Géorgie. Les autorités doivent mettre un terme aux violences qui ciblent les membres de l’opposition à l’approche des élections

Alors que les Géorgiens s’apprêtent à élire leurs députés au mois d’octobre, Amnesty International s’inquiète de l’absence de protection des partisans et des journalistes de l’opposition contre ce qui semble constituer des violences politiques ciblées.

L’organisation engage le gouvernement géorgien à garantir la liberté d’expression et d’association de tous, quelles que soient leurs opinions ou leurs affiliations politiques, et à traduire en justice les responsables présumés des attaques récentes à l’issue d’enquêtes approfondies, impartiales et efficaces.

Ces dernières semaines, plusieurs réunions publiques de la coalition de l’opposition Rêve géorgien n’ont pas pu avoir lieu, des heurts ayant éclaté. Selon des dirigeants de l’opposition, des employés municipaux et des représentants du ministère des Affaires intérieures étaient impliqués dans ces agitations, laissant à penser que les autorités n’y étaient pas étrangères.

Le 12 juillet, un groupe de militants du Rêve géorgien s’est rendu à Karaleti, dans le centre de la Géorgie, pour visiter un campement pour personnes déplacées au lendemain de la guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie. D’après des témoins et des articles parus dans la presse, plusieurs habitants du campement de Karaleti ont commencé à insulter les militants et à exiger qu’ils quittent les lieux. Les altercations verbales ont dégénéré en affrontements physiques.

Sur plusieurs enregistrements vidéos de cette rencontre, on peut voir les habitants jeter des pierres sur les représentants de la coalition et des journalistes, tandis que l’un des hommes accompagnant un dirigeant de la coalition brandit un fusil et couvre le repli des militants, qui quittent les lieux.

Treize personnes, dont 10 journalistes, ont été blessées et soignées à l’hôpital de Gori. Saba Tsitsikachvili, l’une des journalistes blessées, a affirmé qu’elle avait reconnu des employés de la municipalité parmi les personnes qui l’ont rouée de coups.

Le ministère géorgien des Affaires intérieures a publié une déclaration le 14 juillet, annonçant que six personnes – quatre opposants et deux habitants de Karaleti, dont l’un des employés municipaux qui a agressé Saba Tsitsikachvili – avaient été arrêtées et condamnées à 15 jours de détention administrative pour ces agissements. Cependant, selon un avocat de la coalition du Rêve géorgien, quatre autres personnes liées au parti au pouvoir, qui ont dirigé et pris part à l’agression, n’ont pas comparu devant le juge en dépit des preuves photos et vidéos les incriminant.

Le 26 juin, un événement analogue s’est produit à Mereti, dans la région de Shida Kartli, dans le centre de la Géorgie. Alors que le Rêve géorgien tentait d’organiser un meeting, une bagarre à coups de poing a éclaté, empêchant les militants de rencontrer les habitants. Au terme de l’affrontement, un certain nombre de personnes, dont plusieurs journalistes, auraient été blessées et deux membres du Rêve géorgien ont été conduits à l’hôpital.

Des médias locaux ont ensuite diffusé une vidéo sur laquelle on voit des hommes, des employés municipaux semble-t-il, se mêler à la bagarre. Le 28 juin, le bureau du médiateur s’est déclaré préoccupé par le fait que plusieurs fonctionnaires, dont des membres du conseil municipal de Gori, et les services d’urgence de la région de Shida Kartli étaient impliqués dans ces violences.

Quatre hommes, dont deux militants du Rêve géorgien, ont été arrêtés et détenus pendant 10 jours en lien avec l’épisode de Mereti. Cependant, d’après le bureau du médiateur, aucun fonctionnaire n’a été tenu de rendre des comptes.

Les journalistes favorables à l’opposition seraient donc agressés lorsqu’ils couvrent des rassemblements ou des événements politiquement sensibles, mais aussi harcelés par des personnes non identifiées qui les empêchent de faire leur travail. Ils sont suivis et interrogés par des personnes inconnues qui s’ingèrent dans leur travail et les empêchent d’interviewer et de filmer en multipliant les actes et les remarques visant à les intimider.

Journaliste de l’agence de presse de l’opposition INFO 9 à Zestaponi, dans l’ouest de la Géorgie, Ekaterine Dougladze a raconté à Amnesty International qu’au cours des trois dernières semaines, elle a été constamment suivie et harcelée par un groupe de sept jeunes hommes : « Ils me suivent partout en voiture, à pied, m’empêchent de circuler librement, s’immiscent dans le tournage, s’approchent très près de moi tout en faisant des remarques déplacées sur mon travail et ma vie privée et me posent sans arrêt des questions. »

Ekaterine Dougladze affirme qu’elle ne peut pas faire efficacement son travail de journaliste, car le groupe d’hommes qui la suit s’interpose lorsqu’elle veut filmer et interviewer. Bien qu’elle ait porté plainte et en ait appelé aux services du procureur et de la police, ces hommes continuent à la suivre sans être inquiétés.

« Il n’y a pas eu de réaction de la part de la police ni du parquet, je suis contrainte de poursuivre mon travail dans un climat d’intimidation et de menaces, avec le sentiment de n’être pas du tout protégée », a-t-elle expliqué à Amnesty International.

Vassili Dabroundachvili, de la société de production Studio GNS, a été suivi et questionné par le même groupe de jeunes hommes, alors qu’il tentait d’enquêter sur des cas de journalistes de l’opposition en butte à des pressions. Le 11 juin, alors qu’il se trouvait à Zestaponi pour interviewer Ekaterine Dougladze, ils se sont approchés et l’ont empêché de travailler. « Sept hommes nous ont encerclés alors que je tentais d’enregistrer l’entretien. Ils ne m’ont pas laissé poser de questions, interrompant la conversation par des commentaires cyniques et se plaçant devant le champ de la caméra. Nous nous sommes éloignés pour poursuivre l’interview ailleurs, mais ils nous ont suivis. À la fin, mon interlocutrice est repartie sans que nous ayons pu enregistrer quoi que ce soit. »

Selon Vassili Dabroundachvili, ces sept hommes l’ont suivi pendant des heures, lui posant des questions et l’empêchant de circuler librement et de réaliser des interviews. « Tout cela s’est déroulé devant le poste de police de Zestaponi. J’y suis entré et ai demandé au policier de leur dire d’arrêter de me suivre et de me laisser faire mon travail de journaliste, mais il a refusé de donner suite à ma requête  », a-t-il raconté à Amnesty International. Vassili Dabroundachvili a également sollicité l’aide d’une patrouille de police ; toutefois, les deux agents qui sont arrivés pour enregistrer la plainte sont repartis brusquement, sans donner d’explication, lorsqu’il a demandé à voir et signer le procès-verbal.

D’après Vassili Dabroundachvili, à ce jour, aucune enquête officielle n’a été ouverte et personne n’a été tenu pour responsable de ces agissements. « À en juger par les actes des forces de l’ordre, je ne vois pas comment justice pourrait être rendue dans cette affaire », a-t-il confié à Amnesty International.

Plusieurs événements similaires ont été signalés au mois de juillet dans diverses régions de Géorgie. Le 6 juillet, la journaliste d’INFO 9 Nina Bassitchvili a été suivie et on l’a empêchée de filmer à Gardabani, dans l’est de la Géorgie. Le 8 juillet, Natia Rokva, elle aussi correspondante d’INFO 9, a été suivie par une personne équipée d’une caméra qui ne l’a pas laissé filmer ni réaliser d’interviews à Guria, dans l’ouest de la Géorgie. Elle a appelé le policier en patrouille qui se trouvait à proximité pour faire barrage à cette personne, mais celui-ci n’aurait pas réagi.

Amnesty International appelle les autorités géorgiennes à mener dans les meilleurs délais une enquête approfondie sur tous les cas de violence et de harcèlement ciblant les journalistes. Elle exhorte les autorités à garantir qu’ils puissent travailler librement et sans crainte des violences, quelle que soit l’affiliation politique des médias qu’ils représentent.

Complément d’information

Depuis l’entrée en politique du milliardaire Bidzina Ivanichvili en début d’année, des règlementations rigoureuses et d’autres mécanismes ont été mis en œuvre pour contrôler les activités politiques et financières de sa coalition politique récemment fondée, le Rêve géorgien.

Nouvellement créé pour contrôler les finances des partis politiques et de la campagne, le Service de contrôle de l’État est accusé d’« appliquer une approche sélective et excessivement rigide » en interrogeant l’ensemble des partisans de l’opposition et en infligeant des amendes de plusieurs millions d’euros à Bidzina Ivanichvili, à la coalition du Rêve géorgien et aux structures considérées comme lui étant affiliées. Par ailleurs, les organisations de défense de la démocratie locale et des droits humains ont critiqué la saisie récente des antennes satellites des chaînes de l’opposition Global TV et Maesto TV , en raison d’allégations de pots-de-vin versés à des électeurs, ainsi que les charges pénales portées contre les trois membres de la coalition pour avoir contourné les règlements fondateurs du parti .

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit