Huit exécutions prévues

Dans l’État d’Arkansas, aux États-Unis, en l’espace de 36 jours, huit hommes déclarés coupables de meurtre ont été exécutés : deux le 8 janvier, deux le 5 février, et quatre le 12 février.

Cela s’est passé il y a 91 ans, en 1926.

En 1926, la peine de mort était un châtiment couramment utilisé dans le monde entier. En 1948, année de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, huit pays seulement avaient aboli la peine de mort pour tous les crimes. Actuellement, 141 pays l’ont abolie dans leur droit ou dans la pratique.

La grande majorité des exécutions recensées à travers le monde chaque année sont le fait d’un petit nombre de pays.

Au cours de la dernière décennie, les États-Unis se sont lentement éloignés de ce châtiment. Il reste encore un long chemin à parcourir, mais le nombre de peines de mort prononcées est en baisse, le nombre d’exécutions est aussi en baisse, et le nombre d’États abolitionnistes augmente. L’an dernier, le nombre d’exécutions recensées sur le territoire des États-Unis a été le plus faible enregistré depuis un quart de siècle.

Les dernières informations provenant de l’Arkansas constituent une grave ombre au tableau.

Le 27 février 2017, le gouverneur de l’Arkansas, Asa Hutchinson, a signé des ordonnances prévoyant huit exécutions en l’espace de 10 jours en avril 2017. Don Davis et Bruce Ward doivent être mis à mort le 17 avril ; Ledelle Lee et Stacey Johnson, le 20 avril ; Marcel Williams et Jack Jones, le 24 avril ; et Jason McGehee et Kenneth Williams, le 27 avril.

En raison des actions en justice engagées par les avocats des condamnés, cet État ne va peut-être pas pouvoir procéder à ces exécutions ou tout au moins à certaines d’entre elles. Il est toutefois désolant qu’il ait pris ces décisions alors que le monde est de plus en plus abolitionniste.

La dernière fois que deux exécutions ont eu lieu le même jour dans un même État, c’était en août 2000, au Texas. Deux exécutions devaient avoir lieu en Oklahoma le 29 avril 2014, mais la deuxième a été reportée parce que la première s’était mal passée (voir plus bas).

La dernière fois que huit exécutions ont eu lieu au cours d’un même mois aux États-Unis, c’était il y a 20 ans. Le Texas a exécuté 16 condamnés en mai et juin 1997, avec huit exécutions durant chacun de ces deux mois. Le Texas a procédé à la moitié des 74 exécutions recensées cette année-là ; les 37 exécutions qu’il a comptabilisées en 1997 représentent plus de la moitié de la totalité de celles qui ont eu lieu dans tout le pays en 2014, 2015 ou 2016.

Quarante-huit p. cent de toutes les exécutions recensées aux États-Unis depuis la reprise des exécutions judiciaires en 1977, en vertu de nouvelles lois relatives à la peine capitale, ont eu lieu entre 1997 et 2006. Depuis, cinq États ont aboli la peine de mort dans leur législation : le New Jersey (2007), le Nouveau-Mexique (2009), l’Illinois (2011), le Connecticut (2012) et le Maryland (2013) [1] . L’isolation croissante des États-Unis sur cette question a été expressément mise en avant par ces États quand leurs gouverneurs ont ratifié les lois abolissant la peine capitale.

Si l’Arkansas procède à ces huit exécutions en avril, cela implique qu’en l’espace de 10 jours il augmentera de 30 % le nombre total d’exécutions judiciaires enregistrées sur son territoire au cours des quarante dernières années. Cela reviendrait pour lui à tuer près d’un quart de ses prisonniers condamnés à mort, sur la base des chiffres actuels.

La dernière exécution recensée en Arkansas – la 27e depuis 1977 dans cet État – a eu lieu le 28 novembre 2005.

Comme de nombreux autres États, au cours des dernières années, l’Arkansas a rencontré des difficultés pour se procurer les produits chimiques nécessaires pour les protocoles d’injection létale, et pour appliquer des protocoles respectant, selon les juges, les critères de conformité à la Constitution.

Le 23 juin 2016, la Cour suprême de l’Arkansas a validé la méthode d’exécution par injection de trois substances : les autorités pénitentiaires choisissent soit un barbiturique soit le midazolam comme sédatif, puis utilisent le bromure de vecuronium comme agent paralysant, et enfin le chlorure de potassium pour provoquer l’arrêt cardiaque entraînant la mort. Le 21 février 2017, la Cour suprême des États-Unis a refusé d’examiner un recours portant sur cette méthode. Les deux juges ayant exprimé leur désaccord ont souligné qu’avec la méthode utilisant trois substances :

« Le premier produit est d’une importance cruciale ; sans lui, le prisonnier ressent pleinement les souffrances que provoquent le deuxième et le troisième produits. Le deuxième produit provoque une sensation extrêmement douloureuse d’écrasement et d’étouffement, mais comme il paralyse le prisonnier et masque tout signe de souffrance, il est utile à l’État car il préserve la dignité de la procédure. Le troisième produit provoque une sensation de brûlure insoutenable comparable à celle qu’induirait le fait d’enfoncer dans le bras un tisonnier brûlant, cette sensation remontant jusque dans la poitrine pour atteindre le cœur. En l’absence d’un sédatif adéquat, l’exécution provoque une mort cauchemardesque : le prisonnier condamné est conscient mais totalement paralysé, incapable de bouger ou de crier pour exprimer sa souffrance, alors qu’il endure des souffrances, provoquées par des substances chimiques, sans doute équivalentes à celles que ressent celui qui est brûlé sur le bûcher. [2] »

Les deux juges ont ajouté :

« La science et l’expérience ont révélé que, au moins en ce qui concerne les protocoles basés sur le midazolam, les prisonniers exécutés par injection létale meurent dans d’atroces souffrances sous des apparences d’"aseptisation médicale et de paix". Même si l’on écarte les éléments scientifiques, il ne faut pas oublier que des preuves de plus en plus nombreuses montrent que le midazolam est tout simplement incapable de rendre les prisonniers insensibles à la souffrance qu’entraîne l’exécution. Les exemples en ce sens abondent. Quand l’Ohio a administré du midazolam à Dennis McGuire en janvier 2014, pour son exécution, ce dernier a "tiré sur les sangles maintenant son corps, et [...] tenté à plusieurs reprises d’inspirer de l’air, avec des bruits de reniflement et de suffocation pendant près de 10 minutes. C’est sensiblement la même chose qui s’est produite en Oklahoma lors de l’exécution de Clayton Lockett, en avril 2014. Quand les bourreaux ont déclaré, après lui avoir administré le midazolam, qu’il était inconscient, Lockett a commencé à tirer sur les sangles qui le retenaient, en disant "[c]ette m*** me n*** la tête", "ça ne va pas", et "[l]es drogues ne marchent pas". Quand l’Arizona a exécuté Joseph Rudolph Wood en juillet 2014, en suivant un protocole basé sur le midazolam, ce dernier a "avalé de l’air comme un poisson sorti de l’eau". Selon un témoin, le condamné a avalé de l’air 640 fois et été pris de convulsions sur la couchette pendant plus d’une heure et demie avant d’être déclaré mort. Pour finir […] l’Alabama a procédé à l’exécution de Ronald Bert Smith. Après avoir reçu une dose de midazolam, Ronald Bert Smith a "serré son poing" et a "apparemment lutté pour respirer, en haletant et en toussant pendant 13 minutes" […] Ces récits sont particulièrement effrayants quand on sait que ces hommes avaient reçu des doses d’un puissant produit paralysant qui a probablement masqué la réelle ampleur de leurs souffrances. De même qu’un nœud coulant mal confectionné par le bourreau ou qu’une chaise électrique défectueuse, le midazolam rend sans doute notre dernière méthode d’exécution intolérable pour notre conscience, et au titre de la Constitution.  »

La majorité des juges de la Cour suprême ayant refusé d’intervenir, le procureur général de l’Arkansas a écrit au gouverneur Hutchinson pour lui demander de fixer une date pour l’exécution des huit hommes qui avaient contesté en justice ce protocole. Le gouverneur a fixé ces dates et annoncé qu’il estimait qu’il n’y aurait pas de problème « pour obtenir les produits nécessaires » pour les exécutions. Le 2 mars 2017, la Cour suprême de l’Arkansas a précisé qu’il n’y avait pas de sursis à l’exécution des peines prononcées contre les huit hommes.

La cruauté de la peine de mort ne tient pas seulement à ce qui se passe dans la chambre d’exécution. Le fait de maintenir une personne sous menace de mort pendant des années, voire des décennies, peut difficilement être assimilé à une approche progressiste, qu’il s’agisse de justice pénale ou de droits humains.

Quelle que soit la méthode que l’État choisit pour tuer le prisonnier, et que l’exécution se déroule ou non comme prévu, la peine de mort est dans tous les cas un châtiment incompatible avec les principes fondamentaux relatifs aux droits humains. Sous prétexte qu’on utilise telle substance plutôt que telle autre afin de tuer des prisonniers après les avoir attachés, cet acte ne devient pas pour autant compatible avec la dignité humaine. Ce n’est pas parce qu’on exécute une personne innocente à l’aide d’une balle au lieu d’un poison chimique que l’erreur commise n’existe plus. Si l’on met à mort un prisonnier par pendaison plutôt que sur une chaise électrique, alors que sa condamnation à la peine capitale est caractérisée par la discrimination ou l’arbitraire, cela ne fait pas disparaître l’iniquité de sa condamnation. Elle reste ancrée de façon irréversible.

Contestant la décision Glossip c. Gross de 2015 relative à l’utilisation du midazolam pour l’injection létale, le juge Stephen Breyer a déclaré qu’il était grand temps que la Cour suprême examine la constitutionnalité de la peine de mort en soi, et non simplement certains aspects de ce châtiment. Rappelant qu’il existe des preuves d’arbitraire, de parti pris géographique et racial, que des personnes ont été à tort condamnées à mort, et la cruauté de l’enfermement prolongé dans le quartier des condamnés à mort, le juge Breyer, rejoint par la juge Ruth Bader Ginsburg, a estimé que la peine de mort était vraisemblablement devenue inconstitutionnelle. Du fait des graves problèmes que pose l’application de la peine de mort, « la majorité du territoire des États-Unis a cessé d’y recourir ». Le juge Breyer a souligné que la Constitution « interdit les châtiments cruels et inhabituels. [Or, a]u cours des deux dernières décennies, les condamnations à mort et l’application de la peine de mort sont devenues de plus en plus inhabituelles. »

L’Arkansas a encore le temps de renoncer à reprendre les exécutions après plus d’une décennie sans mise à mort. Cet État doit envisager l’avenir sans la peine de mort, et non retourner en 1926 ou toute autre année marquée par l’application d’un châtiment qui appartient à un autre âge.

Notes

[1De plus, l’État de New York a commué sa dernière condamnation à mort en 2007 à la suite d’une décision de justice prononcée en 2004, selon laquelle la loi de cet État relative à la peine de mort enfreignait sa Constitution. En 2016, la Cour suprême du Delaware a déclaré que la loi de cet État relative à la peine de mort était anticonstitutionnelle.

[2Arthur c. Dunn, 21 février 2017, juge Sotomayor, rejoint par le juge Breyer, en désaccord avec la décision de rejet de la requête en certiorari. Les deux juges ont fait référence à cette opinion minoritaire (relative à une affaire en Alabama) quand ils se sont opposés au refus de la Cour de connaître de l’affaire de l’Arkansas.

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