Harcèlement judiciaire : les défenseurs des droits humains pris pour cible

Amnesty International s’inquiète des poursuites pénales pour diffamation et autres chefs d’inculpation engagées contre des défenseurs des droits humains et appelle les autorités thaïlandaises à veiller à ce que ces accusations ne soient pas utilisées pour restreindre le droit à la liberté d’expression. Le 20 septembre 2016, un tribunal pénal du sud de Bangkok rendra un jugement dans un procès pour diffamation visant Andy Hall, éminent défenseur des droits des travailleurs migrants en Thaïlande.

Les poursuites engagées contre Andy Hall, ressortissant britannique, font suite à sa contribution à un rapport publié en janvier 2013 par l’ONG finlandaise Finnwatch. Ce document, intitulé Cheap Has a High Price, décrit les violations des droits du travail commises par trois entreprises en Thaïlande, dont Natural Fruit Company Ltd., qui conditionne et transforme des fruits. En qualité de consultant pour les recherches de Finnwatch, Andy Hall a interrogé des ouvriers de l’usine Natural Fruit dans la province de Prachuap Khiri Khan (sud du pays). Ces personnes ont décrit des conditions de travail dangereuses, des salaires illégalement bas, des heures supplémentaires obligatoires, la confiscation de leurs passeports et une discrimination selon des critères ethniques, entre autres violations des droits du travail.

Le jugement attendu porte sur une action pénale intentée par Natural Fruit Company Ltd. peu après la publication du rapport de Finnwatch. L’entreprise thaïlandaise accuse Andy Hall d’avoir volontairement terni sa réputation et affirme que le rapport contient de fausses informations au sujet des conditions de travail dans son usine. Andy Hall est poursuivi au titre de l’article 328 du Code pénal, relatif à la diffamation, et de l’article 14(1) de la Loi relative aux infractions dans le domaine de l’informatique, qui interdit le partage de « données informatiques falsifiées [...] susceptibles de porter préjudice à un tiers ou au public ». Au total, les deux chefs d’inculpation sont passibles de sept ans d’emprisonnement, ainsi que d’amendes dont le montant peut être très élevé.

En octobre 2014, un autre tribunal de première instance a prononcé un non-lieu dans un autre procès pénal pour diffamation intenté contre Andy Hall par Natural Fruit Company Ltd. à la suite de déclarations qu’il avait faites lors d’une interview accordée à Al Jazira. Cette affaire est en instance d’appel. Natural Fruit Company Ltd. a en outre engagé deux procédures civiles contre Andy Hall, dans le cadre desquelles l’entreprise réclame 400 millions de bahts thaïlandais (environ 11,5 millions de dollars américains) de dommages et intérêts au total. Ces procédures ont été suspendues dans l’attente d’une décision finale sur les actions pénales.

Le recours à des poursuites pénales pour diffamation contre des défenseurs des droits humains est contraire à l’obligation qui incombe à la Thaïlande de protéger et de respecter le droit à la liberté d’expression, proclamé notamment par l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel ce pays est partie. La diffamation devrait être traitée comme un contentieux civil. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a insisté sur le fait que « les lois sur la diffamation doivent être conçues avec soin de façon à garantir […] qu’elles ne servent pas, dans la pratique, à étouffer la liberté d’expression ». Il a encouragé les États à envisager la dépénalisation complète de la diffamation. Il a ajouté que la législation pénale doit, le cas échéant, n’être utilisée que dans les cas les plus graves, reconnaître la vérité et l’intérêt public comme lignes de défense, et ne pas prévoir de peines excessivement punitives.

Andy Hall figure parmi de nombreux défenseurs des droits humains en Thaïlande qui font l’objet de poursuites au titre des dispositions du Code pénal relatives à la diffamation. Parmi eux, trois personnes – dont l’actuelle présidente d’Amnesty International Thaïlande et l’un de ses prédécesseurs – sont poursuivies au pénal pour diffamation à la suite d’une action intentée par l’armée après la publication d’un rapport révélant des actes de torture et d’autres mauvais traitements perpétrés par des militaires. Une compagnie d’extraction d’or a également engagé plus d’une douzaine de procédures contre des militants, des journalistes et des habitants de la région – dont une jeune fille de 15 ans – qui s’opposent à ses activités minières dans le nord de la Thaïlande.

Amnesty International demande instamment au gouvernement thaïlandais de prendre toutes les mesures nécessaires pour créer un environnement dans lequel les personnes et les groupes peuvent exprimer pacifiquement leurs opinions et défendre les droits humains sans crainte de harcèlement, de poursuites ou de représailles. L’organisation les engage en particulier à protéger les défenseurs des droits humains contre les arrestations, les poursuites et l’emprisonnement en modifiant le Code pénal afin de supprimer les sanctions pénales pour diffamation.

Complément d’information

L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel la Thaïlande est partie, protège le droit à la liberté d’expression, qui comprend le droit de diffuser des informations. Le Comité des droits de l’homme a précisé que le droit à la liberté d’expression couvre toutes les formes d’expression et inclut le droit de communiquer des informations concernant des problèmes ayant trait aux droits humains. Toute limitation du droit à la liberté d’expression doit être prévue par la loi, être nécessaire à la protection des droits ou de la réputation d’autrui, de la sécurité ou de l’ordre national, de la santé ou des mœurs publiques, et impliquer l’utilisation de moyens proportionnés et les moins restrictifs possibles pour atteindre l’objectif recherché.

La Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme proclame l’obligation des États de protéger les personnes et les groupes qui défendent les droits humains « de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire ». En 2015, la Thaïlande s’est jointe à une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU appelant les États à « prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect des droits et la sécurité des défenseurs des droits de l’homme qui exercent leurs droits à la liberté d’opinion et d’expression et [...] leur droit de réunion et d’association pacifiques ».

En mai 2016, 12 organisations locales et de défense des droits humains ont publié une déclaration exprimant leur inquiétude croissante face à un certain nombre de procédures pénales en cours pour diffamation et appelant à renforcer la protection des défenseurs des droits humains.

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