Communiqué de presse

Cambodge. Le gouvernement et les donateurs doivent agir maintenant pour empêcher une escalade de la violence

Préoccupées par l’utilisation à plusieurs reprises par les autorités cambodgiennes d’une force excessive pour empêcher la population d’exercer son droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique, les organisations non gouvernementales cosignataires de la présente déclaration appellent les gouvernements cambodgien et étrangers à intervenir immédiatement pour empêcher que la situation des droits humains dans le pays ne se détériore encore.

Lundi 23 septembre, Norodom Sihamoni a convoqué l’Assemblée nationale dans la capitale Phnom Penh, en dépit du boycott décrété par le principal parti d’opposition - le Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP) – et de nombreuses pétitions et manifestations demandant au roi de reporter l’ouverture de la session parlementaire. Des instances indépendantes de surveillance électorale et des organisations de la société civile ont fait état d’irrégularités massives lors du scrutin du 28 juillet, remettant ainsi en cause les résultats officiels en vertu desquels le Parti du peuple cambodgien (PPC), depuis longtemps au pouvoir, a remporté l’élection à une très faible majorité. Ce résultat a également été rejeté par le CNRP.

Entre le 7 et le 17 septembre, le CNRP a organisé plusieurs manifestations non violentes à Phnom Penh en lien avec les résultats électoraux. En réaction, les autorités ont mis en place des barrages routiers et déployé les forces de l’ordre en très grand nombre, restreignant les déplacements des habitants de la capitale et précipitant finalement les affrontements violents du 15 septembre. Ce soir-là, les forces de sécurité ont tiré sans discrimination, tuant une personne et en blessant plusieurs autres.

Les barrages routiers et les forces de sécurité sont réapparus peu avant l’ouverture, lundi 23 septembre, de la session de l’Assemblée nationale, et sont toujours en place dans de nombreux endroits de la ville. Nul n’a pu ainsi s’approcher de quelque façon que ce soit du Parlement, et plusieurs affrontements animés mais non violents ont eu lieu entre des membres des forces de l’ordre et des citoyens exaspérés par ce dispositif de sécurité.

En outre, à deux occasions ces derniers jours, les autorités ont donné l’ordre de disperser des petits rassemblements tout à fait pacifiques organisés à Wat Phnom dans le cœur de la capitale par des personnes demandant « des élections justes ». Ces dispersions de rassemblements bafouaient le droit le plus élémentaire à la liberté de réunion pacifique et ont eu pour effet d’enflammer l’opinion publique.

Le premier accrochage a eu lieu dans la nuit du 20 septembre lorsqu’une centaine de membres des forces de sécurité, en majorité des gendarmes, ont dispersé un rassemblement pacifique dirigé par le prince Sisowath Thomico du CNRP, qui avait entamé une grève de la faim à Wat Phnom en présence d’un groupe de moines bouddhistes et de sympathisants.

Le deuxième affrontement violent a eu lieu dans la nuit du 22 septembre lorsqu’une force d’intervention « mixte », composée d’une part de policiers et de gendarmes équipés d’armes à feu et d’autre part d’auxiliaires civils équipés d’armes à électrochocs et de frondes, a fait irruption dans un rassemblement silencieux organisé à Wat Phnom en soutien aux personnes expulsées de chez elles dans le quartier de Boeung Kak 2 à Phnom Penh.

Les participants à ce rassemblement pacifique réitéraient leur demande d’élections justes et demandaient la libération de Yorm Bopha, incarcérée en raison de son action en faveur du droit au logement à Boeung Kak. De nombreuses femmes et de nombreux enfants participaient à ce rassemblement auquel assistaient plusieurs observateurs des droits humains.

Aux environs de 22h30, des dizaines de policiers et d’auxiliaires civils armés d’armes à électrochocs, de frondes et de bâtons se sont rués sur une vingtaine de manifestants et leurs proches. Les observateurs et journalistes cambodgiens et étrangers présents sur les lieux ont également été pris pour cible et l’un d’entre eux a été menacé par un policier avant que l’attaque n’éclate d’être tué lors de l’offensive s’il ne quittait pas immédiatement les lieux. Selon des témoins, les policiers sont d’abord restés inactifs alors que la violence augmentait puis se sont joints aux assaillants. Au moins dix responsables associatifs ont été blessés, dont une femme âgée de 72 ans et trois autres femmes qui ont dû être hospitalisées. Un observateur des droits humains a été blessé au torse. Plusieurs journalistes ont reçu des décharges électriques, et l’appareil photo de l’un d’entre eux a été détruit.

Les organisations cosignataires condamnent l’usage inutile et excessif de la force qu’ont fait les autorités en dépit de l’engagement qu’avaient pris collectivement les instances dirigeantes du PPC et du CNRP le 16 septembre de ne pas avoir recours à la violence ni à de quelconques armes pouvant blesser ou tuer des personnes. Ces événements récents incitent à s’interroger sérieusement sur la volonté ou la capacité du gouvernement et des forces de sécurité à respecter et protéger les droits fondamentaux des personnes qui souhaitent exprimer leurs opinions de manière pacifique.

Nous demandons une fois encore au gouvernement de s’engager publiquement à respecter le droit de réunion pacifique et les droits connexes, en précisant que les forces de l’ordre et les responsables doivent faciliter l’exercice de ces droits. Le gouvernement doit également s’engager sans équivoque à respecter les droits des journalistes et des défenseurs des droits humains qui ont un rôle légitime à jouer dans la société, et à prendre des mesures pour assurer leur protection. Nous demandons également qu’une enquête impartiale, transparente et exhaustive soit menée dans les meilleurs délais sur cet usage illégal de la force. Toute personne soupçonnée d’être responsable de ces agissements, quels que soient son rang ou sa position, devra être déférée à la justice.

Les gouvernements des autres pays et les Nations unies doivent condamner les violations du droit de se réunir pacifiquement et des droits afférents. Comme nous l’avons déjà demandé, les gouvernements étrangers doivent de toute urgence appeler publiquement le gouvernement et les forces de l’ordre à respecter et promouvoir le droit des Cambodgiens à se réunir pacifiquement quelles que soient leurs opinions ou affiliations politiques. Il faut aussi qu’ils veillent à ce que les défenseurs des droits humains et les journalistes puissent remplir leurs fonctions, qui sont primordiales, sans craindre d’actes violents, de menaces ou d’intimidations.

Signataires :

Amnesty International
Centre cambodgien pour les droits humains
Centre cambodgien pour une presse indépendante
Ligue cambodgienne des droits de l’homme (LICADHO)
Human Rights Watch

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