Allemagne c. Italie. Il est nécessaire de rejeter l’immunité d’un État lorsque les victimes n’ont aucun autre recours

Le 24 novembre 2011, Amnesty International a publié un document exposant sa position au sujet de questions relatives à la procédure actuellement en instance devant la Cour internationale de justice (CIJ) qui oppose l’Allemagne à l’Italie, Germany v. Italy : The right to deny state immunity when victims have no other recourse, index : IOR 53/006/2011, novembre 2011 .

L’Allemagne a fait valoir qu’elle était protégée par l’immunité contre toute procédure civile engagée devant une juridiction étrangère par des victimes de crimes de guerre commis au cours de la Seconde Guerre mondiale par les forces armées allemandes en Italie et en Grèce. Dans son exposé de position, Amnesty International décrit le droit à réparation des victimes de ces crimes. L’organisation y explique également pourquoi un État ne doit pas pouvoir faire obstacle à une procédure civile engagée devant une juridiction étrangère lorsque les victimes n’ont aucun autre moyen de demander réparation.

Le jugement de la CIJ pourrait avoir un impact considérable sur la possibilité d’obtenir réparation pour les victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’autres crimes de droit international.

Dans le cas présent, les victimes n’ont pas pu obtenir réparation dans le cadre de procédures administratives et judiciaires en Allemagne, devant la Cour européenne des droits de l’homme, devant une commission de traitement des plaintes ou par le biais de la protection diplomatique de l’Italie ou de la Grèce. Ayant épuisé toutes les voies de recours, et n’ayant par conséquent aucune autre solution, elles ont demandé réparation devant des juridictions étrangères.

En Italie, la Cour de cassation, dans son arrêt Ferrini c. Allemagne du 11 mars 2004, a statué que les tribunaux italiens devaient examiner les demandes d’indemnisation des personnes déportées pendant la Seconde Guerre mondiale pour effectuer des travaux forcés en Allemagne. À la suite de ce jugement, de nombreuses autres procédures ont été engagées contre l’Allemagne devant des juridictions italiennes par des prisonniers de guerre qui avaient été soumis à des travaux forcés et par des victimes de massacres perpétrés par les forces allemandes au cours des derniers mois de la Seconde Guerre mondiale. Dans l’une de ces affaires, le tribunal a ordonné que certains actifs allemands en Italie soient gelés pour exécuter le jugement.

En Grèce, une demande de réparation a été déposée à l’encontre de l’Allemagne par les proches des victimes du massacre commis dans le village grec de Distomo, où, le 10 juin 1944, les forces armées allemandes ont tué des centaines de civils dont des femmes et des enfants. En 2000, la Cour suprême grecque a confirmé un jugement rendu en 1997 par le tribunal de première instance, qui avait rejeté l’argument d’immunité juridictionnelle de l’Allemagne et octroyé des indemnités aux proches des victimes. Le ministre grec de la Justice a cependant refusé d’accorder l’autorisation requise pour exécuter le jugement.

Les plaignants de l’affaire Distomo ont alors engagé des poursuites contre la Grèce et l’Allemagne devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a statué en 2002 que leur demande n’était pas recevable car l’Allemagne bénéficiait d’une immunité. Les victimes grecques ont alors tenté, avec succès, de faire appliquer les jugements devant un tribunal italien.

L’Allemagne a refusé d’accorder les réparations octroyées par les juridictions italiennes et, au contraire, elle a engagé le 23 décembre 2008 une procédure contre l’Italie devant la CIJ au motif que ce pays n’avait pas respecté son immunité.

Le 4 juillet 2011, la CIJ a autorisé la Grèce à intervenir, sans être partie à la procédure, dans la mesure où son intervention était limitée à la décision des tribunaux grecs dans l’affaire Distomo.

La CIJ a tenu des audiences publiques le 12 septembre 2011 dans l’affaire Allemagne c. Italie et devrait rendre un jugement avant la fin de l’année.

Le document d’Amnesty International exposant sa position décrit le droit à réparation des victimes, en vigueur depuis 1907 en vertu du droit international et des normes internationales. En outre, il explique que, lorsque les victimes n’obtiennent pas réparation de l’État responsable et qu’il n’existe aucune autre solution efficace, les victimes doivent pouvoir tenter d’obtenir l’application du droit à réparation découlant du droit international auprès des tribunaux d’autres États.

Il montre également que l’argument présenté par l’Allemagne selon lequel le fait d’appliquer le droit à réparation des victimes en rejetant son immunité d’État pourrait produire une série de conséquences catastrophiques supposées n’a aucun fondement. Par exemple, les craintes qu’une telle décision ne perturbe gravement la certitude figurant dans le droit international, ne déstabilise les relations internationales, n’entraîne des procès illimités et une recherche de la juridiction la plus avantageuse, ne fragilise les accords de paix et n’augmente les tensions diplomatiques, sont toutes réfutées au motif qu’elles sont injustifiées.

Amnesty International a souligné que de telles prédictions sinistres ont été faites lors de l’audience de la Chambre des Lords du Royaume-Uni concernant Augusto Pinochet, au cours de laquelle l’immunité des anciens chefs d’État avait été invoquée.

Le document relève par ailleurs que, en vertu du droit international, les États continuent de conserver depuis plus d’un siècle un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer dans leur législation et leur jurisprudence quand les autres États peuvent empêcher une procédure civile sur la base d’une revendication d’immunité d’État.

Amnesty International a préféré publier ce document plutôt que de soumettre un exposé à la Cour internationale de justice car, contrairement à d’autres juridictions internationales comme la Cour pénale internationale, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, le Tribunal pénal international pour le Rwanda, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme, la CIJ ne prévoit pas de procédure officielle pour que les ONG présentent des mémoires destinés à éclairer la cour dans les litiges dont elle est saisie.

Amnesty International fournit des copies aux juges, au greffier, à l’Allemagne, à l’Italie et à la Grèce pour leur information.

Toutes les infos
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit