Guinée-Bissau. À l’approche du scrutin présidentiel, les atteintes aux droits humains se multiplient

Déclaration publique

Amnesty International déplore les homicides illégaux et exécutions extrajudiciaires d’hommes politiques par les forces armées et craint une nouvelle détérioration de la situation des droits humains avant l’élection présidentielle prévue le 28 juin 2009.

Amnesty International s’inquiète après l’arrestation arbitraire de plusieurs anciens membres du gouvernement, dont un au moins a subi des violences lors de son arrestation ; d’autres, craignant pour leur sécurité, sont passés dans la clandestinité.

L’organisation appelle les autorités de Guinée-Bissau à ouvrir dans les meilleurs délais une enquête approfondie, transparente et impartiale sur les exécutions extrajudiciaires d’hommes politiques par les forces armées, ainsi que sur les arrestations arbitraires et les violences et demande que les responsables présumés de ces actes soient traduits en justice. Amnesty International appelle en outre les autorités de Guinée-Bissau à veiller à ce que les militaires ne soient pas autorisés à procéder à l’arrestation et au maintien en détention de civils.

Quatre personnes ont été tuées à l’aube du vendredi 5 juin 2009, parmi lesquelles deux hommes politiques connus. Plusieurs autres ont été arrêtées après avoir été accusées par les forces armées de préparer un coup d’état pour renverser le gouvernement et tuer le Premier ministre et le chef d’état-major des forces armées. Les personnes décédées et celles qui ont été arrêtées étaient réputées proches de l’ancien président, Bernardo « Nino » Vieira, tué par des militaires le 2 mars 2009. L’assassinat de l’ancien président avait eu lieu quelques heures après celui du général Batista Tagme Na Waie, chef d’état-major des forces armées

Helder Proença, ancien ministre de la Défense, accusé par le chef d’état-major des forces armées d’avoir fomenté le complot, son garde du corps et son chauffeur ont été tués alors qu’ils revenaient du Sénégal. Ils ont été tués vers minuit, sur le Pont Amilcar Cabral, à une quarantaine de kilomètres au nord de Bissau où des soldats les attendaient, semble-t-il. Baciro Dabó, ancien ministre de l’administration territoriale et candidat à l’élection présidentielle du mois de juin, a été tué chez lui vers deux heures du matin. Selon les informations dont nous disposons, un groupe d’environ treize soldats ont pénétré à son domicile et l’ont abattu. Selon certaines sources, il aurait reçu trois balles dans le torse et une dans la nuque.

Après ces homicides, le service de la Sécurité interne du ministère de l’Intérieur a rendu publique une déclaration affirmant que les forces armées avaient déjoué un coup d’état dans la nuit du 4 juin ; que les auteurs présumés étaient armés et que si certains s’étaient rendus, d’autres avaient résisté provoquant un échange de tirs et la mort de quatre personnes. Toutefois, selon les informations dont nous disposons, il n’existe aucune preuve que les personnes décédées étaient armées ni qu’un échange de tirs ait eu lieu. Les services de sécurité ont présenté un enregistrement audio et vidéo montrant les comploteurs présumés lors d’une réunion au cours de laquelle ils se seraient mis d’accord pour faire un coup d’état.

Amnesty International s’inquiète également des arrestations arbitraires d’un nombre indéterminé d’anciens fonctionnaires et des violences exercées contre au moins une des personnes arrêtées.

Parmi les personnes arrêtées figurent :

  Faustino Fadut Imbali, ancien Premier ministre, également arrêté à l’aube du 5 juin chez lui. Frappé lors de son arrestation, il a été emmené au quartier général des forces armées où il est détenu sans avoir été inculpé ;
  le colonel Antero João Correia, directeur général de la Sûreté de l’État et Domingos Brosca ont également été arrêtés et sont détenus dans les cellules de la base aérienne de Bissau ;
  Yaya Dabó, frère aîné de Baciro Dabó, a été arrêté le 8 juin après avoir déclaré, selon certaines sources, qu’il vengerait la mort de son frère.

Tous ont été arrêtés par des militaires, sans mandat d’arrêt. Plusieurs autres, parmi lesquels, Conduto Pina et Veríssimo Nacassa « Tchitchi », craignant pour leur sécurité, seraient passés dans la clandestinité.

Les personnes arrêtées n’ont pas été présentées à un juge pour qu’il statue sur la légalité de leur arrestation, comme le prévoit la loi bissau-guinéenne qui précise que nul ne peut être maintenu en détention s’il n’a comparu dans les 48 heures qui suivent son arrestation par-devant un juge appelé à statuer sur la légalité de l’arrestation. En outre, les arrestations ont été effectuées, en violation du droit national et international, par des militaires qui n’ont pas autorité pour arrêter des civils en Guinée-Bissau.

Amnesty International craint que, dans le climat actuel d’arrestations arbitraires et d’homicides illégaux, l’exercice de la liberté d’expression, condition essentielle pour l’exercice effectif du droit de vote, ne soit compromis. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies précise dans son observation générale n° 25, adoptée au titre de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que la « liberté d’expression, de réunion et d’association est une condition essentielle à l’exercice effectif du droit de vote et doit être pleinement protégée. »

Complément d’information

La Guinée-Bissau est un pays très instable, dont l’histoire est jalonnée de coups d’état et de rébellions militaires. Une courte guerre civile s’était terminée par le renversement de l’ancien président Vieira en mai 1999. Rentré au pays en 2005 pour prendre part au scrutin présidentiel, il en était sorti vainqueur.
Depuis 2000, trois chefs d’état-major des forces armées ainsi que d’autres militaires de haut rang ont été assassinés par des soldats. Les responsables présumés de ces homicides n’ont pas été déférés à la justice. En août 2008, le vice-amiral José Américo Bubo Na Tchute a été accusé d’avoir fomenté un coup d’état contre l’ancien président Bernardo João Vieira. Assigné à résidence, il a réussi à s’échapper et à fuir en Gambie.

Le dimanche 1er mars 2009, le chef d’état-major des forces armées, le général Batista Tagme Na Waie a été tué par l’explosion d’une bombe dans son bureau du commandement général des forces armées à Bissau. Quelques heures plus tard, le lundi 2 mars à l’aube, lors de ce qui s’apparente à une opération de représailles, des soldats ont tué le président Joao Bernardo Vieira qu’ils soupçonnaient être responsable de la mort du général Tagme na Waie. Aucune enquête n’a jusqu’à présent été ouverte sur ces homicides. Le procureur général a récemment déclaré que son bureau n’avait pas d’argent pour mener une enquête. L’armée s’est engagée à respecter la Constitution et un nouveau chef d’état-major des forces armées a été nommé. Conformément à ce que prévoit la Constitution, le président de l’Assemblée nationale assure l’intérim de la présidence en attendant la tenue d’une nouvelle élection présidentielle, prévue le 28 juin 2009. Toutefois, la tenue de cette élection reste incertaine, car la campagne électorale aurait dû s’ouvrir le dimanche 7 juin. Selon la loi, la campagne doit durer vingt-et-un jours. Pour l’instant toutefois, les autorités n’ont pas annoncé de report du scrutin.

Après l’assassinat du président Vieira et du général Tagme Na Waie, fin mars et début avril 2009, Pedro Infanda, avocat et Francisco José Fadul, ancien Premier ministre et, au moment de sa brutale agression, président de la Cour des comptes ont été arrêtés et torturés par des militaires pour avoir critiqué les forces armées. Immédiatement ensuite, des membres de la Ligue guinéenne de défense des droits humains (LGDH), notamment son président, ont été menacés par des hommes armés pour avoir publiquement condamné l’arrestation et les tortures infligées à Pedro Infanda ainsi que les coups portés à Francisco José Fadul.

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