communiqué de presse

Kenya. Des familles déchirées au nom de la sécurité

Par Muthoni Wanyeki, directrice régionale pour l’Afrique de l’Est à Amnesty International

Le mois dernier, Ayaan, 18 ans, s’est soudain retrouvée en charge de sa famille. Sa mère et son père avaient été arrêtés à Nairobi, dans le cadre d’une opération de lutte contre le terrorisme baptisée Usalama Watch.

Ils ont été arrêtés au stade de Kasarani, avant d’être installés de force dans le camp de réfugiés de Kakuma, à plus de 800 kilomètres. Ayaan est alors restée seule pour s’occuper de ses sept frères et sœurs – tous âgés de moins de 10 ans.

« Je suis toute seule pour m’occuper des enfants, explique Ayaan. Mes parents travaillaient tous les deux, mais aujourd’hui nous n’avons presque rien. Les enfants ne vont pas à l’école. Je veux que mes parents reviennent. »

L’histoire d’Ayaan est loin d’être unique parmi les réfugiés qui se trouvent au Kenya aujourd’hui.

Durant l’opération Usalama Watch, plus de 300 enfants ont été séparés de leur famille. Des mères allaitantes ont été séparées de leur bébé et envoyées de force dans des camps de réfugiés, laissant derrière elles des nourrissons, parfois âgés d’un mois seulement.

Depuis le début de l’opération, de nombreux enfants réfugiés ont cessé d’aller à l’école, soit par peur, soit en raison des circonstances. Aussi les élèves studieux sont-ils très inquiets et craignent de prendre du retard, tandis que d’autres réalisent qu’ils ne pourront pas passer les examens pour lesquels ils se préparaient.

Au Kenya, les opérations de sécurité prennent tout particulièrement pour cible la communauté somalienne. Des milliers de personnes sont soumises à des arrestations arbitraires, à des actes de harcèlement, à des extorsions et à des mauvais traitements, depuis le lancement de l’opération Usalama Watch début avril.

Au moins 2 500 personnes ont été relogées de force dans des camps de réfugiés surpeuplés et dangereux, et des centaines d’autres ont été expulsées vers la Somalie, alors que la situation en termes de sécurité se détériore dans ce pays.

À la connaissance d’Amnesty International, aucun Somalien arrêté durant l’opération n’a été inculpé d’infractions liées au terrorisme, ni même condamné. Les Somaliens sont traités comme des boucs émissaires.

Bien que marginalisés, de nombreux Somaliens jouent un rôle important dans la vie économique et culturelle du Kenya, gèrent des entreprises et stimulent l’économie. Cette contribution est désormais menacée.

Il ne s’agit pas de nier que le Kenya est confronté à de graves problèmes en termes de sécurité. Cependant, persécuter une communauté toute entière ne permettra pas de faire face à l’insécurité, et ne fera que susciter l’hostilité. Pendant ce temps, des familles sont brisées et perdent leurs moyens de subsistance.

Les enfants sont séparés de leurs parents et ne peuvent plus étudier, tandis que les attaques se poursuivent.

À l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, il importe de se pencher sur la souffrance de ceux qui n’ont d’autre choix que de quitter leur pays pour échapper à la guerre, à la persécution ou aux catastrophes naturelles.

Comme l’a dit un Kenyan : « Est-ce la faute de ma femme si elle a dû fuir pour sauver sa peau, si c’est une réfugiée ? Est-ce la faute de ma fille si elle est née dans ce monde d’une mère réfugiée ? Elle a souffert pour être la personne qu’elle n’a pas même conscience d’être. L’enfant d’une réfugiée. » Cette année, comme le démontrent ces récits, ce n’est pas une journée dont nous pouvons être fiers.

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