Australie : Crise des jeunes autochtones en détention

Contexte

Alors que les jeunes autochtones ne comptent que pour moins de 6 % de l’ensemble des Australiens âgés de 10 à 17 ans, ils représentent pourtant 54 % des mineurs arrêtés. Ils sont également 25 fois plus susceptibles que les mineurs non autochtones de se retrouver dans un établissement pénitentiaire pour mineurs.

Les services juridiques des Aborigènes et des populations des îles du détroit de Torrès (ATSILS) ont joué un rôle majeur dans l’exposition et la dénonciation des atteintes aux droits humains, afin de veiller à la sécurité et au bien-être des mineurs autochtones en prison. En 2011, les services nationaux juridiques des Aborigènes et des populations des îles du détroit de Torrès (NATSILS) ont mis en lumière des cas d’atteintes aux droits humains et de maltraitance de mineurs autochtones durant leur arrestation et leur détention dans un rapport au Comité des droits de l’enfant. Ce rapport incluait des recommandations pour une modification de la loi, des solutions communautaires et une stratégie nationale holistique en collaboration avec les peuples et organisations autochtones.

En juin 2015, Amnesty International a publié un rapport national et un rapport sur l’Australie-Occidentale, qui ont tous les deux démontré que l’Australie contrevenait très probablement aux conventions internationales. Ces rapports formulaient également des recommandations pour une réforme de la législation, et apportaient un soutien aux solutions portées par les communautés autochtones et à l’obligation de rendre des comptes.

Au cours des 12 derniers mois, en plus de la surreprésentation en détention des mineurs autochtones, des cas d’atteintes aux droits humains et de torture ont été révélés. En juillet 2016, des images choquantes ont été diffusées par ABC Four Corners. Elles dévoilaient la gravité de la situation dans le centre de détention pour mineurs Don Dale, dans le Territoire du Nord, où des mineurs étaient soumis à des atteintes aux droits humains prolongées, notamment l’isolation et l’utilisation de chaises d’immobilisation, de cagoules anti-crachats et de gaz lacrymogènes.

Le gouvernement australien a répondu en convoquant une commission royale sur la protection et la détention des mineurs dans le Territoire du Nord, qui formulera ses recommandations le 30 septembre 2017.

En septembre 2016, un rapport d’Amnesty International sur le Queensland a dévoilé des atteintes aux droits humains de mineurs dans le centre de détention pour mineurs de Cleveland, et notamment des cas d’automutilation, d’utilisation de chiens pour intimider les mineurs, de procédures de fouille invasives et d’utilisation de moyens mécaniques d’immobilisation. Ce rapport formulait également des recommandations de réformes, dont beaucoup sont adressées au gouvernement du Queensland à la suite d’un examen indépendant. D’autres atteintes aux droits humains ont été mises en lumière depuis, notamment à Barwon (Victoria), à Reiby (Nouvelle-Galles du Sud), Bimberi (Territoire de la capitale australienne), et plus récemment dans le centre de détention de Banksia Hill (Australie-Occidentale).

En mars 2017, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, Victoria Tauli-Corpuz, s’est rendue en Australie, qualifiant la situation de préoccupation majeure en matière de droits humains. Dans sa déclaration de fin de mission, elle a déclaré :

Maintenir ces mineurs [autochtones] en détention dans un environnement punitif plutôt que favorisant réinsertion est parfaitement inadapté. Ils sont punis principalement parce qu’ils sont pauvres et, dans la plupart des cas, la prison ne fera qu’aggraver le cycle de violence, de pauvreté et de criminalité.

Voir de jeunes mineurs, dont certains n’avaient que douze ans, en détention a été pour moi le moment le plus perturbant de ma visite.

Recommandations de modifications

Le gouvernement australien a toujours affirmé que la justice pénale était du ressort des États et Territoires et a refusé d’intervenir. Cependant, le gouvernement australien ne peut pas fuir la responsabilité qu’il a de faire respecter les droits humains, et il en a les moyens. Il a la responsabilité de veiller à ce que toute l’Australie, notamment ses États et Territoires, respecte le droit international relatif aux droits humains et à ce que des mesures spéciales soient prises afin de contrer la discrimination systémique.

Des enquêtes ont été menées sur la justice pour mineurs dans tous les États et Territoires sauf en Australie-Méridionale. Les mesures visant à régler ces problèmes ne doivent pas être élaborées de manière isolée. Les États et Territoires doivent apprendre les uns des autres, et le gouvernement australien doit les diriger et les coordonner.

Amnesty International et les NATSILS demandent donc à l’Australie d’adopter les recommandations suivantes :

1. Augmenter l’âge de responsabilité pénale à au moins 12 ans et se pencher sur les lois qui violent les droits des enfants.
L’âge de responsabilité pénale en Australie est actuellement fixé à 10 ans. Des mineurs de 10 et 11 ans ont été arrêtés par la police pour des infractions présumées, parfois aussi insignifiantes que le manquement aux conditions de liberté sous caution pour avoir raté l’école et le fait d’être rentré à son domicile quelques instants après le couvre-feu imposé par les conditions de liberté sous caution. Le Comité des droits de l’enfant et le Commissaire national aux droits de l’enfant considèrent que l’âge de responsabilité pénal est beaucoup trop bas. Le fait que l’âge de responsabilité pénale soit si bas a un impact disproportionné sur les mineurs autochtones en raison de leur surreprésentation dans le système pénal.

2. Mettre fin à la détention des mineurs qui n’ont pas été condamnés.
L’arrestation et la détention de mineurs doivent être une solution de dernier recours, et la détention préalable au jugement est censée être l’exception, pas la règle. Des informations semblent cependant montrer que ce n’est pas le cas. En moyenne, près de 60 % des mineurs autochtones placés en détention en 2015-2016 n’avaient pas été condamnés. Les conséquences sont graves et néfastes. Elles incluent la séparation de la famille et de la communauté ; le manque d’accès à des programmes thérapeutiques ; une plus grande probabilité qu’en cas de future comparution devant un tribunal, la personne soit placé en détention provisoire et qu’elle reçoive une peine d’emprisonnement, par rapport aux jeunes qui sont libérés sous caution ; et l’augmentation de la probabilité que cela se reproduise à l’avenir.

3. Veiller à ce que le traitement et les conditions de vie dans les centres de détention pour mineurs donnent aux jeunes les meilleures chances de se développer. L’Australie doit veiller à ce que tout mineur privé de sa liberté soit traité justement et avec humanité. Actuellement, en Australie, les mineurs en détention risquent de subir des atteintes à leurs droits et d’être torturés, notamment par l’utilisation de la détention à l’isolement, de moyens de contrainte et de chiens. Cela doit cesser immédiatement ; ces institutions doivent offrir aux mineurs les meilleures chances possibles de développer leurs capacités et répondre à leurs besoins, qui varient en fonction de leur culture, de leur genre, de leur âge et de leur handicap éventuel. De plus en plus de preuves montrent que le modèle actuel des centres de détention pour mineurs est mal conçu, qu’il exacerbe souvent les traumatismes, refrène la croissance positive et ne garantit pas la sécurité des détenus. 

Le modèle actuel des centres de détention pour mineurs devrait être remplacé par un ensemble de programmes locaux et, en dernier recours, pour les quelques mineurs qui nécessitent d’être enfermés, par des bâtiments plus petits et familiaux qui font de la réhabilitation adaptée selon l’âge une priorité. Le gouvernement doit financer pleinement des inspecteurs indépendants et leur accorder le libre accès à toutes les formes de centres de détention pour mineurs, et immédiatement commencer à travailler pour veiller à ce que l’approche et les régimes d’inspection de l’Australie soient conformes à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

4. Investir en priorité dans des interventions précoces, la prévention et le recours à des moyens extra-judiciaires afin de répondre aux causes sous-jacentes des infractions et de veiller à ce que la détention ne soit utilisée qu’en dernier recours. Le problème de la surreprésentation en détention des mineurs autochtones doit être résolu par des stratégies qui attaquent les causes sous-jacentes qui les ont poussés dans le système judiciaire pour mineurs. La culture autochtone doit être au plus vite reconnue comme un soutien positif pour les mineurs par le biais des anciens, de groupes juridiques et en faveur de la justice, et des communautés et organisations autochtones. Des programmes de prévention et de déjudiciarisation créés et dirigés par les autochtones pour les mineurs autochtones sont le meilleur moyen d’assurer un changement durable et à long terme.

5. Améliorer la collecte de données et l’utiliser pour suivre les progrès, apprendre et trouver des solutions. La collecte de données sur le système judiciaire pour mineurs est insuffisante pour permettre une approche politique efficace, et ce dans tous les États et Territoires australiens. Nous devons être capables d’identifier et de mieux prendre en compte les besoins des personnes en situation de handicap et les expériences des jeunes en matière de protection de l’enfance, de violence familiale, de privation de logement et d’anciens contacts avec la justice. Le gouvernement australien doit charger une institution nationale adaptée, ou en créer une, afin de coordonner une approche nationale de la collecte de données et de l’élaboration d’une politique sur les taux d’emprisonnement et de violence des autochtones.

6. Financer correctement des services juridiques contrôlés par les communautés autochtones. Pour être efficaces, ces services juridiques doivent être culturellement adaptés. La Commission australienne de la productivité a publié un rapport confirmant qu’il existe un important besoin juridique non comblé chez les peuples autochtones. En conséquence, leur surreprésentation dans le système judiciaire est encore davantage accentuée.

Le gouvernement australien n’a pas adopté ces recommandations. Des fonds suffisants pour les services juridiques des autochtones doivent être mis en place, ainsi que des accords de financement sur cinq ans prenant en compte la hausse de l’IPC pour tous les services juridiques pour la prévention des violences familiales (FVPLS) et les ATSILS.

7. Fixer des objectifs pour mettre fin à la surreprésentation des mineurs autochtones en prison. Le gouvernement australien joue un rôle dans la promotion des réformes politiques nationales qui nécessitent une action coordonnée. Le gouvernement australien travaille actuellement avec les États et Territoires par le biais du Conseil des gouvernements australiens (COAG) pour résoudre les inégalités qui affectent les populations autochtones, en se concentrant sur six objectifs de l’opération « Combler le fossé » concernant l’espérance de vie, la mortalité infantile, le développement de la petite enfance, l’éducation et l’emploi chez les autochtones. Lorsqu’il existe une d’obligation au niveau national de remettre des rapports et que des mesures de transparence sont prises, l’établissement d’objectifs est un mécanisme qui s’avère efficace pour obtenir de réels progrès et responsabiliser les acteurs à tous les niveaux. Il est révélateur que dans le cadre de l’opération « Combler le fossé » aucun objectif n’ait été fixé pour régler le problème de la surreprésentation des autochtones dans le système pénal ni pour aborder le fait que les autochtones sont victimes de violences de manière disproportionnée. Le gouvernement australien doit immédiatement s’engager à fixer des objectifs en matière de justice dans le cadre de l’opération « Combler le fossé », tout en consultant les communautés et organisations autochtones.

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