ÉRYTHRÉE - Amnesty International lance un appel en faveur de la libération de six femmes prisonnières d’opinion à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance de l’Érythrée

Index AI : AFR 64/007/2005

DÉCLARATION PUBLIQUE

Alors que l’Érythrée s’apprête à fêter le douzième anniversaire de son indépendance le 24 mai, de très nombreux prisonniers d’opinion et prisonniers politiques - on parle de plusieurs milliers - sont toujours détenus au secret pour une durée indéterminée - sans avoir jamais été inculpés ni jugés et sans contact avec leurs amis, leurs familles ou leurs avocats.

Parmi ces prisonniers d’opinion se trouvent six femmes, détenues uniquement en raison de leurs opinions pacifiques. Aucune d’entre elles n’a été autorisée à voir ses enfants depuis son arrestation. Le sort de ces six femmes reste incertain.

Amnesty International demande instamment au président Issayas Afewerki de libérer tous les prisonniers d’opinion à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance de l’Érythrée et de veiller à ce que tous les prisonniers politiques bénéficient d’un procès équitable. Avant cela, Amnesty International demande également de toute urgence pour les six femmes la possibilité de voir leur famille et leurs enfants et de bénéficier des soins médicaux dont elles pourraient avoir besoin.

Les six femmes prisonnières d’opinion sont :

Aster Fisselhatsion

Âgée d’une cinquantaine d’années, mère d’un garçon, Aster a rejoint le Front populaire de libération de l’Érythrée (FPLE) en 1974, devenant commissaire politique et représentante de l’association des femmes du mouvement. Après l’indépendance en 1991, elle a travaillé dans différents ministères à Asmara et a été élue au comité central du Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ, héritier du FPLE). Rayée de la fonction publique en 1996 en raison de ses critiques à l’encontre du gouvernement, elle avait été rétablie dans ses fonctions au cours de la guerre avec l’Éthiopie. Elle a été arrêtée en septembre 2001, lors d’un coup de filet visant les dissidents politiques, au nombre desquels figurait son ex-époux, Mahmoud Ahmed Sheriffo, ancien vice-président de l’Érythrée.

Aster Yohannes

Âgée de quarante-six ans, mère de quatre enfants (dont des jumeaux), Aster a rejoint le FPLE en 1979 alors qu’elle était encore étudiante en électronique à l’université d’Addis-Abeba en Éthiopie. Son mari, Petros Salomon, arrêté lors du coup de filet de septembre 2001, était le chef des services de sécurité et du renseignement du FPLE. Après l’indépendance en 1991, elle s’était d’abord consacrée à l’éducation de ses enfants avant de travailler à partir de 1995 comme fonctionnaire dans divers services du gouvernement, tandis que son mari occupait plusieurs postes ministériels, dont celui de ministre des Affaires étrangères. Aster elle-même ne se serait pas engagée politiquement ni publiquement ; en janvier 2000, titulaire d’une bourse des Nations unies, elle était partie aux États-Unis, à l’université de Phœnix, en Arizona, pour y étudier le marketing. En dépit de l’arrestation de son mari et malgré ses craintes d’être elle-même arrêtée, elle était rentrée de son plein gré en Érythrée le 11 décembre 2003, après avoir obtenu son diplôme, pour être avec ses enfants. Elle a été interpellée dès son arrivée, à l’aéroport d’Asmara, en dépit des garantie de sécurité que lui aurait fournies le gouvernement peu de temps auparavant. Son arrestation est de toute évidence liée à la détention de son mari. Elle serait détenue dans l’une des prisons secrètes de haute sécurité (connue sous le nom de Wenjel Mirmera) du poste de police n°2 d’Asmara. Elle n’a pas été autorisée à voir ses enfants. Aster souffre d’asthme et de troubles cardiaques.

Helen Berhane

Âgée de trente ans, interprète connue de chants de l’Église évangélique, elle a enregistré plusieurs cassettes musicales ; membre de l’Église Rema, Helen est détenue au secret depuis le 13 mai 2004. Elle est l’une des 150 femmes membres d’Églises évangéliques interdites à être détenue sans avoir jamais été inculpée ni jugée, en raison de ses convictions religieuses. Elle refuse de renier sa foi et de renoncer aux chants religieux, malgré des promesses de remise en liberté si elle le faisait. Helen est détenue au camp militaire de Mai Serwa près d’Asmara, dans un conteneur en métal destiné au fret pour les bateaux, brûlant la nuit et froid dans la journée, sans eau ni sanitaires.

Miriam Hagos

Âgée d’une cinquantaine d’année, mère d’une fille, Miriam a été élevée par des parents érythréens à Adis Abeba en Éthiopie. Au début des années 70, titulaire d’un diplôme de commerce, elle était partie aux États-Unis où elle fut très active au sein d’une association étudiante affiliée au FPLE. En 1977, elle intégrait le FPLE et travaillait au département de l’information dans le territoire sous contrôle du FPLE. Miriam a été détenue à trois reprises par le FPLE en raison de ses opinions, au cours de la lutte pour la libération. Après l’indépendance en 1991, elle a travaillé dans différents services du gouvernement et était directrice de plusieurs salles de cinéma au moment de son arrestation. Mise en détention le 6 octobre 2001, elle est apparemment soupçonnée de liens avec des dissidents détenus. Elle souffre de problèmes rénaux et oculaires.

Saadia Ahmed

Âgée de vingt-quatre ans, reporter pour le service en arabe de la télévision officielle d’Érythrée, Saadia est détenue depuis février 2002. Elle a été arrêtée en même temps que deux autres membres du service arabe de la télévision à un moment où la question du statut inférieur accordé à la langue arabe en Érythrée suscitait de nombreux débats au sein de la communauté musulmane, qui représente presque la moitié de la population d’Érythrée, particulièrement dans les zones les plus pauvres des basses terres.

Senait Debessai

Âgée d’une quarantaine d’années, mère de trois filles, Senait a rejoint le FPLE en 1976. Elle travaillait à l’origine dans le secteur de la santé. Plus tard, elle a fait partie du groupe culturel de folklore du FPLE, en tant que chanteuse et guitariste. Après l’indépendance, elle a été élue au comité exécutif de l’Union nationale des femmes érythréennes. Au milieu des années 90, elle a suivi au Kenya son mari, nommé ambassadeur d’Erythrée au Kenya. À leur retour en Érythrée, Senait était entrée à l’université d’Asmara pour y étudier la comptabilité. Elle a été arrêtée le 15 novembre 2003 à l’instigation, semblerait-il, de son mari avec lequel elle était en procédure de divorce. Son arrestation pourrait également être liée à celle de son frère, Ermias Debessai, ancien représentant du FPLE au Royaume-Uni durant la lutte de libération, puis ambassadeur d’Érythrée en Chine, interpellé une nouvelle fois pour des motifs politiques semble-t-il .

Complément d’information

De très nombreux prisonniers d’opinions et prisonniers politiques - on parle de plusieurs milliers - sont détenus au secret en Érythrée pour une durée indéterminée, sans avoir jamais été inculpés ni jugés. Parmi eux se trouvent d’anciens dirigeants du mouvement de libération du FPLE et des ministres du gouvernement, des journalistes travaillant pour des médias privés ou d’État , des fonctionnaires et des professionnels indépendants, des dirigeants syndicalistes, des membres de religions chrétiennes minoritaires, des musulmans accusés de liens avec des groupes islamistes d’une coalition armée de l’opposition basée au Soudan et soutenue par l’Éthiopie, l’Alliance nationale érythréenne, des demandeurs d’asile ayant fuit le service militaire obligatoire - renvoyés de force par Malte en 2002 et par la Libye en 2003, ainsi que des membres des forces armées. Certains sont détenus au secret depuis plus de dix ans, comme le général Bitwede Abraha et trois témoins de Jéhovah objecteurs de conscience hostiles au service militaire - Paulos Iyassu, Isaac Moges et Negede Teklemariam.

Onze anciens ministres du gouvernement et des dirigeants du FPLE ont été interpellés en septembre 2001 lors d’un coup de filet décidé par le président Issayas Afewerki ; dirigeant du FPLE, c’est lui qui avait obtenu l’indépendance de son pays par rapport à l’Éthiopie en 1991. Étaient visés tous ceux qui appelaient à des réformes démocratiques après la guerre de 1998-2000 avec l’Éthiopie. Tous les journaux privés étaient fermés, dix journalistes connus de la presse privée et trois reporters travaillant pour les médias sous contrôle de l’État sont toujours incarcérés. Quelque 900 chrétiens évangéliques sont actuellement détenus et la politique d’arrestations systématiques de membres des minorités religieuses chrétiennes se poursuit depuis mai 2002, date à laquelle le gouvernement a interdit toute religion autre que les religions orthodoxe, catholique, luthérienne ou musulmane. Aucun de ces prisonniers n’a été inculpé ni jugé. Le sort de la plupart d’entre eux n’est pas connu de leurs familles.

De très nombreuses autres personnes ont « disparu » dans des prisons secrètes militaires et de haute sécurité dans tout l’Érythrée. Parmi elles, on peut citer le cas de Said Abdulmenan, citoyen britannique et ancien réfugié ayant fui le joug éthiopien en Érythrée ; arrêté le 27 mai 2004 lors d’une visite en Érythrée, il est depuis détenu au secret sans avoir été inculpé ni jugé et sans contact avec son ambassade.

Certains prisonniers ont été torturés, principalement ceux qui fuyaient le service militaire. Beaucoup sont détenus dans des conditions effroyables dans des conteneurs en métal ou dans des cellules souterraines, sans soins médicaux appropriés et sans eau ni sanitaires.

Face aux inquiétudes exprimées par la communauté internationale au regard de ces graves atteintes aux droits humains, le gouvernement érythréen persiste à nier les violations. En dépit des éléments de preuve, le gouvernement cherche à faire croire qu’il n’y a pas de persécution religieuse et refuse de communiquer avec les familles des prisonniers et les organisations internationales de défense des droits humains.

Pour obtenir de plus amples informations, veuillez contacter le Service de presse d’Amnesty International 02 543 79 04.

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