Il est crucial de mener des réformes pour que les droits des femmes soient garantis

À l’heure où les législateurs marocains s’apprêtent à débattre et à se prononcer sur le Projet de loi 103-13 relatif à la lutte contre la violence contre les femmes, Amnesty International demande aux autorités marocaines de tirer parti de cette chance de promulguer des lois et des normes conformes aux dispositions les plus exigeantes du droit international relatif aux droits humains. Ils doivent en particulier donner des définitions complètes à certains actes de violence, garantir l’accès à la justice, veiller à ce que les victimes de violences bénéficient de services de soutien, et combattre efficacement les préjugés et les stéréotypes discriminatoires, en droit et en pratique.

Préparé conjointement par le ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social et le ministère de la Justice et des Libertés, il s’agit du premier projet de loi sur la violence à l’égard des femmes à être approuvé par le Conseil de gouvernement. Les législateurs devraient se prononcer sur le texte dans les semaines à venir. S’il est adopté, le projet de loi modifierait le Code pénal et le Code de procédure pénale, par ailleurs en cours de révision dans le cadre de réformes juridiques de plus grande ampleur.

Une étude effectuée en 2009 par le Haut Commissariat au Plan marocain, un organe gouvernemental, a indiqué que 62,8 % des femmes avaient signalé avoir fait l’objet de violences psychologiques, physiques, sexuelles ou économiques au cours de l’année ayant précédé l’enquête. Cette enquête, qui reste la seule de son genre à ce jour, s’est appuyée sur des entretiens réalisés auprès de 8 300 Marocaines à travers le pays. Cela fait des années que des groupes de la société civile au Maroc, en particulier des groupes de défense des droits des femmes, réclament une loi relative à la violence contre les femmes. Pourtant, la plupart d’entre eux ont dit avoir été insuffisamment consultés durant le processus d’élaboration du projet de loi, en dépit de leur expérience et de leur expertise précieuses dans la lutte contre les violences liées au genre.

Il est encourageant que le projet de loi introduise de nouvelles infractions et alourdisse certaines sanctions existantes dans les cas de violences conjugales ou familiales. Il propose en outre de nouvelles mesures visant à protéger les victimes de violences, pendant et après les procédures judiciaires, et l’établissement de nouveaux organes chargés de coordonner et de compléter les efforts déployés par la justice et le gouvernement afin de combattre les violences faites aux femmes.

Le projet de loi doit toutefois subir des modifications substantielles afin de pouvoir protéger efficacement les femmes et les filles contre la violence et les discriminations, et d’honorer les obligations qui sont celles du Maroc en matière de droits humains aux termes du droit international, en plus de ses propres garanties constitutionnelles. En particulier, l’absence de définitions exhaustives pour certaines formes de violence, la perpétuation de stéréotypes de genre péjoratifs, ainsi que la persistance de certains obstacles à la justice et à l’octroi de services aux victimes inspirent de vives inquiétudes à Amnesty International. L’organisation demande aux autorités marocaines d’adopter les mesures, législatives et autres, figurant ci-après.

Pérennisation de stéréotypes néfastes

Le projet de loi définit la violence contre les femmes comme «  tout acte résultant d’une discrimination liée au genre et causant aux femmes un préjudice sur le plan physique, psychologique, sexuel ou économique ». Si cette définition est relativement similaire à l’article premier de la Déclaration des Nations unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes de 1993, elle ne reflète pas la précision et les détails contenus dans l’article 2 de la Déclaration, qui ajoute à la définition une liste non-exhaustive de formes de violence contre les femmes survenant au sein de la famille et de la société, et perpétrées ou cautionnées par des agents de l’État. Une définition de ce que recouvre la discrimination à l’égard des femmes, conformément à l’article premier de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, est par ailleurs requise.

Le projet de loi s’ouvre sur une note introductive inscrivant les droits des femmes et des filles dans le cadre des « principes de tolérance » de la « religion » et des « valeurs civilisationnelles » de la société marocaine, mais il lui manque un préambule énonçant les concepts fondamentaux qui le sous-tendent. En particulier, le projet de loi ne reconnaît pas le fait que le genre est une construction sociale, et associe au contraire les femmes et les filles aux rôles stéréotypés d’épouse et de mère, en particulier en ce qui concerne la violence. Ce parti pris se retrouve dans l’insuffisance de la protection accordée aux femmes et aux filles qui ne correspondent pas aux rôles stéréotypés attribués en fonction du genre.

La plupart des infractions nouvellement définies sont en rapport avec la protection des femmes mariées ou divorcées. Est notamment concernée l’interdiction du mariage forcé (article 503-2-1), acte passible de peines allant de six mois à un an de prison, et d’amendes comprises entre 10 000 et 30 000 dirhams marocains (1 030 et 3 100 dollars américains environ). Cela inclut aussi le fait de dilapider délibérément des sommes destinées à l’épouse ou aux enfants, ou des versements ou arrangements convenus dans le cadre d’un divorce (article 526-1), puni de peines comprises entre un et six mois de prison et d’amendes allant de 2 000 à 10 000 dirhams marocains (environ 200 à 1 030 dollars). Chasser son épouse du domicile conjugal constitue une autre infraction du même type (article 480-1), passible d’amendes comprises entre 2 000 et 5 000 dirhams (200 et 500 dollars environ).

S’il s’agit là d’avancées encourageantes, aucune nouvelle infraction n’est définie en ce qui concerne d’autres catégories de femmes qui sont disproportionnellement exposées à la violence, notamment les femmes et les filles migrantes, les femmes et les filles ayant des enfants hors mariage, et les femmes et filles souffrant d’un handicap.

Agressions sexuelles et viols

Les auteurs du projet de loi se sont par ailleurs abstenus d’envisager de modifier la législation marocaine relative au viol pour la mettre en conformité avec le droit international. La définition du viol dans le droit marocain doit être rédigée dans un langage neutre en matière de genre, et prendre en compte et ériger en infraction toutes les formes de pénétration sexuelle forcée et coercitive, y compris avec des objets, conformément au droit international relatif aux droits humains et aux normes associées. Le projet ne modifie pourtant pas l’article 486, qui définit actuellement le viol comme « l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci », et ne considère pas le viol conjugal comme une infraction pénale spécifique. Le viol est donc perçu comme un acte sexuel imposé à une femme, et exclut la possibilité que des hommes et des garçons en soient victimes. Le texte permet par ailleurs de requalifier certains cas de viol en agressions sexuelles, actuellement définies aux articles 484 et 485 du Code pénal.

L’interdiction du viol est actuellement inscrite dans l’article 486 du Code pénal et le viol est puni de cinq à 10 ans d’emprisonnement. Les peines prononcées peuvent atteindre 30 ans de prison en vertu des articles 486, 487 et 488 lorsqu’il existe des circonstances aggravantes, notamment quand la victime est mineure, handicapée ou enceinte, quand elle perd sa virginité, ou quand l’auteur use de son autorité, notamment lorsqu’il occupe une fonction publique ou religieuse. Un avant-projet de loi distinct visant à modifier le Code pénal, dévoilé en avril 2015, propose d’ajouter de lourdes amendes substantielles dans les cas décrits ci-dessus.

Le projet de loi doit en outre préciser que les viols commis par des représentants de l’État dans le cadre de leurs fonctions relèvent de la torture. Les viols imputés à des fonctionnaires, y compris des policiers, sont définis sans équivoque comme des actes de torture par la justice pénale internationale, ainsi que par les organes de protection des droits humains au niveau régional et aux Nations unies. Les menaces de viol formulées par un représentant de l’État, qu’elles soient mises à exécution ou non, relèvent aussi de la torture et d’autres formes de mauvais traitements, ainsi que le reconnaît le Comité des Nations unies contre la torture.

Le projet de loi ne prévoit par ailleurs pas la suppression de dispositions discriminatoires liant la sévérité des sanctions à la situation matrimoniale de la victime ou à sa virginité, en vertu de textes se focalisant sur l’« honneur », la « moralité » et la « respectabilité » des femmes et des filles, et implicitement sur celles de leur famille, aux dépens de leur dignité individuelle et de leur droit à l’intégrité physique. L’article 488 du Code pénal, qui prévoit actuellement des peines plus lourdes si le viol et l’« attentat à la pudeur » mènent à la défloration de la victime, reste inchangé dans le projet de loi.

Définir la violence sexuelle comme une atteinte à l’« honneur », la « réputation » ou la « virginité » d’une personne perpétue des stéréotypes, est discriminatoire et encourage la culpabilisation de la victime. Les femmes et les filles ont des droits fondamentaux intrinsèques, et les actes de violence à leur égard doivent être définis comme des crimes contre la personne et des atteintes à l’intégrité physique, et non pas en fonction de leur virginité, de leur statut matrimonial ou de leur situation familiale. Les dispositions existantes ou proposées introduisant une discrimination entre victimes pour ces motifs doivent être modifiées afin que toutes les victimes soient traitées de la même manière.

Harcèlement sexuel

L’article 503-1 du Code pénal définit actuellement le harcèlement sexuel comme un abus d’autorité dans l’objectif de « [harceler] autrui en usant d’ordres, de menaces, de contraintes ou de tout autre moyen, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ». Les sanctions prévues incluent des peines d’un à deux ans de prison et des amendes allant de 5 000 à 50 000 dirhams marocains (soit 500 à 5 180 dollars environ).

Cet article est particulièrement problématique car il qualifie des contacts sexuels forcés de « faveurs », terme vague et ambigu brouillant la question du consentement. Tout contact sexuel forcé, y compris lorsque des ordres ou des menaces ont été proférés, constitue un viol selon les normes internationales en matière de droits humains. L’article fait par ailleurs référence aux agresseurs investis d’une autorité, notamment les fonctionnaires, tout en omettant de préciser que les viols commis par des représentants de l’État dans l’exercice de leurs fonctions constituent des actes de torture.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne change rien à cet article, si ce n’est qu’il porte la peine maximale à trois ans au lieu de deux. Il convient de clarifier cet article ou de l’abroger, afin de garantir que des cas de viol ne donnent pas lieu à des poursuites en vertu de cette disposition moins sévère relative au harcèlement sexuel, et que les viols et menaces de viol dont se rendent coupables des représentants de l’État soient explicitement reconnus comme des actes de torture.

Le projet de loi étend la définition du harcèlement sexuel à « toute personne qui s’acharne à harceler une autre personne dans les situations suivantes : 1 - dans les espaces publics ou autres, au moyen d’actes, de paroles ou de signes d’une nature sexuelle, ou à des fins sexuelles ; 2 - par le biais de messages écrits ou électroniques, d’enregistrements ou de photographies à caractère sexuel ou à des fins sexuelles. La sanction est plus lourde si l’auteur est un collègue de travail ou un individu chargé de maintenir la sécurité et l’ordre dans les espaces publics ou autres. » Il ferait passer la peine maximale à trois ans de prison au lieu de deux actuellement.

Cette définition du harcèlement sexuel est trop vague et doit être modifiée et mise en conformité avec les normes internationales, car il s’agit de toute forme de comportement non désiré à connotation sexuelle, s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne, en particulier lorsqu’il crée un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant - et faisant l’objet de sanctions juridiques, pénales ou autres. L’interdiction du harcèlement sexuel dans le Code pénal doit être mise en conformité avec cette définition et respecter les critères de clarté et de précision en vigueur dans le droit pénal.

Les lois sur l’adultère et les crimes d’« honneur »

Dans sa forme actuelle, le projet de loi continue à considérer le mariage, plutôt que le consentement, comme le critère central des relations sexuelles légales, en conservant l’interdiction des relations sexuelles entre adultes consentants hors mariage dans les articles 489, 490 et 491 du Code pénal. L’article 489 punit les relations sexuelles entre personnes du même sexe de peines de prison allant de six mois à trois ans, et d’amendes comprises entre 120 et 1 000 dirhams marocains (12 et 100 dollars, environ), qu’un avant-projet de loi relatif à la modification du Code pénal dévoilé en avril 2015 propose de faire passer à une fourchette allant de 2 000 à 20 000 dirhams (entre 200 et 2 270 dollars).

En ce qui concerne les relations sexuelles consenties entre personnes n’étant pas unies par les liens du mariage, l’article 490 du Code pénal prévoit une peine d’un mois à un an d’emprisonnement. L’avant-projet de loi relatif à la modification du Code pénal (avril 2015) cherche à étendre l’interdiction des relations sexuelles aux « contacts sexuels illicites ». Il propose aussi de ramener la peine maximale à trois mois de prison, et d’introduire des amendes allant de 2 000 à 20 000 dirhams (soit de 200 à 2 270 dollars environ), pouvant être imposées à la place ou en plus d’un d’emprisonnement.

Par ailleurs, l’article 491 du Code pénal prévoit des peines d’un à deux ans de prison contre les époux adultères, les femmes comme les hommes. L’avant-projet de loi relatif à la modification du Code pénal (avril 2015) propose l’ajout d’amendes allant de 2 000 à 20 000 dirhams (soit de 200 à 2 270 dollars environ). Étant donné que le parquet requiert une plainte du conjoint ou de la conjointe de la personne adultère, les maris commettant l’adultère avec une femme non mariée sont susceptibles d’échapper aux poursuites en vertu de l’article 491, tandis que les femmes continuent à encourir des sanctions au titre de l’article 490.

En 2015, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a demandé aux autorités marocaines de dépénaliser les relations sexuelles entre adultes consentants en dehors du mariage, y compris entre personnes du même sexe. Des groupes marocains de défense des femmes ont déclaré à Amnesty International que le fait d’ériger en infraction les relations sexuelles entre adultes consentants, en particulier dans les lois sur l’adultère, dissuade les personnes ayant subi un viol de porter plainte, de crainte d’être elles-mêmes poursuivies si les autorités ne croient pas leurs allégations. La criminalisation de relations sexuelles entre adultes consentants enfreint par ailleurs les droits à la vie privée et à la liberté d’expression, et doit être abrogée. Amnesty International estime en outre que les lois sur l’adultère ont dans les faits un impact disproportionné sur les femmes et renforcent des stéréotypes de genre néfastes.

Le projet de loi ne prévoit par ailleurs pas l’abrogation de dispositions existantes qui cautionnent les crimes dits d’« honneur » en appliquant des peines réduites aux personnes agressant un-e conjoint-e adultère ou des membres de leur famille dont le comportement sexuel est considéré comme répréhensible. L’article 418 du Code pénal dispose ainsi que l’agression est « excusable » si elle est commise contre une épouse ou un époux surpris en flagrant délit d’adultère, tandis que l’article 420 prescrit également qu’une agression ou un homicide involontaire commis par un « chef de famille » (homme) qui surprend à son domicile un « commerce charnel illicite » sont « excusables ». L’avant-projet de loi relatif à la modification du Code pénal propose que l’article 420 s’applique à tous les membres de la famille, plus seulement au « chef de famille ». Amnesty International demande l’abrogation de ces dispositions, qui encouragent la violence et la possibilité de se faire justice soi-même, et accordent l’impunité à des auteurs de violence.

Mariage forcé et mariage des enfants

Le projet de loi introduit l’interdiction du mariage forcé (article 503-2-1), qui deviendrait passible de peines de six mois à un an de prison et d’amendes allant de 10 000 à 30 000 dirhams marocains (de 1 030 à 3 100 dollars environ). L’article double la sanction si la victime est mineure ou une femme prise pour cible « en raison de son sexe ». Il subordonne cependant les poursuites au dépôt d’une plainte par la victime, et dispose que le retrait de la plainte par la victime met un terme aux poursuites. Amnesty International craint que cela n’exacerbe le risque que de la victime fasse l’objet de représailles et que son époux ou sa famille fassent pression sur elle pour qu’elle retire sa plainte. Cela est très problématique dans les cas de mariage des enfants, car les jeunes filles sont particulièrement exposées à ce type de pressions. Amnesty International recommande donc que le caractère conditionnel de l’ouverture des poursuites, selon qu’une plainte est déposée par la victime ou non, soit supprimé du projet de loi. L’interdiction du mariage forcé est une mesure de protection cruciale pour les femmes et les filles, car elle souligne l’importance du consentement.

Le projet de loi n’interdit cependant pas le mariage des enfants. L’article 19 du Code marocain de la famille fixe l’âge du mariage à 18 ans, mais des dérogations sont possibles en vertu des articles 20 et 21, qui habilitent les juges à autoriser le mariage d’une personne mineure, avec ou sans le consentement de leur tuteur légal. Le projet de loi ne change rien à ces dispositions. Les articles 20 et 21 du Code de la famille ne font pas mention de la nécessité d’un véritable consentement au mariage de la part de la personne mineure, ce qui laisse une grande latitude au juge. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a établi que 18 ans doit être l’âge minimum du mariage, même s’il est possible que la loi autorise des exceptions, assorties de garanties adaptées afin qu’un consentement éclairé soit donné.

Obstacles à la justice et services inadéquats pour les victimes

Le projet de loi n’aborde pas les obstacles existants auxquels sont confrontées les femmes et les filles lorsqu’elles essaient de signaler des violences à des responsables de l’application des lois et aux autorités judiciaires. Il devrait interdire de manière explicite la médiation entre victime et agresseur présumé dans tous les cas de violences contre les femmes et les filles, à la fois avant et durant les procédures judiciaires. Des groupes de défense des femmes au Maroc ont en particulier souligné la réticence de la police à enregistrer les allégations de violences entre époux et à prendre des mesures, leur rôle consistant à promouvoir la médiation et la réconciliation afin de préserver l’unité familiale. Le projet de loi fait du dépôt de plainte par la victime la condition de l’ouverture de poursuites, et prévoit l’arrêt de celles-ci en cas de retrait de la plainte pour un certain nombre d’infractions, y compris le mariage forcé. Dès lors qu’il existe suffisamment de preuves recevables, les responsables de l’application des lois doivent poursuivre en justice les personnes soupçonnées, dans le cadre de procédures conformes aux normes internationales d’équité. Les questions posées par la police judiciaire et lors des audiences de justice doivent tenir compte des questions de genre et ne pas causer de nouveaux traumatismes aux personnes ayant connu des violences.

Un autre obstacle à l’obligation de rendre des comptes cité par les groupes de défense des femmes au Maroc est l’attitude de la police et de la justice concernant les éléments de preuve, compte tenu de leurs demandes déraisonnables en la matière, comme le fait d’exiger de recueillir les déclarations d’un témoin oculaire dans les cas de viol, alors que la loi ne les y oblige pas. S’il est adopté, le projet de loi contraindrait des professionnels de la santé à témoigner dans le cadre des affaires de violence contre les femmes et les filles (article 446). Outre les atteintes à l’éthique médicale, cette disposition pourrait décourager les femmes et les filles ne souhaitant pas porter plainte de se faire soigner, de crainte que leur situation ne soit révélée contre leur gré par leur médecin traitant ou d’autres membres du personnel médical.

Protection, soutien et assistance

Les ordonnances de protection, si elles sont délivrées en bonne et due forme et appliquées comme il se doit, peuvent mettre en sécurité des femmes et des filles ayant connu des violences de genre. Il est encourageant que le projet de loi introduise de nouvelles mesures de protection dès le début des procédures judiciaires dans les cas de violences contre les femmes (article 82-5-1). Il impose par ailleurs au ministère public le devoir d’interdire aux suspects de contacter les victimes ou de s’approcher du lieu où elles se trouvent (article 88-3). Il s’appuie sur des dispositions figurant déjà dans le Code pénal pour interdire aux agresseurs présumés de contacter les victimes et pour les soumettre aux traitements psychologiques qui s’imposent (article 61). Le projet de loi propose par ailleurs que les audiences puissent se tenir à huis clos à la demande de la victime dans les cas d’agression ou de violences contre les femmes ou les enfants. S’il est adopté, cette mesure importante pourrait aider à éviter tout traumatisme supplémentaire au tribunal (article 302).

Le projet de loi ne contient cependant pas certaines dispositions importantes concernant l’accès aux soins médicaux et à des services d’aide. En particulier, les victimes de viol et d’autres formes de violences sexuelles devraient bénéficier d’un accès libre et immédiat à des soins médicaux afin d’atténuer les conséquences du crime qu’elles ont subi. Pour les victimes de viol, cela recouvre notamment la possibilité d’obtenir une contraception d’urgence, de bénéficier de tests de détection des infections sexuellement transmissibles et de recevoir des soins adaptés le cas échéant, de se soumettre à un examen médicolégal effectué conformément au Protocole d’Istanbul, Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et aux Directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la prise en charge médico-juridique des victimes de violences sexuelles, ainsi que d’avoir la possibilité d’avorter légalement et en toute sécurité, conformément aux recommandations de l’OMS (Avortement sécurisé : directives techniques et stratégiques à l’intention des systèmes de santé).

Bien que le droit international exige que les États garantissent la possibilité pour les femmes d’avorter légalement et en toute sécurité si leur vie ou leur santé physique ou mentale en dépendent et dans les cas de viol ou d’inceste, l’avortement constitue encore une infraction en droit marocain. Il est uniquement autorisé si la santé de la mère est menacée. Il ne peut par ailleurs être pratiqué sans l’accord du conjoint, ce qui ne permet pas aux femmes de prendre des décisions de manière autonome. Outre les cas où la santé de la mère est menacée, les femmes et les filles cherchant à avorter risquent jusqu’à deux ans de prison, tandis que les professionnels de la santé encourent jusqu’à 30 ans d’emprisonnement (articles 449-452 et 454-458 du Code pénal). Il y a un an, les autorités marocaines ont déclaré que l’avortement allait être autorisé quand le fœtus présente de graves malformations ou quand la grossesse résulte d’un viol ou de l’inceste, mais le gouvernement n’a toujours pas présenté de projet de modification du Code pénal dans ce domaine.

Amnesty International demande aux autorités marocaines de dépénaliser l’avortement et de fournir aux femmes et aux filles la possibilité d’avorter légalement et en toute sécurité si leur vie ou leur santé physique ou mentale sont menacées et en cas de viol ou d’inceste, et de supprimer l’obligation d’obtenir le consentement du conjoint.

Le projet de loi prévoit un cadre juridique pour des cellules de soutien destinées aux femmes et aux enfants ayant été aux prises avec la violence. Ces structures, qui font intervenir des membres de l’appareil judiciaire, des responsables de l’application des lois, des travailleurs et travailleuses sociaux et d’autres fonctionnaires, fournissent un soutien et un accompagnement aux femmes et aux enfants souhaitant obtenir justice. Elles sont déjà en place au sein de certains tribunaux, postes de police et gendarmeries, et d’autres administrations à travers le pays. Les autorités marocaines doivent veiller à ce que ces cellules bénéficient d’un financement adéquat et à ce que les personnels reçoivent une formation spécialisée, compte tenu des besoins divers des femmes et des enfants exposés à différentes formes de violence. Le projet de loi propose par ailleurs d’instaurer une Commission nationale sur la violence contre les femmes, ainsi que des commissions régionales et locales dont le rôle consisterait à coordonner l’action judiciaire et gouvernementale sur la question et à lutter contre les obstacles empêchant les victimes d’obtenir justice. Étant donné que les groupes de défense des femmes déploient depuis de nombreuses années des efforts considérables pour prodiguer soutien, aide et conseils aux femmes ayant connu la violence, notamment en proposant des services d’écoute et de conseils juridiques, des services téléphoniques d’aide et même des centres d’accueil, les autorités marocaines devraient leur confier un rôle explicite dans ces commissions.

Les obligations du Maroc au titre du droit international

Le Maroc est un État partie à de grands traités internationaux relatifs aux droits humains garantissant les droits des femmes et des filles, parmi lesquels le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention relative aux droits de l’enfant et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Il est en outre en passe d’adopter le Protocole facultatif à cette dernière.

Il est crucial de mener des réformes pour que les droits des femmes soient garantis et protégés. Cependant, modifier la loi ne suffit pas. Amnesty International exhorte les autorités marocaines à respecter leurs obligations aux termes de l’article 5 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en prenant toutes les mesures appropriées pour « modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ». Ces mesures doivent notamment prendre la forme d’une information et de mesures éducatives régulières en direction du grand public, notamment des professionnels des médias et des travailleurs sociaux, sur les questions en relation avec le genre et les violences sexuelles et liées au genre.

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