COMMUNIQUÉ DE PRESSE

La Belgique ne respecte pas pleinement ses obligations en matière de torture et autres mauvais traitements

La Belgique ne respecte pas pleinement les obligations auxquelles elle est tenue en vertu de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants [ONU]. Telle est la conclusion de l’étude indépendante réalisée par le Comité contre la torture et dont les observations finales ont été publiées le 22 novembre. Amnesty International demande aux autorités belges de prendre rapidement des mesures afin de mettre en œuvre ces recommandations.

Conditions de détention

La surpopulation carcérale, phénomène systémique, est depuis plusieurs décennies un problème de taille en Belgique. Le Comité a accueilli avec satisfaction l’adoption d’un « Masterplan » dont l’objectif est d’augmenter la capacité carcérale et d’améliorer les conditions matérielles de vie, par la construction de nouvelles prisons et la rénovation de certains bâtiments délabrés. Le Comité a toutefois fait part de ses préoccupations, certaines prisons affichant un taux de surpopulation supérieur à 50 %. Il a demandé au gouvernement d’utiliser des alternatives à la détention.

Amnesty International est préoccupée par le fait que, même si le « Masterplan » actuel est censé améliorer les conditions dans certaines prisons, là où elles sont les plus pénibles, il s’avérera insuffisant pour résoudre le problème à long terme. La Cour des comptes de Belgique a ainsi démontré que le plan ne permet pas de pallier la surpopulation, même en cas de stagnation de la population carcérale. L’organisation est convaincue qu’il faut un plan global ayant pour but de réduire la surpopulation et, à terme, de la supprimer totalement. Ce plan devrait être axé sur l’éradication des conditions et des pratiques qui portent atteinte aux droits humains des prisonniers et comprendre une étude du contexte général qui englobe la politique pénale de la Belgique et les moyens susceptibles de remplacer la détention.

Un autre problème relevant des droits humains se pose depuis longtemps dans les lieux de détention belges, à savoir l’insuffisance et l’inadéquation des soins pour les détenus présentant des troubles mentaux ou des handicaps intellectuels ou psychologiques.

La Belgique a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour ne pas avoir fourni à des « délinquants souffrant de troubles mentaux » des soins appropriés et pour avoir soumis des personnes dans cet état à des traitements dégradants. Le Comité contre la torture avait lui-même exprimé certaines préoccupations lors d’un précédent examen de la Belgique, et il rappelle que les détenus souffrant de problèmes liés à leur santé mentale doivent recevoir des soins adaptés à leur état. Amnesty International ajoute qu’un nombre suffisant de places doit être proposé aux délinquants présentant des handicaps intellectuels ou psychologiques dans des établissements psychiatriques spécialisés, où ils doivent recevoir les traitements médicaux appropriés.

Le Comité a aussi accordé beaucoup d’attention à la situation des détenus au regard du droit. Une loi adoptée en 2005 prévoit la séparation de certaines catégories de détenus (les personnes en détention provisoire, notamment, doivent être séparées des détenus condamnés), des procédures de dépôt de plainte et d’appel ainsi que des mécanismes de supervision. À ce jour, cependant, ces dispositions et d’autres ne sont pas encore entrées en vigueur.

Le Comité a aussi critiqué une loi récente qui généraliserait la fouille corporelle pratiquement chaque fois qu’un détenu ou une détenue aura été en contact avec le monde extérieur. Bien que cette loi soit actuellement suspendue par la Cour constitutionnelle de l’État partie, elle n’en demeure pas moins préoccupante aux yeux d’Amnesty International, qui prie la Belgique d’en abroger ces dispositions et de réinstaurer l’obligation d’obtenir une autorisation écrite préalable à toute fouille corporelle.

Non-refoulement

Pour contourner l’interdiction absolue de la torture, les autorités belges se fient à des « assurances diplomatiques » inapplicables et s’appuient sur des « garanties » de traitement humain lorsqu’elles envoient une personne dans un lieu où elle risque d’être torturée ou autrement maltraitée.

La Belgique a récemment sollicité et obtenu de telles « assurances diplomatiques », et elle a cherché à se fonder sur elles pour extrader Arbi Zarmaev vers la Tchétchénie, en Russie, où il risquait d’être maltraité, voire torturé. La Cour européenne des droits de l’homme est actuellement saisie de l’affaire Zarmaev.

Au cours de son examen de la Belgique, le Comité a rappelé sa position à l’égard des « assurances diplomatiques » et déclaré qu’un État ne doit pas recourir à cette forme de garantie en remplacement du principe de non-refoulement lorsqu’il existe un risque de torture ou d’autre mauvais traitement. Par cette déclaration, le Comité prie clairement la Belgique de ne plus solliciter ni utiliser des « assurances diplomatiques » contre la torture et d’autres formes de mauvais traitements, ni de se fonder sur elles, pour renvoyer de force des personnes vers des lieux où elles risquent de subir de telles violations de leurs droits fondamentaux.

Appliquée à l’affaire Arbi Zarmaev, la recommandation du Comité qu’il ne soit pas extradé est claire. La Cour européenne des droits de l’homme a imposé une mesure provisoire au titre de l’article 39 de son Règlement, en vertu duquel la Belgique doit suspendre l’exécution de l’extradition tant que la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond.

Récemment, la Belgique n’a pas tenu compte d’une mesure provisoire prononcée dans une autre affaire. Le 3 octobre 2013, Nizar Trabelsi a été extradé vers les États-Unis alors que la Cour avait émis une mesure provisoire demandant aux autorités belges de ne pas procéder à l’extradition tant qu’elle ne s’était pas prononcée. Au cours des échanges avec le Comité, le représentant de l’État belge a défendu l’extradition de Nizar Trabelsi essentiellement en invoquant des raisons vagues de sécurité nationale. Amnesty International prie la Belgique de ne pas manifester à nouveau ce même mépris à l’égard du droit relatif aux droits humains et de respecter les mesures provisoires imposées par la Cour européenne des droits de l’homme.

Le cadre législatif

Il semble que la Belgique n’a pas progressé vers la ratification du Protocole facultatif à la Convention contre la torture, malgré les nombreux engagements, promesses et projets en ce sens. L’État a reconnu, dans ses échanges avec le Comité, que ce dossier particulier n’avait pas avancé. Son représentant en a expliqué la raison, à savoir qu’il est possible d’inclure le Méchanisme national de prévention, proscrit par le Protocole, dans la future institution nationale des droits de l’homme (INDH).

L’institution nationale des droits de l’homme (INDH)

La recommandation du Comité d’autoriser que la société civile soit étroitement consultée lors des discussions sur la création d’une INDH est particulièrement bienvenue. Amnesty International et d’autres ONG demandent la mise en place d’un dialogue depuis que le gouvernement actuel s’est fixé comme objectif de créer une INDH. La réponse du gouvernement à cette demande a été pratiquement inexistante à ce jour.

Amnesty International a appris avec satisfaction que les discussions sur la création d’une INDH avaient quelque peu progressé, mais elle n’en demeure pas moins sceptique. Des élections se tiendront en mai 2014 en Belgique, et à moins que le gouvernement actuel ne donne immédiatement la priorité à ce dossier, Amnesty International craint fort que les assurances et les engagements de la Belgique ne se réduisent encore une fois à des promesses creuses.

Le Comité a aussi émis de fortes recommandations sur le cadre législatif de la Belgique en matière de torture. D’une manière générale, le fait que la torture n’a pas fait l’objet d’une attention explicite a été soigneusement étudié dans les échanges avec l’État et les observations finales. Ainsi, la Belgique ne garantit pas explicitement qu’une déclaration faite sous la torture ne peut pas être utilisée comme preuve dans une procédure judiciaire. Amnesty International avait prié la Belgique, en vain, de corriger cet état de fait à l’occasion d’une modification législative récente des articles de loi concernés. Un autre exemple est que le Code pénal belge comprend une définition de la torture qui n’est pas entièrement conforme à celle de la Convention. Le Comité a recommandé à la Belgique de modifier ces dispositions légales imparfaites.

Morts en détention et violences policières

Le Comité a déploré la mort de Jonathan Jacob. Jacob, 26 ans, est mort dans une cellule de police à la suite d’une opération musclée de l’équipe spéciale d’intervention de la police d’Anvers. Le Comité était particulièrement préoccupé par le fait que, plus de trois ans après, les responsables présumés n’avaient toujours pas été jugés. Plus généralement, le Comité a jugé inquiétants les rapports selon lesquels les sanctions imposées à des policiers responsables de mauvais traitements étaient souvent symboliques et non adaptées à la gravité des actes.

Le Comité a déclaré insuffisantes les dispositions légales actuelles concernant l’utilisation d’armes à impulsion électrique (communément appelées « Tasers ») par des policiers ; il a déclaré en outre que l’État doit s’assurer que ces armes ne peuvent être utilisées que par des agents bien entraînés et dans des circonstances où, autrement, le recours à des armes à feu serait légitime. Le Comité a déclaré expressément que de telles armes à impulsion électrique ne doivent pas être utilisées dans des prisons ni dans d’autres lieux de détention.

Amnesty International note que le nombre d’agents autorisés à utiliser ces dispositifs en Belgique est à l’heure actuelle relativement faible.

L’organisation se félicite de la nécessité d’un entraînement spécial pour leur utilisation et du fait qu’à l’intérieur de la police belge l’accès à ces armes est limité. Pourtant, malgré ce nombre relativement faible d’armes en circulation et d’agents autorisés à s’en servir, il y a eu plusieurs cas où elles ont été utilisées d’une manière non conforme aux principes de la proportionnalité et de la nécessité. Ainsi, des armes à impulsion électrique ont été utilisées dans des prisons et – dans un cas – contre des manifestants pacifiques.

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