseil de sécurité. Les États membres doivent exiger une session d’urgence sur la crise, et soutenir toutes les initiatives proposées lors de l’Assemblée générale visant à mettre fin aux crimes de guerre qui se succèdent en Syrie. Prendre des sanctions ciblées contre les responsables syriens et imposer un embargo complet sur les armes sont deux mesures qui pourraient également aider à faire pression sur le gouvernement syrien pour qu’il mette fin aux atteintes au droit international humanitaire.

Des attaques incessantes contre les civils et les biens civils

Les bombardements visant l’est d’Alep se sont multipliés depuis l’échec du dernier cessez-le-feu le 19 septembre. Au moins 600 attaques aériennes ont eu lieu en l’espace de trois semaines avant le 10 octobre, selon l’Institut syrien pour la justice et l’obligation de rendre des comptes, un groupe local effectuant un suivi de la situation. La direction de la santé à Alep estime qu’environ 400 civils ont été tués lors de ces attaques.

Les images satellite analysées par Amnesty International révèlent qu’en à peine une semaine, 90 sites ont été endommagés ou détruits dans une zone d’une superficie équivalente à celle de Manhattan, à New York. En tout, plus de 110 sites ont subi des dégâts entre le 18 septembre et le 1er octobre 2016.

Amnesty International a recueilli des informations sur une série d’attaques menées au cours des trois semaines écoulées, qui semblent avoir eu pour but de décimer Alep. Des chercheurs de l’organisation ont parlé à des résidents, des professionnels de la santé et des militants qui sont bloqués dans la ville, et qui ont décrit une forte détérioration de la situation humanitaire, sur fond de frappes aériennes quotidiennes visant des logements civils et des infrastructures, comme des centres médicaux, un marché, une école, les compagnies d’électricité et d’eau. Les zones touchées étaient toutes situées à l’écart de cibles militaires telles que les lignes de front, les postes de contrôle ou les véhicules militaires.

« Leur objectif réel est clair : infliger de graves souffrances à la population civile afin de lui faire quitter les lieux »

« Les forces gouvernementales syriennes affirment qu’elles s’en prennent à des groupes armés non étatiques, mais leur objectif réel est clair : infliger de graves souffrances à la population civile afin de lui faire quitter les lieux. Et le monde reste sans réaction tandis que ce schéma se répète encore et encore à travers la Syrie », a déclaré Lynn Maalouf.

Selon la Société médicale américano-syrienne, 14 centres médicaux ont été touchés par des frappes aériennes depuis le 21 septembre, mettant nombre d’entre eux hors service. Les médecins éprouvent des difficultés à faire face au fort afflux de blessés ayant besoin de soins d’urgence - à un moment, 800 blessés devant être pris en charge ont été enregistrés en une semaine.

Un témoin a décrit à Amnesty International une attaque contre l’hôpital al Sakhour le 3 octobre. Une bombe est tombée devant l’entrée de l’hôpital, laissant derrière elle un vaste cratère et détruisant un hôpital de campagne voisin. Il s’agissait de la troisième attaque contre l’hôpital ce jour-là, a-t-il dit :

« Je suis arrivé à l’hôpital al Sakhour trois heures après l’attaque [...] J’ai vu 10 blessés et quatre morts [...] Figuraient parmi les blessés deux membres du personnel hospitalier [...] La ligne de front la plus proche est à plus de 300 mètres. »

Un médecin d’Alep a indiqué à Amnesty International que les fournitures, les équipements et le carburant allaient vite venir à manquer en raison du siège.

« À Alep, les résidents ont peur lorsqu’ils vivent ou se trouvent à proximité d’un hôpital ou à l’intérieur, parce que nous sommes devenus des cibles pour le régime », a-t-il déclaré.

« Les attaques délibérées contre des civils et des biens de caractère civil sont de graves atteintes au droit international humanitaire et constituent des crimes de guerre. Les attaques visant systématiquement la population, les bâtiments et les infrastructures civils de l’est de la ville montrent clairement qu’il s’agit d’une stratégie militaire calculée afin de rendre la vie des civils insupportable et de vider la ville de force », a déclaré Lynn Maalouf.

Attaques présumées aux bombes à sous-munitions

Plusieurs résidents ont par ailleurs signalé à Amnesty International qu’ils avaient été témoins d’attaques utilisant des armes à dispersion, des bombes répandant des dizaines de sous-munitions sur une vaste superficie, représentant une forte menace pour les civils.

Amnesty International a examiné des images montrant les restes d’armes à dispersion et de sous-munitions dans des zones civiles de l’est d’Alep datant des trois dernières semaines et a consulté des experts indépendants de l’armement, qui ont identifié des sous-munitions de fabrication russe AO-2.5RT ou AO-2.5RTM, très similaires, ainsi que les restes de bombes à sous-munitions RBK-500 depuis lesquelles elles sont déployées.

Fadi montait à bord d’une voiture près d’un marché fréquenté du quartier de Zebdie avec son ami le 25 septembre, lorsqu’un avion de guerre a largué deux bombes à sous-munitions. Lui et son ami ont tous deux été touchés par des éclats de métal.

« Tout ce dont je me souviens est une sensation de douleur insoutenable à la jambe et la hanche. Je continuais à entendre de petites explosions [...] Des gens étaient à terre. Certains rampaient et d’autres ne bougeaient pas », a-t-il dit.

Majed, un autre rescapé se trouvait sur ce même marché à Zebdie, situé à environ 500 mètres de la ligne de front la plus proche, lorsque l’attaque a eu lieu. Il se souvient avoir entendu de petites explosions avant de se réveiller à terre en état de choc, couvert de sang et entouré de blessés. Il avait deux éclats de métal enfoncés dans la jambe.

Osama a lui aussi été témoin d’une attaque à la bombe à sous-munitions le même jour alors qu’il conduisait un ami blessé depuis le quartier d’al Mashhad jusqu’à l’hôpital.

« J’ai entendu le bruit d’un avion de guerre, puis la fenêtre [de la voiture] a explosé au-dessus de nous. J’ai entendu une série de petites explosions qui a duré près d’une minute [...] Plus de 40 personnes étaient blessées  », a-t-il dit.

«  Le recours à des bombes à sous-munitions est interdit en vertu du droit international car elles sont non discriminantes par nature, et compte tenu de la proportion élevée de munitions non explosées, elles représentent une menace durable pour les civils. Leur utilisation manifeste dans l’est d’Alep ne fait que confirmer à quel point les forces syriennes gouvernementales et leurs alliés russes sont déterminés à créer un environnement hostile et meurtrier dans la ville, ayant clairement pour objectif de chasser les civils coûte que coûte », a déclaré Lynn Maalouf.

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