La situation des droits humains en Colombie

Déclaration écrite d’Amnesty International qui sera présentée lors de la 34e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (du 27 février au 24 mars 2017).

Amnesty International réitère son soutien au travail accompli par le bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme en Colombie afin d’améliorer le respect des droits humains dans le pays et salue la décision du gouvernement colombien de renouveler le mandat du Bureau pendant trois années supplémentaires.

À la lumière de l’accord de paix signé entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) le 24 novembre, le rôle du Bureau concernant le suivi de la situation des droits humains est d’autant plus crucial et doit être renforcé afin de répondre aux nombreux défis qui ne manqueront pas d’émailler la mise en œuvre de cet accord.

La plupart des crimes relevant du droit international et des violations des droits humains en Colombie ne se déroulent pas dans le cadre des combats directs entre les parties au conflit. C’est notamment le cas des attaques visant les défenseurs des droits humains, dont des responsables de communautés et d’associations. Aussi est-il essentiel que la mission politique spéciale créée en vertu de la résolution 2261 (2016) du Conseil de sécurité, chargée d’observer et de vérifier le respect du cessez-le-feu bilatéral et de la cessation des hostilités, ou toute autre mission qui sera créée en vertu d’accords de paix, englobe une composante relative aux droits humains qui travaille main dans la main avec le Bureau.

Le processus de paix

L’accord de paix a mis fin officiellement à un conflit qui a duré plus de 50 ans, marqué par des crimes de droit international commis majoritairement contre des civils et une impunité généralisée. Toutes les parties au conflit – mouvements de guérilla, forces de sécurité et formations paramilitaires qui agissaient souvent, et parfois agissent encore, en collusion avec des acteurs étatiques ou avec leur assentiment – se sont rendues coupables de tels crimes. Il s’agissait notamment de déplacements forcés, de disparitions forcées, d’homicides illégaux, d’actes de torture et de violences sexuelles. Bien rares sont ceux dont la responsabilité pénale est engagée pour ces crimes qui ont été traduits en justice.

Le succès de cet accord de paix et d’un accord de paix futur avec le deuxième mouvement de guérilla du pays, l’Armée de libération nationale (ELN), dépendra largement du fait que les autorités colombiennes parviennent à mettre un terme définitif aux violations des droits humains et à traduire en justice les responsables présumés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans le respect du droit international. La nette réduction des violences liées aux combats touchant les civils en 2016 est une évolution positive. À plus long terme, il est essentiel de mener un véritable processus de démobilisation, désarmement et réintégration, de garantir la sécurité des combattants démobilisés des FARC et de ceux qui sont considérés comme leurs sympathisants, et de lutter contre les groupes paramilitaires et les démanteler.

L’accord de paix est un pas en avant en termes de réalisation du droit des victimes à la vérité, à la justice et aux réparations, d’autant que les précédents processus de paix en Colombie ne prenaient pas en compte ces droits, et il englobe des points positifs. Toutefois, malgré les modifications apportées à l’accord après son rejet par référendum le 2 octobre 2016, il n’est pas à la hauteur des normes internationales et du droit international relatif aux droits des victimes. Amnesty International pointe les sanctions proposées contre les responsables de crimes de droit international, qui semblent inadaptées à la gravité des faits. Elle critique également la définition de la responsabilité hiérarchique, qui est contraire aux obligations de la Colombie au titre du droit international, car elle pourrait rendre difficile l’engagement de poursuites contre des commandants des FARC et des forces de sécurité pour les crimes commis par leurs subordonnés.

les sanctions proposées contre les responsables de crimes de droit international, qui semblent inadaptées à la gravité des faits

La loi d’amnistie, adoptée par le Congrès le 28 décembre 2016, s’appliquera aux membres des FARC et des forces de sécurité qui ne font pas l’objet d’enquêtes pour des crimes relevant du droit international ou ne sont pas déclarés coupables de tels crimes. Le texte permettra aussi à ceux qui ont passé au moins cinq ans derrière les barreaux pour de tels crimes de bénéficier, dans certaines circonstances, d’une libération conditionnelle. Cependant, la loi présente certaines ambiguïtés qui pourraient permettre à de nombreux auteurs de violations des droits humains d’échapper à la justice.

Défenseurs des droits humains et populations et groupes en danger

Malgré le processus de paix, on constate une hausse inquiétante des agressions contre les défenseurs des droits humains, particulièrement les dirigeants associatifs, ainsi que les défenseurs des droits à la terre et de l’environnement et ceux qui militent en faveur du processus de paix et contre l’impunité, surtout en milieu rural. Les communautés indigènes, afro-colombiennes et paysannes continuent de subir des violations des droits humains et d’autres violences.

Selon l’organisation non gouvernementale (ONG) Somos Defensores, environ 80 défenseurs des droits humains ont été tués en 2016, comparé à 63 en 2015. Au 30 janvier 2017, 17 autres cas avaient été signalés, dont 10 étaient confirmés. Figurent parmi ces victimes récentes la dirigeante associative afro-colombienne Emilsen Manyoma et son compagnon Joe Javier Rodallega, vus en vie pour la dernière fois le 14 janvier et dont les corps ont été retrouvés le 17 janvier à Buenaventura, dans le département du Valle del Cauca, ainsi qu’Aldemar García Parra, défenseur du droit à la terre d’El Hatillo, département de César, abattu le 7 janvier.

En général, les menaces de mort lancées contre des défenseurs des droits humains et d’autres militants sont attribuées aux groupes paramilitaires, mais il est souvent difficile d’identifier les groupes responsables de ces homicides. Toutefois, la nature du travail social et relatif aux droits humains réalisé par les victimes laisse à penser que beaucoup ont pu être tuées parce qu’elles étaient perçues comme une menace pour les intérêts économiques et politiques de groupes armés spécifiques.

Face aux risques accrus auxquels sont confrontés les défenseurs des droits humains et d’autres militants, l’Unité de protection nationale de l’État, qui prévoit des mesures de protection physique pour certains militants exposés, doit adopter des mécanismes plus efficaces et globaux, notamment des mesures préventives et collectives afin de garantir la sécurité des populations concernées.

Le rôle de la communauté internationale

La communauté internationale doit continuer de soutenir les efforts des autorités colombiennes afin que l’accord de paix soit mis en œuvre et permette de garantir la fin des violations généralisées des droits humains et la fin de l’impunité. Ces efforts doivent être axés sur la pleine réalisation des droits humains et, en particulier, du droit des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations, notamment à des garanties de non-répétition, conformément au droit international et aux normes associées.

Le bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme en Colombie doit continuer de prodiguer des conseils aux autorités colombiennes sur les questions liées aux droits des victimes afin de garantir que l’accord de paix soit mis en œuvre dans le respect du droit international. Indépendamment du processus de paix, la Colombie a l’obligation de traduire en justice dans le cadre de procès équitables tous les responsables présumés de crimes de droit international.

Le Bureau joue toujours un rôle clé en matière de suivi et de compte-rendu de la situation des droits humains dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de paix, en étroite collaboration avec la mission politique de l’ONU. En vue de renforcer l’efficacité du mécanisme international de suivi, Amnesty International estime qu’il importe de consolider le Bureau et d’adjoindre à la mission d’observation une composante droits humains clairement définie qui travaille en étroite collaboration avec le Bureau.

Amnesty International exhorte les États membres et observateurs du Conseil des droits de l’homme à :

  • Faire état de ces préoccupations et recommandations dans le cadre des débats au sein du Conseil des droits de l’homme et des discussions bilatérales avec le gouvernement colombien.
  • Exhorter les parties à l’accord à mettre en œuvre, pleinement et sans délai, les recommandations du Haut-Commissariat et celles d’autres organes des Nations unies en matière de droits humains.
  • Appeler les autorités colombiennes à mettre en place des mesures efficaces visant à prévenir les crimes de droit international et les atteintes aux droits humains, notamment en démantelant les groupes paramilitaires et en rompant leurs liens avec les acteurs étatiques.
  • Rappeler aux autorités colombiennes leur obligation de garantir des enquêtes pénales indépendantes sur tous les auteurs présumés de crimes de droit international, des réparations pleines et entières aux victimes et la recherche de la vérité, conformément au droit international. Elles doivent veiller à ce que le fait d’enquêter sur les cas « les plus graves et représentatifs », comme le stipule l’accord de paix, ne serve pas de prétexte pour abandonner les investigations sur certaines affaires.
  • Souligner que les autorités colombiennes doivent adopter des mesures plus efficaces afin de garantir la sécurité de groupes et de communautés exposés à des risques particuliers, comme les peuples indigènes, les populations afro-colombiennes, les petits paysans, les défenseurs des droits humains et d’autres militants.
  • Demander aux autorités colombiennes de garantir la participation effective de la société civile – peuples indigènes, populations afro-colombiennes, petits paysans, défenseurs des droits humains et organisations de défense des victimes et des femmes notamment – sur tous les aspects de l’application de l’accord de paix.
  • Reconnaissant que les violences liées au conflit se déroulent le plus souvent en dehors d’affrontements directs entre les parties au conflit, prôner l’ajout d’une composante droits humains à la mission d’observation de l’ONU afin de compléter l’action du bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme en Colombie, dont le rôle en matière de suivi et de compte-rendu doit être renforcé.
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