Communiqué de presse

Indonésie. Une « décennie perdue » pour les victimes du conflit en Aceh

L’Indonésie manque toujours à ses obligations envers des dizaines de milliers de personnes touchées par le conflit dévastateur qu’a connu l’Aceh, puisque les familles et les victimes ignorent ce qui est advenu de leurs proches et n’ont pas eu accès à la justice, à la vérité et à des réparations complètes, a déclaré Amnesty International à l’approche du 10e anniversaire de la fin du conflit.

Le samedi 15 août 2015 marquera le dixième anniversaire de l’accord de paix qui a annoncé la fin du conflit en Aceh. Mais malgré les promesses des gouvernements indonésiens successifs, les victimes sont toujours abandonnées à leur sort, tandis que les autorités ne semblent pas prêtes à se pencher sur les crimes commis dans le passé.

« C’est une décennie perdue pour un trop grand nombre de personnes touchées par le conflit en Aceh. Même si la violence a cessé, les autorités indonésiennes ont presque entièrement manqué à leur obligation de dire la vérité, de rendre justice et d’apporter des réparations complètes à des dizaines de milliers de victimes et aux membres de leur famille  », a déclaré Josef Benedict, directeur des campagnes du programme Asie du Sud-Est d’Amnesty International.

« Le 10e anniversaire de la fin du conflit doit être le point de départ de réels efforts en vue de régler ces problèmes. Les autorités indonésiennes ne peuvent pas continuer à se dérober à leurs responsabilités, car cela ne fait que prolonger les souffrances en Aceh. »

Entre 10 000 et 30 000 personnes, dont de nombreux civils, ont été tuées pendant ce conflit, qui a opposé pendant des dizaines d’années les forces du gouvernement indonésien et le Mouvement pour l’Aceh libre (GAM).

L’accord de paix conclu en 2005, sous le contrôle de l’Union européenne et de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), comprenait des engagements à remédier aux crimes commis pendant le conflit. Mais dans une lettre ouverte du 13 août 2015 rédigée avec sept autres organisations, Amnesty International explique que les habitants de l’Aceh attendent toujours que le gouvernement tienne ses promesses.

Reconnaître la vérité

Malgré des initiatives importantes de la part des autorités et de la Commission nationale des droits humains Komnas HAM pour enquêter sur les atteintes aux droits humains, ces dernières étaient dans le meilleur des cas des mesures parcellaires qui n’ont pas permis de retracer de manière exhaustive ce qui s’est passé, en particulier le sort des personnes disparues et l’endroit où elles se trouvent. Les tentatives d’établir une commission Vérité à l’échelon national sont dans l’impasse en raison d’un manque de volonté politique.

En décembre 2013, le parlement local de la province de l’Aceh a pris une mesure positive en adoptant un règlement visant à établir une Commission vérité et réconciliation locale. Mais un an et demi plus tard, sa mise en œuvre n’a pas avancé.

Justice pour les victimes et leur famille

Des éléments incontestables prouvent que nombre des violations commises contre des civils par les forces de sécurité indonésiennes et leurs auxiliaires peuvent s’apparenter à des crimes contre l’humanité et que des atteintes aux droits humains commises par les deux parties au conflit constituent des crimes de guerre. Pourtant, seuls quelques-uns de ces crimes ont fait l’objet d’enquêtes et aucune poursuite n’a été engagée devant des tribunaux civils indépendants.

En raison des déficiences du cadre juridique, peu de victimes ont accès aux tribunaux, tandis que le Code pénal indonésien ne reconnaît pas les crimes au regard du droit international. Les tribunaux spécialisés dans les questions de droits humains qui existent depuis 2000 ont un mandat limité et toutes les poursuites qui ont été engagées devant ces tribunaux – dont aucune n’était liée à des crimes commis en Aceh – ont débouché soit sur des acquittements, soit sur des condamnations annulées en appel.

Réparations pleines et effectives

Des mesures ont été prises pour indemniser certaines victimes, mais elles ne vont pas assez loin et ne sont pas à la hauteur du programme complet de réparations qui s’impose. L’Agence pour la réinsertion de l’Aceh, un programme d’indemnisation et de réinsertion soutenu par le gouvernement, n’a pas été conçue pour réparer le préjudice subi par les victimes d’atteintes aux droits humains et n’a rien fait pour aider les nombreuses femmes qui ont été la cible de violences sexuelles pendant le conflit.

Dans un rapport de 2013 intitulé Time to face the past, Amnesty International a souligné les conséquences dévastatrices de la situation actuelle pour les populations de la province de l’Aceh.

« [Nous] voulons savoir pourquoi le gouvernement n’a toujours pas reconnu que nous avons été victimes de violations des droits humains, a déclaré à Amnesty International un représentant des victimes de l’Aceh. Nous continuons à nous battre, pas contre le gouvernement, mais afin que le gouvernement se souvienne de ce qui nous est arrivé. Ils n’ont pas le droit d’oublier. »

Recommandations

« Il n’y a pas de temps à perdre pour assumer ce qui s’est passé en Aceh. Les autorités doivent reconnaître que de graves atteintes aux droits humains ont été commises pendant ce conflit et la première étape sur la voie de la justice, de la vérité et des réparations doit être d’établir immédiatement une commission vérité conforme aux normes internationales », a déclaré Josef Benedict.

« Aujourd’hui, des parents de victimes ne savent toujours pas ce qui est advenu de leurs proches ayant "disparu" et éprouvent des difficultés à faire face tandis que les responsables restent en liberté. Cette situation alimente le ressentiment et risque de faire le lit d’un futur retour à la violence. »

Amnesty International appelle également les États de l’Union européenne et de l’ANASE à prendre leurs responsabilités concernant les manquements à leur obligation de garantir la mise en œuvre complète de l’accord de paix.

Complément d’information

La lettre ouverte est signée par Amnesty International, Asia Justice and Rights (AJAR), la Coalition des ONG de l’Aceh pour les droits humains (Koalisi NGO HAM Aceh), la Commission des disparus et des victimes de la violence (KONTRAS), KontraS Aceh, l’observateur des droits humains en Indonésie (Imparsial), l’Institut de recherche et de plaidoyer politique (Elsam) et TAPOL.

La version intégrale de la lettre ouverte est disponible à l’adresse suivante (en anglais) : https://www.amnesty.org/fr/documents/asa21/2267/2015/en/

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