L’expulsion : une arme pour se débarrasser des indésirables

Onze personnes pourraient être expulsées de Bahreïn mardi 8 mars 2016 si les arrêtés d’expulsion prononcés à leur encontre sont confirmés en appel, dans deux affaires distinctes – des audiences qui interviennent alors que les autorités bahreïnites ont de plus en plus souvent recours à la pratique extrême du bannissement après avoir déchu les gens de leur nationalité, a déclaré Amnesty International.

Deux personnes ont déjà été contraintes de quitter Bahreïn en février 2016, et un tribunal a confirmé un troisième arrêté d’expulsion le 6 mars.

« La tendance croissante des autorités à recourir à l’expulsion de personnes arbitrairement déchues de leur nationalité fait froid dans le dos et est symptomatique de l’érosion des droits humains à Bahreïn ces dernières années. L’expulsion semble être l’arme de plus en plus souvent choisie par les autorités bahreïnites pour se débarrasser des personnes “indésirables” et réduire l’opposition au silence », a déclaré James Lynch, directeur adjoint du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International.

« Plutôt que de priver des citoyens de leurs droits en les bannissant et en les forçant à quitter le pays en violation du droit international, les autorités de Bahreïn doivent renoncer à toutes les expulsions prévues, permettre aux personnes déjà expulsées de revenir dans le pays et leur redonner leur nationalité. Elles doivent aussi cesser de procéder à des déchéances de nationalité ayant pour effet de rendre les gens apatrides. »

Bahreïn a déchu 208 personnes de leur nationalité en 2015, contre 21 en 2014, soit près de 10 fois plus. La multiplication des expulsions ces dernières semaines fait craindre que 2016 ne soit marquée par une forte augmentation du nombre de personnes expulsées du pays.

Le 6 mars 2016, un tribunal de Bahreïn a confirmé l’arrêté d’expulsion prononcé contre Masaud Jahromi, enseignant à l’université, qui fait partie d’un groupe de 72 Bahreïnites arbitrairement privés de leur nationalité par le ministère de l’Intérieur en janvier 2015 pour des « actes illégaux » vaguement définis, tels que l’incitation au « changement de régime » et la diffamation de « pays frères ». Cet homme risque d’être expulsé à tout moment.

L’expulsion de Masaud Jahromi serait la troisième d’un membre de ce groupe de 72 en seulement deux semaines. Le 21 février 2016, Muhamad Hassan Ali Hussain Khojasta, religieux chiite, a été expulsé au Liban trois jours seulement après la confirmation son arrêté d’expulsion par une cour d’appel. De même, Hussain KhairAllah Mohamed Mahmood a été mis de force dans un avion de la compagnie Gulf Air à destination du Liban le 24 février – le lendemain de la confirmation de son arrêté d’expulsion. Selon des témoins, des agents des forces de sécurité l’ont frappé alors qu’il refusait de monter dans l’avion.

Au moins un autre membre du groupe de 72 sera menacé d’une expulsion imminente le 8 mars si l’arrêté d’expulsion est confirmé.

Dans une affaire séparée, une cour d’appel va se prononcer le même jour sur l’arrêté d’expulsion visant 10 autres Bahreïnites – neuf hommes et une femme – qui ont été déchus de leur nationalité. Si cet arrêté est confirmé, ils seront eux-aussi aussi sous la menace d’une expulsion imminente. Ces 10 personnes font partie d’un groupe de 31 Bahreïnites, parmi lesquels d’anciens députés, des avocats, des défenseurs des droits humains et des militants de l’opposition, qui ont été déchus de leur nationalité par le ministère de l’Intérieur en novembre 2012 pour « atteintes » à la sûreté de l’État. Rendues apatrides, elles sont restées à Bahreïn et ont été accusées de résider illégalement dans le pays, ce qui leur a valu de se voir notifier un arrêté d’expulsion et d’écoper d’une amende en 2014. Un autre des 31 membres du groupe, Sheikh Hussain al Najati, a été expulsé en avril 2014.

Tout individu déchu de sa nationalité doit rendre son passeport et ses papiers d’identité et demander une autorisation de séjour en tant qu’étranger – ou quitter le pays. Ceux qui n’ont pas obtenu de permis de séjour et sont restés à Bahreïn ont été inculpés de « séjour irrégulier » et ont fait l’objet d’un arrêté d’expulsion.

« La déchéance arbitraire de nationalité fondée sur de vagues allégations est une violation inacceptable des obligations internationales de Bahreïn en matière de droits humains. Il est choquant que des citoyens bahreïnites soient ainsi rendus apatrides et privés du droit de vivre dans leur propre pays  », a déclaré James Lynch.

Outre les décisions de déchéance de la nationalité prises par le ministère de l’Intérieur, les juges ont prononcé de plus en plus souvent, ces dernières années, des condamnations assorties de la privation de la nationalité, en particulier dans des affaires liées au terrorisme.

Par ailleurs, des modifications législatives récentes ont élargi les motifs pour lequels un individu peut être privé de sa nationalité. Cette mesure peut maintenant viser « quiconque dont les agissements sont contraires à son devoir de loyauté envers le royaume ». Ces nouvelles dispositions donnent aussi au ministre de l’Intérieur le pouvoir de déchoir de sa nationalité tout Bahreïnite qui adopte une autre nationalité (sauf celle d’un pays membre du Conseil de coopération du Golfe) sans autorisation préalable.

Complément d’information

Le droit à la nationalité, dont nul ne peut être privé arbitrairement, est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel Bahreïn est partie. La Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie interdit également, à de très rares exceptions près, définies très précisément, toute perte de la nationalité qui engendre un état d’apatridie. Par conséquent, l’obligation d’empêcher l’apatridie est reconnue comme une norme du droit international coutumier. Le droit international relatif aux droits humains et les normes y afférentes interdisent par ailleurs les expulsions arbitraires et l’exil forcé.

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