La Haye, Esther Kiobel jure de continuer sa campagne pour la justice

shell esther kiobel

Le 23 mars, la défenseure des droits humains Esther Kiobel a perdu son procès civil face au géant pétrolier Shell, qu’elle accuse de complicité dans l’exécution de son mari par la junte militaire nigériane en 1995, mais elle a promis de continuer sa campagne pour la justice. Cela fait 27 ans qu’Esther tente d’obtenir justice pour son époux, Barinem Kiobel, pendu avec huit autres hommes dans le contexte de manifestations de grande ampleur contre la pollution aux hydrocarbures dans le delta du Niger.

Lors d’une audition de témoins qui s’est déroulée en 2019, trois hommes ont indiqué à la justice néerlandaise que Shell et l’État nigérian leur avaient offert de l’argent et d’autres pots-de-vin pour incriminer le mari d’Esther et huit autres hommes, surnommés collectivement les « neuf Ogonis ». Malgré cela, le tribunal vient de statuer qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour prouver l’implication de Shell.

Esther Kiobel a engagé cette action en justice contre Shell aux côtés de trois autres femmes, Victoria Bera, Blessing Eawo et Charity Levula, dont les maris ont aussi été exécutés en 1995. Les recherches menées par Amnesty International sur ce cas historique d’injustice ont révélé que les demandes d’« assistance » formulées par Shell pour gérer les manifestations écologistes avaient conduit à une répression violente par les autorités, dont le point culminant avait été l’arrestation et l’exécution illégale des maris de ces quatre femmes, ainsi que du célèbre militant Ken Saro-Wiwa et de quatre autres hommes.

« L’issue est décevante, mais ces femmes extraordinairement courageuses ne comptent pas baisser les bras. Elles ont réussi à faire entendre leur voix. Saluons leur résilience et leur engagement indéfectible s’agissant de faire émerger la vérité, ainsi que le précieux travail qu’elles ont réalisé pour mettre en lumière la culture mondiale de l’impunité dont jouissent les multinationales accusées d’atteintes aux droits humains, a déclaré Mark Dummett, directeur du programme Responsabilité des entreprises en matière de droits humains à Amnesty International.

« Esther Kiobel n’a pu amener Shell à lui faire face devant un tribunal qu’au prix d’une bataille juridique qui a duré de nombreuses années. Shell n’a reculé devant aucune manœuvre, de la contestation de compétence jusqu’au refus de remettre des documents cruciaux. Le fait qu’il ait fallu plus de 20 ans pour qu’un tribunal entende les arguments d’Esther est une triste illustration de la manière dont les entreprises peuvent échapper à toute obligation de rendre des comptes pour de terribles infractions et autres atteintes aux droits humains. En dépit de la décision rendue le 23 mars, le combat d’Esther pour la justice n’aura pas été vain : sa persévérance est un puissant plaidoyer en faveur du changement. Il faut que les États en fassent davantage pour amener les entreprises à répondre des atteintes aux droits humains qu’elles commettent et pour permettre aux victimes d’obtenir justice. »

« Shell a prêté à l’armée un appui matériel et a versé de l’argent au moins une fois à un militaire haut gradé tristement célèbre pour les violations des droits humains qu’il commettait »

Esther Kiobel a fui le Nigeria et s’est installée aux États-Unis après la mort de son mari. Elle a intenté un premier procès à Shell en 2002 à New York mais, en 2013, la Cour suprême a statué que les États-Unis n’étaient pas compétents en l’espèce. En 2017, Amnesty International a aidé Esther Kiobel, Victoria Bera, Blessing Eawo et Charity Levula à intenter un nouveau procès, aux Pays-Bas cette fois. Les quatre plaignantes accusaient Shell d’avoir joué un rôle déterminant dans l’arrestation et la détention illégales de leurs maris, les atteintes à leur intégrité physique, les violations de leurs droits à un procès équitable et à la vie, et leur propre droit à une vie de famille. L’affaire a été retardée lorsque Shell a refusé de remettre des documents cruciaux et ce n’est qu’en 2019 que le tribunal de district de La Haye a entendu les arguments des quatre femmes pour la première fois.

Amnesty International a décrit en détail le rôle de Shell dans la répression en pays ogoni. Dans un rapport de 2017, l’organisation a établi que Shell avait encouragé à plusieurs reprises l’armée nigériane à gérer les manifestations, alors même que l’entreprise savait que cela donnerait lieu à des atrocités, notamment des homicides, des viols, des actes de torture et des incendies de villages. Dans ce contexte d’horreur, Shell a prêté à l’armée un appui matériel et a versé de l’argent au moins une fois à un militaire haut gradé tristement célèbre pour les violations des droits humains qu’il commettait.

Amnesty International a également mis au jour des éléments prouvant une grave négligence de la part de Shell, dont l’attitude irresponsable quant aux déversements d’hydrocarbures dans le delta du Niger a aggravé la crise environnementale et entraîné une pollution dévastatrice pour les Ogonis.

« L’une des nombreuses tragédies à déplorer dans cette affaire est que les déversements provenant des gisements de pétrole de Shell continuent de faire de gros dégâts dans le delta du Niger. L’entreprise affirme actuellement vouloir quitter la région et être à la recherche d’un acheteur. Avant de partir, il faut qu’elle prête enfin attention aux demandes de la population locale et nettoie ce qu’elle a sali, a déclaré Mark Dummett.

« Les multiples procès dans lesquels elle est mise en cause lui ont déjà coûté des millions, mais cet argent ne lui suffira pas à en sortir blanchie. »

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