Erythrée. Cinq ans en détention sans jugement.

Cinq ans ont passé et des membres du parlement et des journalistes sont toujours en détention secrète sans avoir été jugés. On craint que certains ne soient morts en détention.

Déclaration publique

AFR 64/009/2006

Embargo : 18 septembre 2006 00h01 TU

Le 18 septembre marque le début de la cinquième année en détention, sans avoir été inculpés ni jugés, de 11 anciens membres du parlement, 10 journalistes et de centaines d’hommes et de femmes, arrêtés lors d’une vague de répression contre les adversaires du gouvernement qui appelaient à des réformes démocratiques, en septembre 2001.

De récentes allégations ont circulé récemment, selon lesquelles plusieurs des 11 anciennes personnalités du gouvernement détenues dans une prison secrète, ainsi que quelques journalistes retenus avec eux seraient morts en raison des conditions très dures de détention et de l’absence de soins médicaux. Il a été dit, par exemple, sans qu’il y ait eu de réponse vérifiable par les autorités érythréennes, que le général Ogbe Abraha, ancien chef d’état-major de l’armée, avait succombé en juillet 2002 à des blessures dues à une tentative de suicide ratée, en dépit des soins prodigués. Les autres décès seraient survenus les années suivantes, plusieurs détenus étant tombés malades. Amnesty International n’a pas pu obtenir confirmation de ces allégations et continue d’enquêter. En dépit de très nombreux appels lancés au fil des ans et de l’inquiétude de la communauté internationale au sujet de ces détentions, les autorités n’ont jamais donné d’informations sur le sort ni sur les conditions de détention des personnes emprisonnées et n’ont jamais autorisé de contact avec elles.

Afin de clarifier la situation de ces détenus, qui ont de fait « disparu » après leur arrestation, Amnesty International appelle le gouvernement à constituer une équipe d’enquêteurs indépendants et impartiaux, qui puissent se rendre dans la prison secrète où se trouvent les détenus, s’entretenir avec eux en privé et établir un rapport public sur leur situation, leurs conditions de détention et leur état de santé. Amnesty International demande une nouvelle fois instamment que ces détentions soient ramenées dans le cadre des dispositions légales et constitutionnelles érythréennes, ainsi que dans celui des traités relatifs aux droits humains ratifiés par l’Érythrée, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Le PIDCP interdit toute détention arbitraire ou au secret, tout acte de torture, tout traitement cruel, inhumain ou dégradant des prisonniers et tout procès inéquitable.

Les 11 membres du parlement (souvent désignés comme membres du « G15 » ou « groupe des 15 » et parmi lesquels se trouvent d’anciens ministres du gouvernement) ont été publiquement accusés de « trahison » au cours de la guerre avec l’Éthiopie ; les journalistes détenus sont accusés de les avoir soutenus à travers leurs écrits et publications et ont été qualifiés « [d’]espions et [de] mercenaires ». Ils n’ont été ni inculpés ni jugés. Amnesty International les considère comme des prisonniers d’opinion, emprisonnés en raison de leurs idées et pour avoir critiqué le gouvernement. L’organisation renouvelle son appel en faveur de leur remise en liberté inconditionnelle et de celle de tous les prisonniers d’opinion, y compris ceux emprisonnés en raison de leurs convictions religieuses.

La plupart des milliers de prisonniers politiques et religieux d’Érythrée sont détenus au secret dans des prisons militaires ou de haute sécurité dans des lieux inconnus, sans avoir été inculpés ni jugés. Les familles ne savent souvent pas où ils sont détenus ni même s’ils sont vivants. Les autorités leur ont dit : « Vous n’avez aucun droit de demander ». Les soins de santé y sont extrêmement rudimentaires. Les mauvais traitements, des conditions très dures de détention, souvent dans des containers métalliques destinés au transport maritime, restent inchangés année après année. La torture continue d’être régulièrement utilisée comme châtiment pour certains prisonniers comme les conscrits ou les prisonniers religieux.


Les persécutions religieuses se poursuivent

La politique systématique de persécution religieuse, dont Amnesty international faisait état dans son rapport de décembre 2005, s’est poursuivie. Une cinquantaine d ‘étudiants auraient été arrêtés en mai 2006 pour ne s’être pas joints à un rassemblement organisé pour la Fête de l’Indépendance. Vingt-neuf croyants auraient été arrêtés lors d’offices célébrés chez des particuliers dans la capitale Asmara, dans la ville de Keren et dans le port de Massawa à la mi-août 2006.

En tout, environ deux mille hommes, femmes et enfants, parmi lesquels 35 pasteurs appartenant à des églises chrétiennes évangéliques fermées en 2002, sont détenus dans 14 prisons différentes à travers le pays. La chanteuse de Gospel Helen Berhane, pour laquelle des milliers d’appels ont été lancés à travers le monde, sans qu’il y ait eu de réponse de la part du gouvernement, est détenue au secret depuis plus de deux ans par les militaires. Bien qu’on leur ait offert de les laisser partir s ‘ils renonçaient par écrit à leur foi et s’engageaient à ne plus prendre part à des offices religieux clandestins, peu ont accepté de le faire, même après avoir été torturés.

Trente et un témoins de Jéhovah, dont trois entament leur treizième année en détention, sont également emprisonnés, ainsi que quatre prêtres de l’Église orthodoxe érythréenne dont le Patriarche serait assigné à résidence.

Environ 79 membres d’un groupe musulman dissident sont détenus depuis deux ans sans avoir été inculpés.

Complément d’information

L’Érythrée est devenue formellement indépendante le 24 mai 1993, à l’issue d’un référendum organisé par les Nations unies et après deux années d’indépendance de facto du gouvernement éthiopien à partir de 1991 ; un nouveau gouvernement avait alors été formé par le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE). Depuis le conflit frontalier avec l’Éthiopie en 1998-2000, l’ancien dirigeant du FPLE et actuel président et dirigeant du Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ), Issayas Afewerki, a repoussé à une date indéterminée l’introduction d’un système multipartite et la tenue d’élections, deux éléments essentiels de la constitution de 1997. La question de la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie n’a toujours pas été résolue et reste un sujet de forte tension régionale. Début septembre 2006, les Nations unies ont une nouvelle fois critiqué les restrictions apportées par le gouvernement érythréen au travail de surveillance de la mission de maintien de la paix des Nations unies dans les zones frontalières ; les Nations unies ont par ailleurs déploré l’expulsion de cinq membres du personnel international et l’arrestation d’un bénévole de la mission des Nations unies.

Les partis d’opposition, les organisations de la société civile indépendantes et les groupes de défense des droits humains ne sont pas autorisés. Les médias non gouvernementaux sont fermés depuis septembre 2001 et 14 journalistes en tout sont détenus. Toute critique du gouvernement est violemment réprimée. Les offices religieux par des groupes n’ayant pas reçu une autorisation officielle (c’est-à-dire tous, à l’exception des orthodoxes, catholiques, luthériens et musulmans) sont interdits, en contradiction avec la Constitution qui prévoit la protection du droit à la liberté de conviction.
Plusieurs milliers d’hommes et de femmes ont fui l’Érythrée depuis 2001. Les personnes renvoyées de force par Malte en 2002 et par la Libye en 2004 ont été placées en détention et torturées. Plusieurs demandeurs d’asile érythréens ont été déboutés dans des pays occidentaux, certains ont été placés en détention dans l’attente d’une éventuelle expulsion vers l’Érythrée. Jusqu’à présent les directives du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qui s’oppose au retour des demandeurs d’asile déboutés en Érythrée en raison du bilan négatif de ce pays en matière de droits humains, ont été respectées. Trois cents demandeurs d’asile érythréens en Libye, arrivés par le Soudan, parmi lesquels 80 femmes et trois jeunes enfants, ont été arrêtés en Libye en août 2006 et pourraient être forcés à rentrer en Érythrée.

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